Si « la mesure de l’intelligence, c’est la capacité à changer », comme l’affirmait un savant aussi considérable qu’Albert Einstein, alors Douglas Laing & Co, entreprise familiale glaswégienne, fait certainement preuve de grande intelligence. Elle a su s’adapter au changement tout en restant fidèle aux valeurs traditionnelles et à l’exigence qui l’ont si bien servie au cours de ses soixante-quinze années d’existence commerciale.
Fred Douglas Laing, connu sous ses initiales FDL, fonde l’entreprise en 1948, à Glasgow, sur le célèbre quai Broomielaw, au bord de la Clyde, et aménage des bureaux dans Renfield Street. Ne possédant alors qu’un petit nombre de fûts de whisky, mais aussi la marque King of Scots, il se lance dans l’art de l’assemblage qu’il apprend dans une large mesure par essais successifs. Afin de s’assurer un approvisionnement en whisky de malt pour produire ses blends, il ne tarde pas à signer avec plusieurs distilleries des contrats de remplissage en fûts de leurs distillats, relations commerciales qui perdurent pour la plupart aujourd’hui encore.
Le fils de Fred, également prénommé Fred, aujourd’hui président de l’entreprise familiale, se souvient que, lorsqu’il était enfant, son défunt père venait parfois lui souhaiter bonne nuit après un “déjeuner” interminable dans l’un de ses restaurants de prédilection, comme The Malmaison ou le 101, et que son haleine était chargée de l’odeur de Port Ellen, son whisky préféré. Port Ellen joue toujours encore un rôle pivot dans l’histoire de la maison Douglas Laing qui serait, dit-on, à la tête du plus important stock de fûts de cette distillerie détenu par un tiers.
Savoir se réinventer
Devenu un assembleur de whisky chevronné, Fred Douglas n’en demeura pas moins avant tout un bâtisseur de marques. Il exporta King of Scots dans la région Pacifique où ce label remporta de remarquables succès commerciaux, en adoptant des conditionnements de plus en plus élaborés tout en augmentant l’âge des contenus afin de s’adapter à ce type de marché. Mais les ventes de King of Scots s’essoufflèrent progressivement et l’entreprise se retrouva à la tête d’importants volumes de single malts âgés qui devaient entrer dans la composition du principal blend maison. Faisant de nécessité vertu, la famille entreprit dès lors d’embouteiller en tant que tels certains de ces “composants” potentiels. C’est sur cette base que la firme Douglas Laing & Co s’est développée jusqu’à devenir l’un des tout premiers embouteilleurs indépendants au monde. Outre qu’elle commercialise sous son nom plusieurs gammes importantes et enregistre une progression continue de ses ventes à l’international, elle s’est également établi distillateur à part entière.
Fred Laing est entré dans l’entreprise familiale en 1972, après avoir effectué sa formation dans les métiers du whisky chez Whyte & Mackay Ltd et White Horse Distillers, filiale de Distillers Company Ltd (DCL). Sa fille Cara a également travaillé chez Whyte & Mackay ainsi que chez Morrison Bowmore Distillers, qui appartient désormais à Beam Suntory. Quel est donc le secret du développement de l’entreprise au cours des derniers trois quarts de siècle et de sa prospérité ? «Le cœur de notre activité, c’est l’innovation, répond Cara, qui représente la troisième génération de la famille et assume aujourd’hui la responsabilité du département whisky chez Douglas Laing. Nous avons dû nous réinventer à plusieurs reprises au cours des années. Notre argument clé de vente, c’est que nous sommes une entreprise familiale véritablement passionnée et suffisamment agile à être très réactive. Cela nous est très utile en cas de renversement du marché. Nos processus de développement de nouveaux produits sont suffisamment courts pour que nous soyons en mesure de nous adapter le plus rapidement possible quand nous identifions de nouvelles opportunités.»
L’incarnation actuelle de l’entreprise remonte à 2013, année où Stewart Laing, le frère de Fred, et quelques autres membres de la famille ont suivi leur propre chemin et fondé Hunter Laing & Co Ltd, la firme qui a bâti par la suite sur l’île d’Islay la distillerie Ardnahoe.
Se lançant également dans l’acquisition de distillerie, la maison Douglas Laing est depuis 2019 propriétaire de Strathearn, dans le Perthshire. «Nous avons été séduits par la philosophie de son équipe, raconte Cara Laing. Elle partageait avec nous une préférence pour les mises en bouteille à 46 %, sans filtration à froid ni ajout de colorant. Nous avons également apprécié le côté terre à terre de la distillerie qui a fait l’impasse sur les habituelles rangées d’écrans d’ordinateur.»
Embouteilleurs et distillateurs
«Nous avons saisi l’occasion de l’acquérir fin 2019. Depuis, nous avons effectué de nombreuses dépenses d’investissement. Nous avons augmenté sa production jusqu’à 80 000 litres par an, ce qui reste encore très modeste, mais nous voulions conserver son caractère artisanal. Nous avons investi dans une politique d’approvisionnement en fûts de qualité, et l’équipe sur place est tout ce qu’il y a de plus passionné. Elle est dirigée par la maître distillatrice Angela Brown, pour qui la distillerie est une grande fierté.» Une nouvelle cuve d’empâtage chemisée de cuivre a été installée, de même que des cuves de fermentation supplémentaires en inox, désormais au nombre de huit, tandis qu’une salle d’échantillonnage et une petite arrière-salle ont été aménagées pour accueillir les visiteurs de la distillerie.
«Nous utilisons toujours l’orge maltée Maris Otter, fait remarquer Cara Laing, car cette variété joue à nos yeux un rôle déterminant, même si elle reste onéreuse. Elle contribue au style archétypal des eaux-de-vie des Highlands que nous recherchons. La distillerie fête cette année ses dix années d’existence. Puisque c’est un anniversaire qui s’ajoute à celui des soixante-quinze ans de Douglas Laing, nous avons lancé en août notre premier single malt, Strathearn. C’est un Highland à la forte personnalité, trapu, entier, élevé dans un ensemble de fûts de xérès et de bourbon, et commercialisé en édition très limitée.»
Douglas Laing a également annoncé un projet de construction d’une toute nouvelle distillerie à Glasgow, le berceau de l’entreprise familiale, à côté de son complexe immobilier de Hillington, au sud-ouest du centre-ville, à proximité de l’autoroute M8. «Nous avons désormais regroupé sur notre nouveau site de Hillington une nouvelle chaîne d’embouteillage ultramoderne, un chai de stockage et notre siège social, poursuit Cara Laing. Les travaux de construction, sur ce même site, de la distillerie Clutha ont été retardés par le Covid et nous avons estimé à l’époque qu’il fallait accorder la priorité à l’aménagement de nos installations d’embouteillage et de stockage. Nous disposons donc d’un bâtiment vide prêt à accueillir Clutha et comme nous avons déjà payé les alambics, le projet de distillerie est plus que jamais à l’ordre du jour.»
Clutha signifie “clyde” en gaélique écossais. Il était prévu à l’origine de construire la distillerie au bord du fleuve qui traverse Glasgow, sur le Pacific Quay, mais l’autre site a été préféré en raison des risques d’inondation. La capacité de production annuelle escomptée de la distillerie devrait s’élever à 100 000 litres. «Ce sera un whisky puissant et charnu, avec une généreuse maturation en fûts de xérès, précis Cara Laing. Assurément pas l’archétype d’un single malt des Lowlands. Fred et moi, nous adorons Blair Athol et nous aimerions essayer d’égaler ce style.»
«Pour l’ensemble de nos gammes, la France représente un marché important… » Cara Laing
S’agissant des whiskies commercialisés par Douglas Laing, la maison propose de nombreuses expressions qui se répartissent entre quatre gammes principales, à savoir Provenance (single casks embouteillés à 46%), Premier Barrel (conditionnés en carafes en céramique et titrant 46%), Old Particular (whiskies de malt et de grain single casks embouteillés à la force du fût) et Remarkable Regional Malts.
Les Remarkable Regional Malts constituent l’un des principaux leviers de croissance de l’entreprise, leur disponibilité permanente ayant en effet rendu possible le développement à long terme d’autres marques. Big Peat fut la toute première des expressions régionales remarquables. Ce blended malt d’Islay, qui demeure l’expression la plus célèbre et la plus vendue, se décline en nombreuses éditions limitées. Big Peat a été suivi par Scallywag, blended malt du Speyside, tandis que les Lowlands sont représentés par The Epicurean, la région des Highlands par Timorous Beastie et Campbeltown par The Gauldrons. Enfin, Rock Island est composé de single malts provenant des îles Arran, Islay, Jura et Orcades.
Des éditions commémoratives
Aucune firme de whisky ne saurait célébrer un anniversaire sans proposer des éditions commémoratives : Douglas Laing ne fait pas exception à la règle. Six nouveaux single casks anniversaires sont attendus en septembre : Port Ellen, Macallan, Speyside Finest 55 ans et Blair Athol, ainsi que les single grains Cameronbridge et Port Dundas. Tous âgés au moins de 35 ans.
«Nous produirons également un King of Scots âgé de 50 ans, édité à environ 2 000 flacons titrant 46%, ajoute Cara Laing. Ce blended scotch sera une expression vraiment très spéciale, puisque c’est en s’appuyant sur cette marque que mon grand-père s’est lancé dans les affaires. C’est aussi le 10e anniversaire de Scallywag qui connaît une croissance plus que régulière. Par ailleurs, nous mettrons en bouteille un Tormore Scallywag 35 ans et nous commercialiserons une édition Scallywag Old Particular.»
Big Peat est depuis toujours l’un des plus grands succès commerciaux de Douglas Laing.
« C’est l’une de nos marques stratégiques, en particulier pour le marché français, précise Cara Laing. Nous avons élaboré avec La Maison du Whisky un embouteillage haut de gamme, affiné en fût, destiné spécialement à LMDW, dont la commercialisation est prévue pour novembre. Nous lancerons également un Big Peat commémoratif, affiné dans un type très rare de fût et dont l’édition se limitera à 600 flacons. »
S’agissant des marchés de référence, Cara Laing ajoute : «Pour l’ensemble de nos gammes, la France représente un marché important, de même que l’Allemagne, la Belgique et l’Asie, mais nous ne sommes pas encore solidement implantés en Amérique. Le duty free marche également très bien, mais il ne s’est confirmé qu’après la crise du Covid, donc depuis deux ans seulement, avec nos malts régionaux. Notre entreprise a connu au cours de ces dix dernières années une croissance remarquablement soutenue.»
Ayant mis en pratique la leçon d’Einstein et choisi d’évoluer pour s’adapter le cas échéant au changement tout en restant fidèle à ses convictions profondes et à ses valeurs familiales, la maison Douglas Laing & Sons semble très bien placée pour connaître soixante-quinze nouvelles années de prospérité, tout comme celles qu’elle a connues depuis 1948.