Skip to main content

Alors que le Long Drink Genever de la distillerie de Houlle vient d’être sacré meilleur genièvre au monde lors des World Gin Awards, nous proposons de publier à nouveau cet article sur cette maison mythique du Pas-de-Calais.
EN 1802, la famille Decocq commençait, à Houlle dans le Pas-de-Calais, la production de genièvre, cet alcool de grains de genièvre aromatisé aux baies de genévrier. Deux cents ans plus tard, du vieil alambic en cuivre sort un nectar aux accents emprunts des caractères riches, généreux et subtils de la région. Alors que Whisky Magazine s’apprète d’ici quelques jours à publier un grand dossier Spécial gin français, c’est l’occasion de revenir sur son histoire avec cet article de 2014.

 

Dans le Nord, on l’appelle LE Houlle. Comme pour bien le différencier de son homonyme féminin et maritime. Et pourtant, avec le Genièvre de Houlle, si l’on n’y prend garde, le sol peut se dérober sous nos pieds. Le Genièvre, c’est cet alcool de grain (seigle, avoine, orge maltée), une eau de vie aromatisée aux baies de genévrier. Ici, à quelques kilomètres au Nord de Saint-Omer dans le Pas-de-Calais, c’est surtout une histoire d’eau, de terre, d’hommes, et d’esprit.

Au commencement, était l’eau, celle de deux rivières, la Houlle et l’Aa (l’eau en langue germanique), bien connue des cruciverbistes, et celle qui arrose les innombrables kilomètres du Marais audomarois. La terre ensuite, hésitante entre colline d’Artois et Houtlandflamand, arrachée à la mer des siècles durant à la force du poignet, une terre riche, lourde, chargée d’histoires, les petites comme la grande. Les hommes, les frères Persyn, Hughes et Jean-Noël, qui ont pris la suite de leur père, et leur dizaine d’employés, des passionnés tout comme eux. L’esprit enfin, c’est celui de cette eau de vie qui dans la région est inséparable de la gastronomie locale.

 

Le courage des Hollandais

Le genièvre, ou G’nief comme l’appelait Verlaine dans ses Confessions, n’est pas un alcool comme un autre. Verlaine, Baudelaire, Cendrars ou Simenon l’invitent à leur table. Aragon écrira à Elsa, « J’ai flambé comme un Genièvre, à la Noël, entre tes doigts ». Pur produit d’un terroir qui défend bec et ongles ses traditions, et exhume dans le passé des témoignages de sa fierté, il est fait de produits de la région. On raconte qu’il aurait été inventé par un médecin hollandais, après une épidémie de peste noire qui ravageait le pays. A l’époque, on le surnomme le « courage des hollandais ». Inutile de faire un dessin, les grands voyageurs bataves se donnent du cœur au ventre sur les océans avec force coups de gnôle. A la même époque et jusqu’à la fin du XVIIe siècle, Artois et Flandres sont sous domination espagnole. La couronne refuse le droit d’y distiller. La terre devenue française, Louis XIV freine à son tour des quatre fers, préférant préserver le monopole des Bordelais dans la production d’alcool de vin. Le genièvre continuera donc d’être importé de Hollande. Les armateurs des côtes de Flandres et d’Artois se frottent les mains. Pas pour longtemps.

En 1775, à Dunkerque, deux téméraires, Stival et Carpeau demandent à Louis XVI l’autorisation de créer une distillerie et de produire du gin, « non comme boisson, telle qu’eau de vie de vin, mais comme liqueur et remède, en bouteille cachetées, ficelées et étiquetées ». Pour justifier leur demande, ils assurent que la prohibition qui frappe ces alcools a « privé d’une secours précieux les Citoyens qui, habitants les parties marécageuses de la France, contractent des maladies dont l’eau-de-vie de Genièvre peut seule les garantir ». Rien que ça ! Et pour appuyer leurs demandes, n’hésitent pas à dire que la production, faite en France augmentera la balance commerciale, au détriment du voisin Hollandais. On est loin, bien loin de la mondialisation. Le Roi cède ! Au grand dam des armateurs de la cité du corsaire Jean Bart, qui redoutent une baisse significative du commerce avec leur voisin.

 

Du brouillard et des espions

Et pour cause, l’alcool est depuis quelques décennies au cœur d’un gigantesque trafic. Importés par les soldats anglais venus guerroyer aux Pays-Bas vers 1740, le genièvre et son petit cousin le Gin sont d’abord produits à Londres. Les lourdes taxes imposées par la couronne découragent vite les producteurs, pas les consommateurs. Dans des bateaux baptisés smoglers, des barriques d’alcool transitent vers les rives de la perfide Albion. Smoglers, en référence au smog, le fameux brouillard, qui permet aux trafiquants de s’adonner quand la nuit se fait compliceà leur commerce. Bien plus tard, Napoléon, au plus fort du blocus continental qu’il impose envers l’Angleterre, ferme les yeux sur cette activité, qui permet à l’Empire de faire transiter des informateurs vers Londres. Du brouillard, de l’alcool et des agents secrets ? On n’est pas loin du cinéma…

Mais revenons à nos deux Dunkerquois. Pour commencer la production à la Citadelle de Dunkerque, les deux compères n’ont pas le choix, il faut obtenir des hollandais eux-mêmes les fameux alambics en cuivre. Côté batave, on ne l’entend pas de cette oreille. S’ensuit alors une histoire rocambolesque d’espionnage industriel. Stival et Carpeau envoient deux chaudronniers parlant néerlandais se faire embaucher dans une distillerie hollandaise. Leur mission : ramener les secrets de fabrication du genièvre et surtout des alambics. Au bout de quelques mois, forts de leurs informations, les deux espions reviennent et fabriquent pas moins de douze alambics en cuivre.

 

Le temps des estaminets

C’est la révolution qui va donner le coup d’envoi d’une commercialisation généralisée sur le territoire national, toutes les interdictions commerciales étant alors levées. Les distilleries tournent à plein régime. Dans le Nord de la France, dès 1810, elles seront au nombre de 72. C’est la grande époque des estaminets, ces asiles de la flâneriecomme les baptisera Baudelaire, que les journalistes d’alors appelleront les assommoirs. « C’est là que l’ouvrier s’enivre et que la femme se dégrade. Chaque coin de rue reçoit l’installation d’un assommoir. Nous le demandons très sérieusement, veut-on abrutir le peuple par l’ivrognerie ? » s’insurge un journal à l’époque. Ainsi en Belgique, on compte un estaminet pour 42 habitants. Rien que l’agglomération de Bruxelles rassemble 8 099 débits. Parmi eux, un tiers vend exclusivement du Genièvre. Mais du genièvre de basse qualité, à la manière flamande, pas à la manière hollandaise, comme on l’appelle. La fameuse bistouille (prononcez bistoul’), une goutte versée dans le café noir devient bien vite le « courage des mineurs ».

A Houlle donc, la famille Decocq, solidement implantée dans la région, développe son activité dans le transport fluvial, la construction de bateaux, la culture maraîchère, la meunerie. Et bientôt, pour répondre à un besoin croissant d’eau de vie en Europe, la distillerie. Nous sommes en 1812. Et pendant près d’un siècle, elle va prospérer, préférant la qualité à la quantité. Elle opte très vite pour la « manière hollandaise » de distiller : on fait cuire à feu doux un moût largement dilué, lors de trois passages en alambic. Cette méthode prend plus de temps, produit moins d’alcool, mais le résultat n’a rien à envier aux meilleures distilleries bataves. Elle reste dans la même famille dans un premier temps, puis passe aux mains de leurs cousins Lafoscade. Pendant la première guerre mondiale, la fabrication d’explosifs a besoin d’eau de vie. Les alambics chauffent à plein régime. Après guerre pourtant, face à une production de vin abondante, le gouvernement décide de contingenter la production d’eau de vie. Coup dur pour les distilleries. Celle de Houlle n’est pas épargnée. Jusqu’à 1945, où un cousin des Lafoscade, propose de la racheter. « Nous sommes des artisans » dira Jean-Marie Persyn, le nouvel acquéreur, une figure dans la région, casquette en tweed vissée en permanence sur la tête, autant gentleman que farmerlettré, féru d’histoire, passionné de chevaux et de son terroir. Aidé par d’anciens ouvriers de la distillerie, puis par ses fils, il remonte la distillerie, remet sur pied un genièvre de qualité, révise les modes de distribution, n’hésitant pas à s’occuper lui-même des livraisons. Des 70 distilleries de 1850, il n’en reste plus que trois. Une seule est 100% française, celle des Persyn. En quelques années, le Houlle devient référence culinaire, le petit plus qui vient agrémenter les Poetjevlesch, civet de lapin, gaufres ou sorbets. Aujourd’hui, le Carte Noir, qui titre à 49°, vieilli pendant cinq ans dans des fûts de 300 à 700 hl, offre une couleur foncée. Servi frappé, il offre toute la délicatesse brute du Nord. Et on sent dans chaque petite gorgée, « le soleil, le vent, la pluie, la neige et l’air marin ». On y sent surtout cette histoire, d’eau, de terre, d’hommes et d’esprits. Tout le Nord…

 

Par François de Guillebon

One Comment

  • Sengulen dit :

    Madame Monsieur bonjour, je souhaiterais faire une cure pour arrêter l’alcool et la cigarette le plus rapidement possible.
    Cordialement. Monsieur Sengulen Christophe

Laisser un commentaire

Inscrivez-vous à notre newsletter