En l’espace de cent ans très exactement, le Japon s’est imposé comme l’un des cinq grands pays producteurs de whisky au monde. Pour célébrer cette illustre étape, faisons un voyage dans le temps pour remonter les sentiers de la mémoire jusqu’au berceau, en commençant par une bourgade située à 15 kilomètres au sud de Kyoto : Oyamazaki. C’est ici qu’un certain Shinjiro Torii décida de bâtir la première distillerie japonaise de whisky proprement dite.
À l’âge de vingt ans, Torii ouvre à Osaka un petit magasin à l’enseigne Torii Shoten. Là, il entreprend de produire des vins et de les vendre. En 1907, il commercialise un vin qui, espérait-il, devrait convenir au goût japonais. Son travail acharné porte ses fruits : son “porto” Akadama rencontre un grand succès.
Cette première réussite commerciale lui procure les ressources nécessaires à la poursuite de son rêve : créer un whisky japonais original. Torii avait pris conseil auprès d’un certain Dr. Moore, une autorité en matière de brassage en Écosse, qui lui avait appris que les facteurs les plus importants dont il fallait tenir compte pour la construction d’une distillerie étaient l’environnement naturel et la qualité de l’eau. Lorsque Torii visita Yamazaki, il jugea que la région présentait toutes les caractéristiques requises s’agissant de l’environnement naturel : un paysage vallonné, de belles forêts de bambou et un climat humide. La région était également depuis longtemps réputée pour la qualité remarquable de son eau, mais Torii ne voulait prendre aucun risque : il envoya donc un échantillon d’eau au Dr. Moore en Écosse et attendit son verdict. Le bon docteur fut impressionné et le reste appartient à l’histoire, comme l’on dit.
Débutée en octobre 1923, la construction de la distillerie Yamazaki est achevée l’année suivante. La production de whisky démarre en automne 1924. Selon la tradition perpétuée par Suntory, les premières gouttes de distillat s’écoulent de l’alambic le 11 novembre 1924 à 11 heures 11. Un timing plutôt impressionnant pour la première coupe de cœur de chauffe jamais réalisée dans ces contrées ! Torii ne manquait ni de vision ni de sens des affaires, mais s’agissant du savoir-faire en matière de production de whisky, il n’ignorait pas qu’il lui fallait recruter quelqu’un qui saurait l’aider à réaliser son rêve.
C’est alors que Masataka Taketsuru entre en scène. Issu d’une famille de producteurs de saké d’Hiroshima, Taketsuru se passionne pour les liqueurs occidentales dès le milieu des années 1910 et effectue en 1919-1920 des stages dans plusieurs distilleries en Écosse. C’est l’homme de la situation. Torii l’embauche en juin 1923 et, animés par un rêve commun, les deux hommes se mettent au travail.
Kakubin, le premier whisky japonais à connaître le succès
À l’âge de vingt ans, Torii ouvre à Osaka un petit magasin à l’enseigne Torii Shoten. Là, il entreprend de produire des vins et de les vendre. En 1907, il commercialise un vin qui, espérait-il, devrait convenir au goût japonais. Son travail acharné porte ses fruits : son “porto” Akadama rencontre un grand succès.
Cette première réussite commerciale lui procure les ressources nécessaires à la poursuite de son rêve : créer un whisky japonais original. Torii avait pris conseil auprès d’un certain Dr. Moore, une autorité en matière de brassage en Écosse, qui lui avait appris que les facteurs les plus importants dont il fallait tenir compte pour la construction d’une distillerie étaient l’environnement naturel et la qualité de l’eau. Lorsque Torii visita Yamazaki, il jugea que la région présentait toutes les caractéristiques requises s’agissant de l’environnement naturel : un paysage vallonné, de belles forêts de bambou et un climat humide. La région était également depuis longtemps réputée pour la qualité remarquable de son eau, mais Torii ne voulait prendre aucun risque : il envoya donc un échantillon d’eau au Dr. Moore en Écosse et attendit son verdict. Le bon docteur fut impressionné et le reste appartient à l’histoire, comme l’on dit.
Débutée en octobre 1923, la construction de la distillerie Yamazaki est achevée l’année suivante. La production de whisky démarre en automne 1924. Selon la tradition perpétuée par Suntory, les premières gouttes de distillat s’écoulent de l’alambic le 11 novembre 1924 à 11 heures 11. Un timing plutôt impressionnant pour la première coupe de cœur de chauffe jamais réalisée dans ces contrées ! Torii ne manquait ni de vision ni de sens des affaires, mais s’agissant du savoir-faire en matière de production de whisky, il n’ignorait pas qu’il lui fallait recruter quelqu’un qui saurait l’aider à réaliser son rêve.
C’est alors que Masataka Taketsuru entre en scène. Issu d’une famille de producteurs de saké d’Hiroshima, Taketsuru se passionne pour les liqueurs occidentales dès le milieu des années 1910 et effectue en 1919-1920 des stages dans plusieurs distilleries en Écosse. C’est l’homme de la situation. Torii l’embauche en juin 1923 et, animés par un rêve commun, les deux hommes se mettent au travail.
En avril 1929, le premier whisky authentiquement japonais est commercialisé par Kotobukiya (la raison sociale de la firme avant qu’elle ne devienne Suntory en 1963). Il s’agissait de l’expression Shirofuda (“étiquette blanche”). Âgée de 5 ans, c’est sur elle que reposaient tous les espoirs de l’entreprise. La campagne publicitaire est aussi audacieuse qu’impertinente : «Goûtez-y ! L’époque de la croyance aveugle aux spiritueux d’importation est derrière nous. Qui refuserait de déguster le meilleur whisky jamais produit au Japon ? Suntory Whisky.» Malheureusement, Shirofuda est un échec. Non seulement il était onéreux (à peine 30 % meilleur marché que le prix de détail au Japon de Johnnie Walker Black à l’époque), mais ceux qui avaient eu l’audace de le goûter étaient aussi le plus souvent rebutés par ses arômes fumés. Selon Yukio Shimatani, qui a effectué une longue et brillante carrière chez Suntory, le caractère tourbé n’était pas l’unique raison expliquant l’échec de Shirofuda. «Le marché du whisky était inexistant et il y avait encore plusieurs problèmes de qualité à résoudre en plus des arômes fumés», explique-t-il.
Revenu à la case zéro, Torii consacre la majeure partie des années 1930 à affûter ses compétences en matière d’assemblage, à la recherche d’un whisky qui convienne aux papilles japonaises. Le 8 octobre 1937, il lance Kakubin, ainsi nommé en raison de sa bouteille carrée. Cette fois-ci, il met dans le mille. Son travail acharné et sa persévérance portent leurs fruits : l’emblématique bouteille carrée, au motif d’écaille de tortue (inspiré du Satsuma Kiriko, l’artisanat traditionnel japonais de la taille du verre) devient familière dans les bars et les izakayas de tout l’Archipel. Entre-temps, Taketsuru a quitté Kotobukiya. Son contrat de dix ans arrivant à échéance, il décide de s’installer à son compte et, avec l’aide de plusieurs partenaires commerciaux avisés, fonde sa propre entreprise, Dai Nippon Kaju (qui deviendra plus tard Nikka). Taketsuru aménage une distillerie à Yoichi, dans l’île d’Hokkaido, puis après avoir fabriqué du jus de pomme pendant quelque temps, démarre sa production de whisky au cours de l’été 1936. Ce récit aurait pu être plus étoffé…
Kotobukiya et Nikka en vinrent à dominer le paysage du whisky nippon et sont encore à l’heure actuelle les producteurs les plus importants, ce qui atteste de leur capacité à surmonter les aléas de l’histoire. Les deux entreprises survivent à la Seconde Guerre mondiale en ayant conservé leurs stocks intacts. Il semblerait que la distillerie Yamazaki ait enterré une partie de son whisky durant l’effort de guerre. Au Japon, l’immédiat après-guerre est une période de grands troubles. L’Archipel souffre de graves pénuries alimentaires. Les Japonais sont ruinés par une inflation à trois chiffres qui atteint sur le marché noir des niveaux invraisemblables. D’importants volumes de whisky d’origine très suspecte inondent le marché et il arrive que des amateurs payent de leur vie la consommation de ces contrefaçons. C’est dans ce contexte que Torii commercialise un nouveau produit qui rencontrera un succès foudroyant (et qui demeure aujourd’hui encore un best-seller) : Torys Blended Whisky est lancé le 1er avril 1946.
Quand le whisky de qualité supérieure prend sa revanche
À l’époque, le fisc japonais utilise un système de classification des spiritueux qui distingue trois catégories selon la quantité de “whisky authentique” (par opposition à l’alcool neutre) contenue dans le produit embouteillé et son titre alcoométrique volumique. Le plus onéreux est le whisky de première catégorie, le moins onéreux celui de troisième catégorie qui contient moins de 5 % de “whisky authentique” (donc essentiellement composé d’alcool neutre) et dont la teneur en alcool est comprise entre 37 et 39 %. En accord avec l’air du temps, Torys est un whisky de troisième catégorie, «bon et pas cher» comme le proclame son slogan publicitaire. Le succès de Torys est à l’origine d’un véritable boom des whiskies de troisième catégorie durant la seconde moitié des années 1940. Quant à Taketsuru, tout d’abord réticent à produire des whiskies bas de gamme, il rencontre à la fin des années 1940 des difficultés financières qui l’incitent à faire preuve de pragmatisme. En septembre 1950, Nikka commercialise Rare Old Nikka Whisky, spiritueux de troisième catégorie, dont le lancement a un effet immédiat sur la comptabilité de l’entreprise. Le bénéfice net est multiplié par quatre par rapport à l’année précédente. Chez Kotobukiya, après qu’il a été décidé de faire des incursions dans la catégorie de whisky supérieure, Suntory Old est commercialisé en novembre 1950. Cette expression avait été conçue à l’origine par Shinjiro Torii en 1940, à une époque qui n’était guère propice au lancement d’un whisky de qualité supérieure, de sorte que le projet avait été remisé dans l’attente de circonstances plus favorables – une décennie plus tard. En raison de la similitude formelle de sa bouteille avec les figurines daruma traditionnelles, Suntory Old est affectueusement surnommé Daruma au Japon. Au cours des décennies suivantes, ce sera le produit le plus performant de la firme.
Un remaniement des catégories fiscales relatives aux spiritueux a lieu en 1953 ; on distingue désormais (par ordre décroissant) une catégorie spéciale, une première catégorie et une seconde catégorie. Dans les années 1960 et 1970, le Japon connaît une soif de whisky grandissante : ce breuvage devient une consommation récréative omniprésente, appréciée dans toutes les couches de la société. Fait intéressant, non seulement il se consomme davantage de whisky d’une année sur l’autre, mais on assiste aussi à un déplacement progressif de la demande vers les spiritueux de catégorie supérieure. En 1964, au Japon, la part de marché du whisky de qualité inférieure (seconde catégorie) s’élève à plus de 80 %. En 1979, elle est tombée à un peu plus de 30 %, le whisky de qualité supérieure (catégorie spéciale) représentant désormais 54 % du marché, tandis que la consommation globale de whisky a augmenté de 118 %. Le consommateur japonais boit de plus en plus et de mieux en mieux, et les producteurs se félicitent de pouvoir répondre à cette demande en augmentation continue. Chez Nikka, deux alambics Coffey sont installés (en 1963 puis en 1966) pour produire du whisky de grain, avant la construction d’une seconde distillerie de whisky de malt (Miyagikyo, en 1969). Suntory crée en 1972 sa distillerie de grain, Chita, et fonde l’année suivante une seconde distillerie de malt (Hakushu). À ces deux acteurs majeurs s’ajoute en 1972 un troisième producteur : Kirin Seagram fonde cette année-là une distillerie à Gotemba, au pied du Mont Fuji, destinée à la production de whiskies de malt et de grain.
L’export pour faire face au déclin de la consommation nationale
Depuis les débuts de la production de whisky proprement dite au Japon, les courbes de la consommation et de la production enregistrent une progression continue… À l’évidence, cela ne pouvait durer. Au début des années 1980, la croissance de la consommation de whisky commence à ralentir. Les augmentations successives des taxes sur les spiritueux entraînent une instabilité des prix, mais surtout, comme partout ailleurs dans le monde, le consommateur commence à se détourner des spiritueux bruns : bientôt, le Japon prend lui aussi part à la “révolution des spiritueux blancs”. Le whisky est passé de mode. Désormais, le shochu est in. L’année 1984 marque le début d’un déclin de la consommation de whisky au Japon qui allait durer vingt-cinq ans. En 1983, près de 380 millions de litres de whisky sont consommés dans l’Archipel. En 2007, ce chiffre avait régressé de 80 % pour ne représenter plus que 75 misérables millions de litres. On notera que 1984 marque également la naissance de l’ère du single malt nippon. Jusque-là, le nombre single malts produits au Japon se comptait sur les doigts d’une main – des éditions exceptionnelles, très limitées et très discrètement commercialisées. En 1984, d’abord Suntory puis Nikka lancent leur premier single malt grand public (Suntory Pure Malt Whisky Yamazaki et Nikka Single Malt Hokkaido produit par la distillerie Yoichi).
Pour résister à la crise, les producteurs explorent les deux extrêmes qui s’offrent à eux : la réduction drastique des coûts, c’est-à-dire la fabrication de whiskies aussi bon marché et aussi proches que possible des spiritueux blancs, ou la premiumisation. C’est dans un contexte de montée en gamme que Suntory lance Hibiki le 3 avril 1989. Au début du XXIe siècle au Japon, le whisky est toujours en disgrâce, mais à l’étranger, la perception du whisky japonais est sur le point d’évoluer. En février 2001, Whisky Magazine organise pour la première fois une dégustation à l’aveugle. Des producteurs du monde entier présentent à ce concours un total de 293 whiskies évalués par un panel de 62 experts, à Édimbourg, au Kentucky et au Japon. Un embouteillage single cask Yoichi âgé de 10 ans obtient la meilleure note dans la catégorie des whiskies japonais, mais à l’issue de la compétition, il apparaît que cette expression avait également obtenu la meilleure note globale. Le whisky ayant remporté le titre de Best of the Best n’était pas un scotch… mais un japonais. La même année, Karuizawa Pure Malt 12 ans produit par Mercian remporte à Londres la médaille d’or de l’International Wine and Spirits Competition. À partir de cette date, les whiskies japonais continueront à obtenir les plus hautes distinctions dans le cadre des compétitions internationales les plus prestigieuses. À l’étranger, et plus particulièrement en Europe, les milieux du whisky en prennent bonne note : amateurs et détaillants braquent leurs projecteurs sur le Japon. Des distributeurs comme La Maison du Whisky en France et The Whisky Exchange au Royaume-Uni ont été à l’avant-garde de l’exploration de la scène du whisky nippon.
Plus de cent distilleries en activité
Au Japon, le chiffre d’affaires du whisky enregistrait une baisse continue, et quiconque aurait visité les rares distilleries non mises en sommeil, aurait eu l’impression de parcourir des villes fantômes. Mais en 2007, deux décisions, l’une prise par un géant du secteur, l’autre par le petit-fils du fondateur d’une distillerie de whisky en faillite, provoquent un revirement de situation. Suntory avance l’idée de faire revivre l’humble cocktail Whisky Highball comme substitut rafraîchissant (et plus sain) à la bière. Sa campagne publicitaire est lancée en avril 2008 : il remporte un succès immédiat et durable. En fait, le highball est désormais considéré comme le “soul drink” du Japon. Toujours en 2007, Ichiro Akuto, le petit-fils du fondateur de la distillerie Hanyu, dont la production avait cessé en 2000 et qui fut démolie quelques années plus tard, décide de bâtir une petite distillerie de malt (qu’on qualifierait aujourd’hui d’artisanale) à Chichibu, sa ville natale. On ne saurait sous-estimer le courage que représente semblable décision : créer une nouvelle distillerie après vingt-cinq ans de déclin de la consommation au Japon et dans un contexte de mise en sommeil de nombreuses distilleries, voire d’arrêt définitif de leur production (comme la légendaire distillerie Karuizawa). C’est en se rendant dans les bars qu’Ichiro a pu discerner l’émergence d’un intérêt pour les whiskies single malt bien faits. Ayant remporté son pari, la distillerie Chichibu est aujourd’hui connue de tous en raison de la qualité exceptionnelle de son whisky.
Ichiro, dont les installations de production étaient certes modestes, mais qui jouait dans la même première division que les plus grands (voire, disent certains, dans une division hors catégorie), a été une source d’inspiration pour beaucoup et son exemple a fait de nombreux émules. Certains s’étaient déjà essayés au whisky mais avaient jeté l’éponge en cours de route, d’autres étaient des producteurs de spiritueux expérimentés, mais non de whisky, d’autres encore étaient de nouveaux arrivants dans ce secteur, mais animés par la passion et une vision. Il suffira d’un exemple pour illustrer l’essor actuel de la production de whisky au Japon : en 2007, l’Archipel comptait en tout sept distilleries de whisky en activité. Aujourd’hui, on en dénombre plus d’une centaine et tout décompte exact serait immanquablement dépassé le jour de sa publication. À vrai dire, nous ignorons combien de distilleries sont en activité, car certaines préfèrent rester discrètes, et des dizaines de projets sont bel et bien en cours de réalisation, de sorte qu’il se pourrait bien qu’en l’espace de quelques années le Japon compte plus de distilleries que l’Écosse.
Une croissance de ce type peut-elle être durable ? L’avenir nous le dira, mais du moins pour les prochaines décennies, les amateurs n’auront que l’embarras du choix lorsqu’ils voudront déguster un whisky japonais. À la santé du prochain siècle de production de whisky au Japon, et au-delà ! Kanpai !