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C’est l’emblème de la Jamaïque et des high esters, le pot still identifié « rhum » à coup sûr, l’alambic que chérissent les geeks et dont tous les amateurs connaissent le nom… sans vraiment savoir à quoi diable il peut bien servir ni comment il fonctionne. Tentative désespérée de livrer quelques explications.

Avec sa silhouette singulière et son nom tout aussi amphigourique que son fonctionnement, le « pot still à double retort » fait fantasmer les geeks du rhum, et plus particulièrement les dingues de jamaïcains poids lourds. Mais en l’observant, le béotien (et pas seulement lui, avouez) se demande surtout à quoi diantre peuvent bien servir les deux gros grelots de cuivre ligotés en série au cul de l’alambic.

On doit sans doute l’apparition de cet engin surgi dans les Caraïbes au XIXe à une simplification de l’appareil à distiller les eaux-de-vie de vin imaginé par le Français Jean-Edouard Adam à l’orée de ce même siècle. L’invention du chimiste rouennais opérait avec 3 œufs de cuivre entre l’alambic principal et le condenseur, reliés par abondance de dérivations (lire ici, p. 48, pour le fonctionnement détaillé).

Elle permettait de cracher beaucoup plus rapidement, en une seule passe, un distillat au degré plus élevé : un premier pas vers la distillation en continu, mais à l’horizontale. L’industrie du rhum n’en a retenu que 2 pots, mais les a associés à des alambics souvent surdimensionnés : le col du chaudron principal, au lieu d’être raccordé au condenseur qui ramène les vapeurs d’alcool à l’état liquide, passe d’abord par une marmite plus petite, puis une seconde identique montée en enfilade.

Si le pot still à double retort fait encore rêver aujourd’hui, c’est qu’il incarne une tranche d’histoire presque disparue, puisque seule une poignée de ces infernales machines restent encore en activité dans la vaste industrie du rhum.

Ces alambics ont survécu en Jamaïque essentiellement – 5 des 6 distilleries de l’île en sont équipées (Hampden, Long Pond, Clarendon, Worthy Park, Appleton), mais aussi à la Barbade, à Sainte-Lucie, au Guyana… Et de nouveaux producteurs le remettent au goût du jour : par exemple à la Grenade chez Renegade, en Ecosse à la Islay Rum Distillery ou en France chez Maison Victors (ex-Straw Bale).

La raison d’être initiale de ces bécanes infernales ? Economie et efficacité. Elles montent en alcool jusqu’à 89-90% en une seule passe, au terme de 4 à 5 heures de distillation seulement. Là où la double distillation multiplie les temps par 2 minimum, et oblige à vider, recharger, monter en température 2 alambics. Deux fois plus de volumes en deux fois moins de temps, en usant deux fois moins d’énergie : voilà bien une promesse qui vous emballe l’affaire, surtout dans une industrie du rhum historiquement tournée vers la vente en vrac.

La question à 12 roupies : comment ça marche ? On charge le premier retort avec les low wines, dont le TAV tourne autour de 30%, et le second avec les high wines (TAV d’environ 70-75%) – voilà pour la marche commune en Jamaïque, mais au gré des distilleries et des pays elle peut connaître des variations et des mélanges. Pour mémoire, les high wines s’écoulent après le cœur de chauffe et les low wines en suivant, avec un degré d’alcool qui va en diminuant.

Le wash (le moût fermenté) est introduit dans l’alambic principal chauffé jusqu’à ébullition, mais les vapeurs (qui contiennent environ 30% d’alcool à ce stade), au lieu de filer vers le condenseur selon le fonctionnement d’un pot still normal, sont redirigées dans le premier retort par un tuyau qui le traverse jusqu’à presque toucher le fond. Elles bullotent (du verbe bulloter, faire des bulles, j’attends le feu vert de l’Académie) et barbotent dans les low wines, avec lesquels elles se fondent et se chargent en alcool, passant de 30% environ à 60%.

La chaleur suffit à produire de nouveau des vapeurs qui passent dans le second retort, et barbotent cette fois dans les high wines, s’enrichissent encore, avant de retrouver leur état gazeux jusqu’au condenseur qui restitue un distillat à l’état liquide titrant à environ 85%.

La forme, la taille, la nature de leur contenu et sa température, le niveau de remplissage des retorts, ainsi que le diamètre du conduit peuvent varier, avec une incidence non négligeable sur la pression et le refux, et donc une influence directe sur le distillat. Chaque détail de l’ensemble est pensé comme un fragile équilibre.

Sur certains alambics Blair, le col qui relie les trois pots se connecte en S par le bas au lieu de plonger par le haut dans les retorts. Et Worthy Park, en Jamaïque, possède même un élément rectificateur débrayable sur le second retort, sorte de mini-colonne à 8 plateaux utilisée pour distiller les rhums légers.

En général, cependant, c’est dans la fabrication des rhums medium et lourds que le pot still à double retort excelle, les rhums légers passant plus volontiers par des colonnes de distillation en continu.

Pour terminer, une petite digression sur la fabrication des high esters jamaïcains, dont l’acidification des moûts flingue méthodiquement les retorts, et ce d’autant plus si la distillerie utilise discrètement la célèbre et mystérieuse méthode Cousins (du nom de Herbert Henry Cousins, lire ici pour les détails) capable de doper le taux d’esters, ces composés responsables des arômes fruités. Pour vous en convaincre, regardez la tête décomposée de l’Eléphant, surnom donné au vieux John Dore d’Hampden barbouillé de blanc !

Concrètement, on récupère les dépôts acides et gorgés d’esters agglomérés dans le fond des 2 retorts, on les mélange avec de la chaux avant de chauffer le tout jusqu’à la solidification en sels corrosifs. Deux possibilités ensuite : dissoudre ces sels dans le rhum et charger le second retort (avec les high wines) ou les dissoudre dans les high wines et les charger dans le premier retort (avec les low wines).

A l’arrivée, on obtient des rhums anabolisés… parfaitement impropres à la consommation. Vendus comme exhausteurs, essentiellement à l’industrie agro-alimentaire et à la parfumerie), ils pèsent jusqu’à 6.000-7.000 g d’esters/hlap… alors que l’île fixe légalement la limite à 1.600 g. Chut !

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