N’en déplaise aux carnivores, un vent iodé souffle sur la capitale. Une tendance qui touche également les bars à cocktails. Dans ces oyster bars à la mode new-yorkaise, les huîtres siglées s’accompagnent de cocktails. Des alliances inédites synonymes d’expériences nouvelles.
Longtemps cantonnées aux grandes brasseries parisiennes, perchées en douzaine sur hauts plateaux, telle des mondaines sur leurs stilettos, les huîtres s’encanaillent. Ces derniers temps, qu’elles soient Normandes, Bretonnes ou Occitanes, elles squattent les bars à cocktails et font de l’œil aux trentenaires en mal de nouvelles sensations. Parce qu’elles ne se contentent pas de sortir de leur zone de confort. Aujourd’hui, ces perles marines, des grands crus élevés par des ostréiculteurs passionnés et engagés, ont même l’audace de snober les cuvées de vin blanc pour s’acoquiner avec les cocktails. Des drinks créés sur-mesure histoire de sublimer leur caractère iodé. Des créations qui bannissent logiquement le sucre et peuvent être considérées comme des assaisonnements. Alors, oubliez citron et autre vinaigre à l’échalote : désormais l’huître se déguste pure, dans son plus simple élément. Escortée d’un cocktail, bien sûr !
Des oyster shots de saison
Le Mary Celeste, fondé il y a cinq ans par la team de Quixotic Projects, également à la tête de la Candelaria, Glass et des Grands Verres, est le premier bar à cocktails parisien à avoir mis les huîtres à l’honneur de sa carte food. Fines de Claire d’Oléron ou Belles de Cordes et Utah Beach de Normandie : la sélection est courte mais pointue. Pour les accompagner, la carte des vins tendance nature tient elle aussi toutes ses promesses. Mais si vous avez envie de bousculer vos habitudes, oubliez le temps d’une soirée le verre de vin blanc qui leur tient habituellement compagnie et laissez vous tenter par un oyster shot. D’autant qu’à 4 euros l’huître escortée de son shot servi dans un jigger, la prise de risque est limitée et l’expérience très intéressante. «Nous proposons un shot composé d’aquavit Aalborg, pickles d’ananas et piment jalapeño et un autre fait de rye whiskey Rittenhouse, pickles de coings et xérès oloroso, explique Carlos Madriz, directeur des Opérations de Quixotic Projects. Ce sont des recettes élaborées avec des produits de saison ; des cocktails pas très forts en alcool qui peuvent se boire facilement. L’idée est avant tout de s’amuser.» De prendre du plaisir aussi ! Entre les notes de cumin de l’aquavit relevées par le piment du premier qui est très vif et les arômes plus ronds et acidulés du second, récemment créé par la barmaid Diane Vandenbroucke, associés au côté iodé des huîtres, ces dernières prennent vraiment une autre dimension.
«L’acidité et la minéralité, tout comme les notes vinaigrées, pimentées et même fumées fonctionnent très bien avec les huîtres, précise Carlos. Son seul ennemi, c’est le sucre. On peut aussi tout simplement remplacer le citron par une goutte de spiritueux que ce soit un mezcal, un aquavit ou un single malt. Avec un Bruichladdich par exemple, je trouve que c’est très subtil.» Effectivement, chacun à leur façon, les spiritueux leur apportent du peps et mettent leur caractère en valeur tout en offrant de la complexité. Autant dire que c’est une – très bonne et très simple – idée à retenir si la création de shots maison vous paraît compliquée. À Paris, les amateurs de seafood se retrouvent également chez Istr. Il faut dire que l’adresse fondée par Philippe Morin, Pascal Gauthier et Pierre Smague, il y a bientôt deux ans, se la joue très marine. Dans la catégorie oyster bar, elle s’impose même comme une référence. «Nous nous sommes inspirés des oyster bars new-yorkais, raconte Philippe Morin. En France, les huîtres se dégustent principalement dans les brasseries. Ça a son charme mais on avait envie de proposer quelque chose de plus spontané. Chez Istr, on peut passer manger quelques huîtres à l’apéritif, en entrée ou même après dîner et les déguster avec un cocktail. Notre savoir-faire, c’est la mer… et les cocktails !»
Des oyster expériences exclusives
En matière d’huîtres et de cocktails, vous pouvez faire confiance au gaillard Breton, qui a grandi face aux parcs à huîtres de Marc Herry et joue des shakers depuis plus de dix-sept ans. Qu’il s’agisse des Spered de son compatriote du Morbihan, des huîtres de la famille Cadoret installée depuis cinq générations dans l’estuaire du Bélon, au cœur du Finistère, des Bretonnes de Prat-Ar-Coum ou encore celles de Tarbouriech élevées dans la lagune de Thau, dans le Languedoc-Roussillon, elles n’ont plus de secrets pour lui. Sa sélection digne des plus grandes maisons le prouve aisément et semble l’inspirer côté cocktail. Pas moins de quatre drinks ont en effet été pensés pour leur tenir compagnie à l’image du Jeanne de Belleville (gin, lime juice cordial, absinthe, basilic) ou du Pen Duick (vodka, vinaigre pickles d’ananas, vermouth dry infusé aux algues wakame). Quant à l’Istr Shot, il va encore plus loin puisque l’huître, une Cadoret n°5, fait partie intégrante du verre fait de vodka, jus de tomate, poivre et pickles céleri. Mais le plus surprenant, ce sont certainement les “oyster expériences” à la carte depuis cet hiver : lorsque l’huître accueille le cocktail version shot directement dans sa coquille. Ces “bouchées marines” très travaillées comme cette n° 3 de Cadoret garnie de mezcal Bruxo n°1, granité pomme/céleri et poivre de Timut ou la n°2 de Prat-Ar-Coum agrémentée du cognac Fine Pale de Bourgoin et d’eau d’héliantis glacée, s’imposent véritablement comme une expérience inédite.
Chez Istr, on peut aussi s’offrir des huîtres en mode tempura ou en version Rockefeller, une recette traditionnelle nord-américaine. Elles sont habillées d’une tombée d’épinards frais au beurre, de poitrine de cochon croustillante, de parmesan et d’un sabayon gourmand puis légèrement grillées. Pour ce genre de propositions, c’est Julien Kerwien, le chef ayant fait ses classes au Grand Véfour et à La Table de Joël Robuchon, qui a carte blanche et toujours Philippe qui vous proposera un cocktail pour un perfect pairing. Sachez aussi que, rue Notre-Dame-de-Nazareth, tous les jours de 18h à 20h, c’est l’happy hour. Il serait d’ailleurs plus juste de parler d’oyster hour puisque ce sont une fois encore les huîtres qui ont la vedette : les Creuses de Bretagne de Cadoret sont à 1 euro pièce et le cocktail travaillé en accord est facturé 10 euros. À ce prix-là, lorsqu’on est amateur, ce serait dommage de ne pas se faire plaisir.
Des drinks sur-mesure
Rive Gauche aussi, les huîtres flirtent avec les cocktails. Et c’est Christopher Gaglione, le propriétaire de Solera, qui joue les entremetteurs. Technique, l’ancien chef barman du Prince de Galles se veut aussi accessible et, au-delà de ses cocktails, il prend soin de l’accueil et aime échanger avec ses clients. Avec sa carte “foodrink experience”, où l’huître a une place de choix, en plus de proposer une nouvelle expérience, il souhaite créer du lien. «J’ai réellement découvert les huîtres lorsque je travaillais au Café de la Paix, explique-t-il. Même si elle a goût très particulier, elle se marie très bien avec certains cocktails élaborés à base de gin, de whisky ou de vodka : il y a beaucoup de possibilités. L’idée aussi, c’est que cette découverte soit ludique et très visuelle grâce aux objets de service.» Son Bistropolitain composé de gin Bombay Sapphire, jus de citron jaune, cordial elderflower, eau saline et bitters lavande, le prouve aisément. Il débarque en effet sur un petit plateau composé de trois coquilles : deux en porcelaine accueillant le cocktail et entourant une huître, une spéciale Gillardeau n°2. Le tout pour 12 euros, c’est-à-dire le prix – raisonnable – d’un cocktail. Il ne vous reste plus qu’à déguster la première “coquille-cocktail” pour vous “faire la bouche” puis gober l’huître, sans oublier de la mâcher pour apprécier pleinement ses notes noisetées, et terminer la dégustation avec la dernière “coquille-cocktail”. Si l’huître est assaisonnée par le cocktail, ce dernier est également boosté par la Gillardeau.
Dans la famille des oyster bars, la récente ouverture de Bulot Bulot n’a pas manqué de faire le buzz. Rien d’étonnant : ce comptoir marin imaginé par le Normand Étienne Ryckeboer est petit par sa taille mais grand par sa sélection et son accueil. Le lobster roll élaboré avec un pain de mie toasté et beurré aussi gourmand que croustillant s’affiche comme un concurrent de taille mais les huîtres sont naturellement à l’honneur. Et ici, les spéciales d’Isigny-sur-Mer et d’Utah Beach ou les plates de Belon se dégustent en compagnie de cocktails signés Margot Lecarpentier, l’une des trois associés de Combat, le bar à cocktails qui place Belleville très haut sur la scène cocktail parisienne. «Pour cette toute première carte, nous avons principalement travaillé sur des classiques simples mais très bien exécutés, précise Margot. En France, contrairement à New York, les accords huîtres et cocktails peuvent encore être déstabilisants. Et puis il s’agit d’un produit sensible et délicat qu’il ne faut pas anéantir. Mais on peut être plus audacieux avec des drinks très épicés ou fumés.» Si Étienne a un faible pour le Moscow Mule (vodka, jus de citron frais, cordial de gingembre, ginger beer), on a tenté le Classic Sbagliato (vermouth Dolin, Campari, vin pétillant naturel) avec les Utah Beach et, même si cela peut paraître surprenant, l’amertume leur va aussi très bien. Pour terminer en beauté cette virée marine, direction La Reine Mer. On vous l’accorde, c’est un peu hors sujet puisque dans cette poissonnerie-traiteur-restaurant d’un genre nouveau, qui vient d’ouvrir dans le 11e arrondissement, les cocktails ne sont pas encore à la carte. Mais Grégory Areinx, le boss, qui ne jure que par la pêche française et durable, y pense très sérieusement. En attendant, vous pouvez toujours squatter le comptoir pour l’happy oyster : de 17h30 à 19h, les six huîtres et leur verre de vin sont à 9 euros. Classique mais efficace.
Par Cécile Fortis
Adresses :
Mary Celeste : 1 rue Commines, Paris 3e
Istr : 41 rue Notre-Dame-de-Nazareth, Paris 3e
Solera : 283 rue Saint-Jacques, Paris 5e
Bulot Bulot : 83 rue des Martyrs, Paris 18e
La Reine Mer : 1 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris 11e