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Avec “Le Nez du bourbon”, les éditions Jean Lenoir nous livre un réjouissant livre-objet pour s’initier et/ou se perfectionner dans l’identification et la reconnaissance des arômes du whiskey américain.

« Cette note un peu musquée, là, ça me rappelle… Bon sang, je l’ai sur le bout de la langue – ou du nez. Si, si, je sais ce que c’est, attends, ça va me revenir… Bon, ça ne me revient pas. » Allez, avouez : combien de fois avez-vous vécu cette scène familière, le nez ventousé au col tulipe, les yeux dans le vague, fouillant les tréfonds de votre mémoire en quête d’une clé olfactive ?
Damned, qu’il est frustrant de se perdre dans la forêt dense des arômes lorsqu’on apprécie les joies de la dégustation en amateur ! J’ai déjà moult fois creusé le sujet (ici par exemple), mais les éditions Jean Lenoir présentent juste à point un formidable outil pour apprendre à identifier et mémoriser les odeurs du plus accessible des whiskies : le bourbon.
Le Nez du bourbon vient compléter une riche collection initiée il y a quelque quarante ans avec Le Nez du vin, et poursuivie avec, entre autres, le Nez de l’armagnac, le Nez du café ou le Nez du whisky, somme colossale dédiée à notre spiritueux d’élection. Grâce au même principe : un coffret de fioles scellées concentrant les arômes les plus emblématiques de l’eau-de-vie à explorer, doublé d’un livret explicatif.

Le bourbon, moins intimidant que le scotch pour s’initier
Pourquoi désolidariser le bourbon du whisky ? Pour s’initier à l’olfaction, le spiritueux états-unien offre un terrain de jeu moins intimidant que le scotch, moins complexe également en raison de sa matière première principale (le maïs cuit révèle moins de nuances que l’orge maltée brassée). Vanille… Caramel… Chêne… Quand on goûte un bourbon, l’essentiel de la dégustation se bâtit souvent sur ce triangle, reste à identifier les épices : cannelle ? Clou de girofle ? Noix de muscade ? Si le Nez du bourbon rassemble 12 fioles contre 54 pour le Nez du whisky, ne me dites pas que je caricature !
Conséquence directe pour vos finances : ce volume est également plus abordable, 75€ contre 300€ pour le Nez du whisky. Les matières premières utilisées, naturelles autant que possible et sourcées le plus souvent auprès de fournisseurs de la haute parfumerie, ont un coût parfois prohibitif – environ 1.000€ le kg de vanille pour des besoins s’élevant à 60-70 kg par an. Cette fraîcheur garantit une utilisation des fioles jusqu’à dix ou quinze ans pour peu que le livre soit conservé à l’abri de la lumière et de la chaleur – et que vous évitiez d’intervertir les bouchons !
« Il n’y a pas de vérité objective des odeurs, rappelle Viva Lenoir, coordinatrice de l’ouvrage. Untel percevra puissamment un arôme là où une autre personne, dans la même situation, ne sentira presque rien. » (Je vous contais ici l’histoire de ce maître assembleur incapable de déceler les molécules responsables des notes de noix de coco.) Ce que vous identifiez comme une odeur de caramel ou de crème anglaise, un autre le percevra comme du sirop d’érable ou du flan. Plus étonnant ? Vous sentez des notes d’ananas dans votre whisky mais votre voisin y renifle de la fraise : de fait, ces deux fruits possèdent des molécules en commun, de même que certaines roses et le litchi, ou l’amande et la cerise.


Décoincez-vous du bulbe !
« Le Nez du bourbon est un alphabet olfactif, un système d’apprentissage et non pas le maître étalon des bonnes et des mauvaises réponses, insiste Viva Lenoir. En humant les fioles, vous êtes invité à faire le lien entre une odeur et son souvenir puis à en retrouver le chemin d’accès. » Le système olfactif, dans notre cerveau, s’appuie sur le siège de la mémoire. Cet arôme vous rappelle le dentiste ou le réveillon de Noël ? Clou de girofle, autrement dit eugénol, présent dans les bains de bouche ou le ciment dentaire… et plus agréablement dans le pain d’épices.
Un bref raccourci d’anatomie pour commencer ? Quand vous approchez les narines de votre verre de whisky, les composés volatiles atteignent l’épithélium olfactif, une fine membrane logée au fond des fosses nasales dont les cils transforment les molécules odorantes en signal électrique. Ce signal est illico transmis au bulbe olfactif via des nerfs qui comptent parmi les plus fins et les plus fragiles du cerveau.
Si vous n’êtes pas trop coincé du bulbe, l’information est alors traduite en émoji neuronal compréhensible pour le cortex piriforme, une région dédiée à l’apprentissage, l’attention et la mémoire olfactive proche de zones impliquées dans la mémorisation et les émotions. Ce qui explique que l’on fasse souvent le lien entre un événement, une odeur et une sensation. Bonne nouvelle, le cortex piriforme est capable d’une certaine plasticité. Autrement dit, votre mémoire olfactive peut se muscler.

Quand la vanille sent le mouflon…
En guise d’haltères du cortex, des fioles que le Nez du bourbon vous incite à renifler en vous concentrant sur les évocations qui traversent vos méninges. Répétez ensuite l’opération avec le whisky jusqu’à parvenir à placer des mots sur le spiritueux.
Les céréales, les levures pendant la fermentation, le chêne pendant la maturation : trois sources d’arômes seulement donnent toute sa complexité à votre whisky. Des notes de miel ? Elles signalent la présence d’esters, particulièrement l’acétate de phénétyle, formés lors de la fermentation et éventuellement extraits du bois lors du vieillissement. Des parfums de caramel et de vanille ? Ils se créent lors du brûlage de la paroi intérieure du fût, étape obligée de la production du bourbon : le premier associe notamment maltol, éthyl-maltol et furanol, la seconde provient de la vanilline, présente dans le chêne américain et accrue par la dégradation des lignines du bois pendant le bousinage – et pour info, à force concentration, la vanille pure sent l’étable, la vache et le mouflon, pas l’orchidée du Mexique ! Une jolie fraîcheur mentholée ? Menthol et l-carvone très certainement, deux molécules caractéristiques du seigle, tout comme le poivre.
« N’importe qui peut prendre plaisir à écouter une symphonie, mais c’est seulement en étudiant qu’on apprend à distinguer chaque instrument, conclut Viva Lenoir. Idem avec les odeurs. On ne naît pas nez, on le devient, en s’exerçant, en perfectionnant ce sens très personnel qu’est l’olfaction. » Vanille, caramel, chêne… Voilà pour la première phrase. A vous d’écrire la suite.

 

Par Christine Lambert

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