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Les marques et distilleries ont fini par nous sensibiliser à l’importance de la maturation. Mais du coup, elles ne nous parlent plus que de bois. Sans que l’on comprenne toujours de quoi il s’agit exactement. Explications.

 

Tu as remarqué ? Ces derniers temps, pour choisir un flacon au rayon whisky, un CAP « charpentier bois » – « menuisier » à la rigueur – s’avère mille fois plus utile qu’une roue des arômes ou la carte des régions d’Ecosse. Regarde les mentions sur l’étui : Sherry Wood, Sherry Cask, First Fill Sherry, Sherry Finish (l’époque est très sherry je t’aime, et on revient bientôt sur le sujet), Bourbon Cask, Double Wood, Double Matured, Double (ou Triple) Cask, Bourbon Cask, Bourbon Hogshead, American Oak, European Oak, Madeira (ou Port, ou Cognac, ou Wine, ou ce que tu veux) Cask, Virgin Oak… On ne te parle que de bois. De fûts. De chêne, la plupart du temps. Tu pars acheter un single malt et tu rentres avec un fagot sous le bras.

 

De fait, quand tu interroges les maîtres assembleurs écossais, tous s’accordent pour estimer qu’un single malt doit entre 50 et 70% de son goût final au chêne, autrement dit aux fûts dans lesquels il a vieilli. Le mentionner sur l’étiquette n’a donc rien d’inutile ni d’anecdotique. Et entendons-nous bien : loin de moi l’idée de critiquer cette initiative. Bien au contraire. J’applaudis des deux moufles dès qu’une marque imprime sur l’étui (ou sur son site internet) la cœlioscopie de ses gnôles. #Tranparency. Autre avantage : quand tu lis les mêmes mentions sur une immense majorité de flacons, tu comprends que la standardisation de la production n’est pas qu’une vue de l’esprit.

 

« On a fini par faire passer le message sur l’impact des fûts, du vieillissement, me disait récemment un master blender. On peut parler de types de barriques, de finish : le consommateur pige à peu près les bases. Mais du coup, on ne lui parle plus que de cela ! La source des arômes, le cœur du whisky et d’une distillerie, c’est la fermentation, mais bon courage pour aller expliquer les levures ! Alors que des fûts, tout le monde visualise. »Tout le monde visualise, certes. Maintenant, il s’agit de comprendre. Alors, on récapitule si tu le veux bien.

 

Tu me suis toujours ou je t’ai perdu?

 

L’inscription Sherry Cask (fût de sherry) ou Sherry Wood signifie que le fût a contenu du xérès, selon la traduction française (et non pas des cerises, cherryavec un c en anglais), avant d’être rempli de whisky. En réalité, cet intitulé ne dit pas grand-chose en soi, mais je t’ai promis qu’on reviendrait bientôt sur le sujet, alors sois indulgent pour le teasing. Si le type de xérès (oloroso, fino, pedro ximenez…) est spécifié, tu y vois déjà un peu plus clair : et je te renvoie aux explications de Rachel Barrie, la master blender de GlenDronach, BenRiach et Glenglassaugh, ici. Comme elle le détaille dans le même papier, plus important encore est le type de bois qui a contenu le sherry et bercera le whisky : chêne européen ou américain ? Chacun apportera des arômes différents à ton malt.

 

Certaines indications sur l’étiquette de la bouteille concernent la taille du fût : barrel (200 l environ), hogshead (250 l environ), butt (500 l à la louche) – pour citer les plus fréquents – n’impactent pas le whisky de la même façon. Plus le rapport bois/liquide est favorable au premier, plus son influence sur le whisky se fait sentir. Traduction : un single malt extrait davantage de composés du bois s’il est logé dans un fût de 200 l que s’il patiente dans un foudre de 2.000 l, pratiquement inerte. Tu me suis toujours ou je t’ai perdu ?

 

Finish et double maturation : ne pas confondre

 

La mention Bourbon Cask ou American Oak disent en fait la même chose : le whisky a roupillé dans des fûts de chêne blanc américain ayant contenu d’abord du bourbon. Avant leur première utilisation, la paroi intérieure de ces tonneaux a en outre été carbonisée au lance-flamme (ce qu’on appelle le charring), et cette opération obligatoire dans le bourbon mais rare sur les fûts européens impactera elle aussi le goût du liquide. Guette surtout les mots First Fill ou Refill, cette précision est cruciale. First fill (premier remplissage) t’indique que le fût, avant d’accueillir le whisky, n’avait connu que son tout premier contenu (bourbon, xérès, vin…). C’est donc une barrique jeune, active, qui « déteindra » puissamment sur le single malt et maximisera les échanges entre le bois et l’alcool. Alors que Refill te signale un tonneau qui, outre son liquide d’origine, a déjà servi à faire vieillir du whisky. Le bois, un peu (beaucoup) fatigué, relâche ses aromes avec moins de densité, à la manière du sachet de thé avec lequel on se prépare une deuxième tasse. Pour simplifier, un whisky élevé en first fill sera très marqué par le chêne, tandis qu’un autre vieilli en refill laissera plus subtilement s’exprimer le caractère de la distillerie. En général, ne te bile pas : les deux sont assemblés.

 

Double Maturation, Double Cask ou Double Wood peuvent suggérer deux choses : soit le whisky a d’abord vieilli dans un type de fût (ex-bourbon par exemple) avant d’achever sa maturation dans un autre (mettons un ex-fût de xérès), soit il est le fruit d’un assemblage de ces 2 types de fûts. Dans ce second cas, le blender marie des whiskies qui ont intégralement vieilli en fûts de bourbon avec d’autres intégralement élevés en barriques de xérès, pour te donner un exemple. Les choses se corsent avec les Triple Maturation, Triple Cask ou Triple Wood (ne rigole pas, regarde chez Laphroaig, Macallan, Aberlour, Auchentoshan…), mais tu as saisi l’idée ?

 

La pratique s’avère très différente de celle des finishes (affinages) : là, le whisky subit une courte maturation terminale (moins d’un an, parfois quelques semaines seulement) dans un type de fût différent, afin de se gorger d’arômes supplémentaires. La technique a connu un essor spectaculaire ces dernières années : rien de tel pour donner des couleurs à un jus jeune ou mou du genou que de le passer quelques mois en fûts first fil hyperactifs de xérès (ah, le fameux sherry finish) ou en tonneaux de chêne vierge.

 

Ces pratiques ont néanmoins le même objectif : enrichir le whisky en multipliant les apports aromatiques, ou en l’emmenant dans une autre direction – par nécessité ou par désir. Prends la trilogie trentenaire des Rare Casks de Bruichladdich, sortie l’hiver dernier. Tu sentais un bel ouvrage vieilli en refill datant d’une époque où on ne s’embarrassait pas de sélectionner la futaille, judicieusement pimpé en first fill les 4 dernières années de maturation : ô bonheur ! Quand le travail est bien fait, on se régale de cette complexité et de cette profondeur accrues. Mais quand les finishes barrent dans tous les sens, te donnant l’impression de téter une infusion de copeaux acidulés, avoue que tu te poses des questions (vais-je me servir un rhum ?, par exemple – te fatigue pas, on fait la même chose dans les Caraïbes).

 

Au fond, toutes ces indications de menuiserie sur l’étui t’en révèlent moins que tu ne l’espérais sur le goût du whisky. Rien de comparable entre le Triple Cask de Macallan et celui d’Aberlour, pour prendre 2 sorties récentes. Si ce n’est un univers gourmand et une partie de leur nom en commun. On achète un whisky pour tout un ensemble de facteurs – son goût, son profil, son prix, son nom, son âge, sa philosophie, son univers, son pouvoir évocateur, sa capacité à nous faire rêver, à nous émouvoir, son packaging parfois… La maturation entre dans les deux premiers critères, mais réduire un flacon à cette seule étape ne mériterait-il pas parfois quelques coups de pied aux fûts ?

 

Par Christine Lambert

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