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On dit souvent de Caol Ila qu’elle jouit du plus beau panorama de toutes les distilleries côtières d’Écosse, mais pour ce qui est des distilleries implantées à l’intérieur des terres, la toute nouvelle venue ‒ GlenWyvis ‒ serait certainement l’une des favorites à prétendre à cette distinction.

 

 

Elle est en effet sise dans les Highlands, à flanc de coteau (à 170 mètres au-dessus du niveau de la mer) et à 3 km au nord-ouest de la ville de Dingwall, à l’ombre du Ben Wyvis : on y découvre d’un côté un panorama qui s’étend au-delà de Dingwall jusqu’au Cromarty Firth et les monts Cairngorm, et de l’autre jusqu’à la ville thermale de Strathpeffer. Des cerfs-volants rouges virevoltent au-dessus de la distillerie et des moutons de race rare paissent dans les près alentours. Jusqu’ici, rien que de traditionnel et pittoresque.

Mais GlenWyvis est pour le moins novatrice : c’est la première distillerie d’Écosse appartenant à une collectivité d’investisseurs, fonctionnant entièrement en autosuffisance et « hors-réseau », en toute autonomie. Ses bâtiments mêmes associent à une architecture moderne des éléments de distillerie traditionnelle.

GlenWyvis est située dans une région riche en patrimoine de distillation, non loin des Heights of Brae et de la pierre levée moderne érigée à la mémoire de Neil M. Gunn, romancier et ancien agent de l’accise. Celui-ci, l’auteur du classique Whisky and Scotland (1935), vécut à Braefarm House à partir de 1937, après avoir démissionné de son emploi de fonctionnaire des douanes en poste à la distillerie Glen Mhor, à Inverness. C’est à Braefarm qu’il a écrit quelques-uns de ses romains les plus célèbres, notamment sa fresque historique The Silver Darlings.

L’histoire de la production de whisky dans la région rappelle que plusieurs membres de la famille Forbes étaient des distillateurs prolifiques à Ferintosh, en face de Dingwall, sur l’autre rive du Cromarty Firth, c’est-à-dire sur Black Isle qui, comme son nom ne l’indique pas, est une péninsule très fertile. Duncan Forbes fut autorisé à partir de 1690 à distiller du whisky sur ses terres tout en étant exempté d’impôts sur sa production à titre de compensation pour la destruction de sa distillerie incendiée par des sympathisants jacobites. L’abolition en 1784 du « privilège de Ferintosh » fut déploré par le poète Robert Burns : Thee, Ferintosh ! O sadly lost ! Scotland lament frae coast to coast ! [« Ô toi, Ferintosh ! Malheureusement perdue ! L’Écosse te pleure d’une côte à l’autre ! »]

Près d’un siècle plus tard, en 1879, la distillerie Ben Wyvis est fondée à la périphérie de Dingwall par DG Ross, quincaillier, négociant agricole et bailli ‒ l’équivalent d’un président du conseil municipal. Ben Wyvis est cédée en 1893 à la Ferintosh Distillery Co, une filiale de Kirker, Greer & Co. Ltd de Belfast, qui la rebaptise Ferintosh Distillery en l’honneur de l’originale qui se trouvait sur l’autre rive.

 

La dépression économique interrompt la production

Après Ben Wyvis, la distillerie Glenskiach est fondée en 1896 à Evanton. Elle est l’œuvre d’un autre Ross ‒ John ‒, qui s’est attiré dans son entreprise le soutien de négociants en vin originaires de la région et de Londres.

Malheureusement, ni Ben Wyvis ni Glenskiach ne survivent à la dépression économique et sociale de l’entre-deux-guerres : toutes deux mettent la clé sous la porte en 1926. Glenskiach est par la suite démolie, mais les chais et magasins de Ben Wyvis ont été partiellement réaménagés en centre d’affaires.

Le nom Ben Wyvis a connu une brève renaissance, désignant la distillerie de malt en activité de 1965 à 1976 au sein d’Invergordon, le complexe de distillerie de grain de Whyte & Mackay, à quelque 15 km de Dingwall sur la rive nord-ouest du Cromarty Firth. Invergordon est aujourd’hui encore essentielle aux activités de Whyte & Mackay ; deux distilleries modernes, Teaninich et Dalmore, se trouvent à proximité, tandis que la distillerie Ord et sa malterie associée, appartenant à Diageo, sont installées à une dizaine de kilomètres au sud de GlenWyvis.

 

 

Le nom de la nouvelle distillerie commémore les deux distilleries disparues de la région ; l’entreprise doit son existence à l’initiative de son fondateur et directeur général, John McKenzie, un ancien pilote d’hélicoptère de l’armée de l’air, agriculteur et défenseur de la cause écologique.

Comme l’explique Mike Fraser, distillateur de la troisième génération, directeur du marketing et de la stratégie touristique : « John n’était pas particulièrement porté sur le whisky, mais en tant que pilote d’hélicoptère, il avait eu récemment l’occasion d’amener des clients privés visiter des distilleries dans toute l’Écosse, de sorte qu’il a été séduit par l’idée d’ajouter une nouvelle distillerie dans une région si riche en histoire du whisky.Il ambitionnait de créer une entreprise respectueuse de l’environnement qui profiterait également à la collectivité locale. »

 

Financement participatif

Une campagne de financement participatif a été lancée en avril 2016. « On nous avait donné 77 jours pour réunir 1,5 million de livres sterling », rappelle Mike Fraser. « Mais dans le délai imparti, nous avons levé 2,6 millions de livres sterling, de sorte que nous avons construit une distillerieun peu plus grande que prévu ! Soixante pour cent de nos 2 200 investisseurs participatifs sont originaires de la région, plus précisément de la zone de code postal IV [pour Inverness], le reste représente en tout 31 pays différents. »

L’entité fondée sous le nom de GlenWyvis Distillery Ltd est aujourd’hui une Industrial and Provident Society (IPS) [société industrielle de prévoyance], c’est-à-dire, pour l’essentiel, une coopérative. John McKenzie a loué à Upper Dochcarty les quatre parcelles de terrain nécessaires à la construction de la distillerie pour un loyer symbolique de 1 livre sterling, et les travaux de construction ont démarré en janvier 2017. Tout l’équipement a été fourni par la chaudronnerie Forsyth’s de Rothes, y compris la plus petite cuve d’empâtage jamais fabriquée par cette maison, la famille Forsyth agissant également à titre d’investisseur dans le projet. La distillerie ayant été achevée en novembre, son premier distillat a coulé à la fin janvier 2018.

 

 

« Nous avons obtenu l’autorisation de lancer une second campagne de financement participatif », ajoute Mike Fraser, « avec le projet de réunir 750 000 livres sterling, mais on nous a accordé un objectif de 1 million de livres sterling, sans limitation. Le projet d’entreprise repose entièrement sur le financement participatif : la distillerieest la première au monde à être détenue collectivement à cent pour cent par une communauté d’investisseurs participatifs. La valeur nominale de chaque part est de 50 livres sterling, avec une option minimum d’achat de cinq parts. »

Les investisseurs recevront un flacon de 200 ml de whisky GlenWyvis au cours de la troisième année de production ; la huitième année, théoriquement, tous seront remboursés de leur investissement et percevront un dividende annuel, une part des bénéfices futurs étant réinvestis dans la région.

 

Acheter local

Conformément à la volonté de John McKenzie de créer une distillerie véritablement « verte », elle est entièrement alimentée en électricité par trois sources : une turbine de 12kw, propriété de McKenzie qui est rémunéré en drêches pour son utilisation, un barrage hydroélectrique de 12 kW, et des panneaux solaires fournissant 46 kW. Une chaudière à vapeur biomasse Binder de 550 kW brûle des copeaux de bois provenant des exploitations agricoles locales. La distillerie possède une voiture électrique de marque Vauxhall et prévoit, après l’ouverture au printemps prochain d’un centre d’accueil des visiteurs, de mettre en place une navette par bus électrique entre Dingwall et la distillerie pour les transporter.

« Acheter local » est un concept majeur de la philosophie globale de l’entreprise : « Nous utilisons une orge Concerto provenant de la coopérative Highland Grain », explique Mike Fraser, « et bon nombre d’agriculteurs travaillant avec elle sont également des investisseurs chez nous. La malterie Bairds Malt d’Inverness leur prend 40 tonnes à la fois pour les malter. Nous en obtenons en retour 28 tonnes, garanties 100% céréales des Highlands. L’orge est principalement cultivée sur Black Isle.

GlenWyvis compte quatre employés, dont un unique opérateur de production, qui est aussi le directeur de la distillerie. Duncan Tait a précédemment travaillé chez Diageo pendant 27 ans et demi : après avoir dirigé les destinées de Knockando, il a supervisé plusieurs projets de modernisation et de développement de plusieurs distilleries du Speyside, notamment Glen Elgin et Benrinnes. Il a ensuite passé deux ans chez Mortlach, à Dufftown, dans le cadre d’un projet de doublement des capacités de production de la distillerie, mais qui a été mis en veilleuse.

 

 

« J’ai commencé ma carrière professionnelle chez Teaninich, à Alness. Je suis un gars du coin », précise Duncan Tait. « J’ai investi dans GlenWyvis avant d’en être nommé directeur. J’apprécie son aspect communautaire et son orientation en faveur des énergies renouvelables. Cela nous ramène à la distillation telle qu’elle était pratiquée dans une exploitation agricole il y a deux siècles, la collectivité participant à différents aspects de la production. »

« C’est la toute première fois dans ma longue carrière », ajoute-t-il avec un sourire en coin, « que l’on m’ait jamais demandé quelle sorte de whisky j’aimerais faire. » Quant au style recherché, il précise : « Nous avons adopté à GlenWyvis de longues fermentations, de 90 à 105 heures, pour obtenir quelque chose de malté et de fruité. La conduite des alambics est lente, mais à température plutôt élevée. Les contacts avec le cuivre sont intensifiés, pour obtenir une note herbacée. J’aimerais que le distillat ressemble à Oban. »

« La maturation est effectué sous bois de chêne d’Amérique, mais nous entreposons dans nos chais quelques fûtsen chêne d’Europe, principalement des fûts d’investisseurs, dont des hogsheadsde xérès oloroso de premier remplissage. Pour nous-mêmes, nous utilisons de préférence des fûtsde Jack Daniels de premier remplissage ainsi que des hogsheads de second remplissage. Nous envisageons de remplir quelques fûts de xérès et les assembleront probablement à hauteur de cinq à dix pour cent dans nos futurs embouteillages. Nous possédons sur site un chai de type dunnage, en terre battue, et avons obtenu l’autorisation d’en bâtir un second. Nous projetons d’aménager à terme un chai dans la zone industrielle de Dingwall. »

 

 » Ce sera prêt quand ce sera prêt »

 

Pour ce qui est de la date des premières mises en bouteilles et de la commercialisation du single malt GlenWyvis, la théorie qui prévaut ici se résume à : « Ce sera prêt quand ce sera prêt. » Mais, ajoute Duncan Tait, « si je déniche quelques fûts remarquables et qui seraient prêts, je les commercialiserai probablement très jeunes, sous forme d’embouteillages single cask ».

En attendant, 1 600 flacons d’une expression « Highland Inspiration » ont été commercialisés pour produire un revenu : c’est un single malt titrant 46% vol., provenant d’une distillerie des Highlands dont le nom reste confidentiel, auprès de laquelle l’équipe de GlenWyvis à acquis cinq fûts. Deux gins sont également produits dans l’alambic dédié, construit sur mesure et installé à la suite de la seconde campagne de financement participatif.

Le romancier Neil M. Gunn, qui a vécu non loin de la distillerie GlenWyvis et qui est enterré au cimetière Mitchell Hill de Dingwall, aurait assurément apporté un soutien inconditionnel à ce projet visant à démocratiser la distillation au profit de la collectivité locale.

C’est après tout lui qui a écrit : « Nous devons certes nous unir, mais si nous nous unissons pour lutter en faveur de l’idée que chacun puisse gagner plus d’argent pour lui-même, alors nous finirons par nous battre les uns contre les autres. Et c’est là tout le problème… les relations humaines sont fondées, fondées non sur l’argent mais sur ce qui est juste et équitable. »

 

Par Gavin D. Smith

Photographies : Christopher Coates

 


FICHE TECHNIQUE

Eau de production : forage

Malt : variété Concerto, non tourbé

Empâtage : cuve-matière filtrante ; empâtage : 510 kg, cinq à six trempes par semaine

Fermentation : 6 cuves de fermentation en inox de 25 000 litres de capacité. Fermentation : 72-96 heures

Distillation : 1 alambic wash still(capacité : 2 500 litres) ; 1 alambic spirit still(capacité : 1 700 litres)

Capacité de production annuelle : 140 000 lap

 


Dégustation du distillat

Distillat, 68% vol.

Nez : Parfumé : lavande, marshmallows, céréales Weetabix et une note légèrement salée.

Bouche : Musclée, suave et beurrée, avec une note de biscuits sablés.

Finale : Relativement prolongée et épicée.

Commentaire : Agréablement vigoureux et très buvable !

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