Il est peu probable que les navires qui croisent au large du Dornoch Fith s’en aperçoivent, pourtant un nouveau phare surplombe désormais ce bras de mer à l’Est des Highlands, celui de la distillerie Glenmorangie. Inauguré cet automne, le projet The Lighthouse (le phare) comprend en fait deux espaces : une salle de brassage et une salle des alambics. Deux bâtiments aux architectures diamétralement opposées dont les plans ont été confiés au cabinet d’architecture parisien Barthelemy & Griño. L’un des bâtiments, entièrement vitré, surprend autant qu’il intrigue. Rencontre avec les architectes à l’origine du projet.
Poser la question à un amateur éclairé de scotch sur ce qui différencie la distillerie Glenmorangie des autres malts et d’instinct la réponse fusera : la hauteur des alambics. Ses long cols en cuivre de plus de 5 mètres dessinent des single malt aux contours fruités et floraux, devenus au fil du temps le signe distinctif de la marque. Cette nouvelle salle des alambics, cubique et entièrement vitrée, semble posée entre les autres bâtiments de la distillerie. Elle abritera deux nouveaux alambics qui permettront de pousser un peu plus loin le champ de l’expérimentation lors des différentes étapes de création des futurs single malts.
Derrière les vitres du cube, les deux nouveaux alambics ont été imaginés pour être les plus modulables possible, permettant d’obtenir des eaux-de-vie plus lourdes ou plus légères selon la hauteur des alambics. La salle de brassage est elle aussi pensée comme un laboratoire, plus que comme une salle traditionnelle de travail. Les cuves permettront ainsi de travailler sur la transparence des moûts ou sur la variété des souches de fermentation.
Un terrain de jeu idéal pour Bill Lunsden, Maître Distillateur de la marque depuis pas moins de 25 ans. Introduit dans le Hall of Fame du Whisky Magazine britannique en 2019, Lunsden incarne cette constante recherche d’innovation tant il a, au cours de sa carrière, repoussé un peu plus les limites de l’expérimentation de la marque, détenue en majorité par LVMH.
Barthélémy Griño, Distillerie Glenmorangie, Tain, Royaume-Uni, 2021, ADAGP Paris © The Glenmorangie Company – Photographe: Mel Yates
Philippe Barthélémy, le co-fondateur de l’agence Barthélémy Griño et Ludovic Masson, directeur de l’agence en charge du projet The Lighthouse, reviennent pour nous sur ce qui fait la singularité de ce nouveau lieu.
Comment et pourquoi avoir répondu à l’appel d’offre de Glenmorangie ?
Philippe Barthélémy : L’agence Barthélémy Griño, que j’ai fondée il y a plus de trente ans avec Sylvia Griño, a le plaisir de collaborer de très longue date avec le groupe LVMH. Le global store Louis Vuitton de Kobe (2002), celui de Guam (2006), et la manufacture Berluti au sud de Ferrare, dans la plaine du Pô (2016) en témoignent. Basés à Paris, nous avons toujours travaillé à l’international, sur tous types et échelles de programmes. Au-delà de cette pluridisciplinarité qui définit l’agence, ce sont les questions de résolution technique qui nous passionnent.
Lorsque The Glenmorangie Company nous a contactés en 2016 pour nous proposer de participer au concours portant sur l’extension de leur site historique à Tain, nous étions très enthousiastes.
Transcrire l’identité de la marque, créer une véritable valeur ajoutée pour les équipes et les visiteurs
Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce projet ?
Ludovic Masson : Ce projet est une opportunité exceptionnelle de rendre hommage à des savoir-faire ancestraux. Une manière de valoriser un patrimoine immatériel en l’incarnant à travers l’écriture architecturale. L’intérêt du projet est à la hauteur de ses enjeux : transcrire l’identité de la marque, créer une véritable valeur ajoutée pour les équipes et les visiteurs, redynamiser l’image du site, exprimer la quête de perfection de cette maison renommée et offrir à la distillerie un bâtiment actuel très performant.
Comment décririez-vous le bâtiment ?
P.B. : Nous avons conçu un projet à mi-chemin entre tradition et modernité. Deux nouveaux bâtiments prennent place dans l’enceinte de la distillerie. Le premier, épuré, entièrement vitré, dit « Lighthouse », surplombe le site de ses 20 mètres de hauteur. Le volume érigé, cubique, se distingue par ses arêtes franches et sa transparence manifeste qui lui confèrent légèreté et pureté. Ecrin iconique de deux alambics monumentaux, la Lighthouse abrite également, au dernier étage, un laboratoire de création et de dégustation, offrant une vue panoramique sur les paysages grandioses des rives de la mer du Nord.
Cet édifice, complété d’une annexe construite partiellement en maçonnerie de pierre locale à l’instar des entrepôts existants, parachève un équipement à la pointe de l’innovation.
Le projet célèbre la richesse de son histoire, tout en symbolisant son renouveau
Pourquoi le choix de la transparence dans les matériaux ?
L.M. : La conception de la Lighthouse s’est faite dans une double logique : faire disparaître toute sémiologie industrielle, technique ou infrastructurelle, et mettre en place une écriture cinétique, vibrante de l’enveloppe afin d’en alléger la masse. Aucune cheminée ou machinerie ne débordent du bâtiment. L’iconicité formelle et la transparence de son enveloppe trouvent leur fondement dans le rôle central qu’elle tient pour la distillerie.
Sa façade cristalline laisse entrevoir les deux alambics monumentaux qu’elle accueille. Au second plan, l’enveloppe vitrée fait apparaître un parement en bois, de la même essence que les tonneaux de whisky.
P.B. : La matérialité s’inscrit dans l’histoire du lieu, tout en incarnant le caractère résolument contemporain de la distillation.
Le choix de la transparence nous est apparu comme une évidence. La Lighthouse reflète les cieux changeants de la baie et s’intègre avec justesse au sein du paysage qui l’environne.
En quoi la Lighthouse apporte-t-elle, selon vous, une vision nouvelle d’une distillerie ?
L.M. : Le soin particulier apporté aux détails de construction de la Lighthouse, conçue comme un laboratoire inspirant de haute-technologie… devenant le symbole d’une maison de whisky écossaise tournée vers l’avenir.
P.B. : L’intelligence des mains et la transmission des gestes sont retranscrites dans le soin apporté aux détails constructifs du bâtiment. Ici, les secrets ancestraux de distillation auront tout le loisir de laisser libre cours à une créativité inégalée, de donner lieu à des expérimentations audacieuses. L’écriture architecturale, à mi-chemin entre tradition et modernité, traduit dans son expression formelle à la fois l’identité et le positionnement de la marque, engagée dans une stratégie de développement ambitieuse : Le projet célèbre la richesse de son histoire, tout en symbolisant son renouveau.
Pour l’occasion, la distillerie a récemment lancé une expression du Glenmorangie 12 ans passé en fût de bourbon et de sherry. Un classique qui devrait faire la joie des collectionneurs, puisque seules 3000 bouteilles sont disponibles au shop de la distillerie.
Par Nicolas LE BRUN