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Comment à partir d’un jus de canne, parvenir à un rhum d’excellence : élever, apprivoiser et maîtriser le vieillissement en sachant le reproduire. Tout savoir sur la méthode HSE.

 

« Un siècle de belles paroles flotte autour de l’Habitation Saint-Étienne… Des secrets flottent aussi. […] En fait, c’est une addition de petits secrets, un vieux savoir, un vrai savoir, que seuls possèdent les sarcleurs de ces terres ». C’est ainsi que le martiniquais Patrick Chamoiseau, Prix Goncourt 1992 décrit l’Habitation Saint-Étienne dans Elmire des sept bonheurs (Gallimard, 1998).

À une demi-heure de Fort de France, l’ancienne distillerie est un joyau caché de l’art industriel du XIXe à la Martinique avec sa structure métallique de type Eiffel (inscrit à l’ISMH). Niché dans une vallée rurale agricole et exubérante, et serti dans un magnifique jardin, l’endroit est magique ! Lorsque les Hayot rachètent, en 1994, cette belle endormie au Gros-Morne, elle est à l’abandon. La rhumerie Saint Étienne, très belle marque des années 1970, ne vend alors plus que 150 000 litres de rhum (contre 1,5 million aujourd’hui). « Il a fallu repartir de zéro expliquent les Hayot, José et Florette, relancer la marque de rhum, constituer une équipe (vingt ans plus tard, la plupart sont toujours là), apprendre le marketing, la fabrication. Nous n’avons pas récupéré de process ou de savoir-faire, nous avons dû inventer nos propres modes de vieillissement ». La marque est alors moribonde, les consommateurs vieillissants… Sans virage radical, la maison va droit dans le mur. Les Hayot décident alors de lancer un rhum vieux, avec une bouteille sans icône, sans dessin. Adieu les codes classiques du rhum (« le pirate, le bateau, le perroquet, les cocotiers, les madras… et j’en passe »). L’étiquette sera en typographie à trois parties, inspirée des étiquettes de grands crus de vins. La bouteille est un modèle de Saverglass. Rhum Saint-Étienne devient Habitation Saint-Étienne, puis HSE. Que des lettres on vous dit !

 

Le Simon, plus grande distillerie de l’île

Depuis quelques années donc, l’Habitation a relevé la tête. Haut et fort. Dans les environs, les planteurs travaillent sans relâche pour préparer la récolte, de février à juin. « Au début du siècle, chaque village avait ses propres sucreries explique, José Hayot. L’arrivée du sucre de betterave change la donne. On décide alors de broyer la canne pour en extraire le jus et le distiller ». La terre est ici idéale : du vent, des variations de température et de la pluie. Plus la canne souffre, plus elle se gorge de sucre. « En optant pour la canne de la Réunion (R583, R586 notamment), on a doublé la production », explique Françoise Elisabeth, directrice de Canasuc. C’est dans le labo de la distillerie du Simon, à quelques kilomètres de là, que la canne sera analysée pour mesurer son niveau de brix (taux de saccharose). Une étape importante pour les planteurs dont la rémunération à la tonne est établie selon un barème par niveau de brix (100 euros de bonus ou malus). « La règle est simple, une tonne de cane, c’est 100 euros, et ça équivaut à 100 litres de rhum », m’explique le directeur du Simon.

Pour la deuxième année consécutive, le Simon, plus grande distillerie de rhum agricole de Martinique, est d’ailleurs celle qui produit le plus de rhum avec 26,5 % du total. La chaudière, énorme, date de 1926, l’une des plus anciennes de l’île. Trente et une cuves attendent le jus de canne, les cuves filles se remplissent en 35 minutes… la machine est rodée. C’est de là que sortent chaque jour entre 40 et 60 000 litres de rhum de ses quatre colonnes à distiller, avec têtes de condensation en cuivre, AOC oblige. Un liquide qu’il va falloir travailler. Et c’est là ou presque que tout commence !

 

Histoire de fûts

Tout le monde vous le dira, la qualité d’un rhum vieux dépend d’une excellente connaissance de la tonnellerie mondiale. Jusqu’à aujourd’hui, les rhums vieux du monde entier, des Amériques et des Caraïbes, étaient vieillis en fûts de bourbon. Comme la législation américaine obligeait les fabricants à les changer tous les cinq ans, chaque année arrivaient sur le marché mondial des fûts, vendus à vil prix. Une aubaine pour les rhumiers. « Le fût de bourbon de cinq ans est donc le fût historique, et le moins cher. Si on veut aller plus loin, il faut chercher d’autres tonneliers, visiter les forêts, avoir une vraie traçabilité du chêne. C’est un processus très coûteux. Un chêne américain de bourbon coûte 100 euros, contre 400 euros pour un chêne français du Limousin », explique Sébastien Dormoy, directeur de production. La raison est simple : pour éviter qu’il ne pourrisse sur place, le chêne américain est abattu à maturité à 70 ans. Énorme avantage, il peut être scié dans tous les sens pour obtenir une douelle. Pour son cousin français, il faut attendre contre 120 à 150 ans en moyenne. Sur un mètre cube de chêne américain, on récupère 50 à 60 % de bois, contre seulement 30 % pour le chêne français… La différence de prix s’explique !

 

Recolte HSE

La barrique, un outil

Le fût se voit donc comme un outil. En fonction de la façon de le travailler, on ne cherche ni les mêmes composés du bois, ni les mêmes profils aromatiques. Depuis douze ans, toutes les barriques arrivent neuves. C’est le tonnelier américain ISC, Independent Stave Company qui fournit la marque en fûts, un investissement important de l’ordre de 400 000 euros, qui se retrouve dans le liquide et dans le contenant, puisque les barriques prennent une certaine valeur à la revente. Un fût a ici une durée de vie de dix à douze ans, après trois ou quatre passages.

« L’important, c’est de ne pas subir le vieillissement », explique Sébastien Dormoy, le maîtriser, et surtout le reproduire. « Tout ce travail nous permet d’avoir une assise solide concernant nos profils aromatiques et de stocks de rhums vieux », explique José Hayot. Un vieillissement de quatre ou cinq ans en fûts de chêne américain ayant contenu du bourbon, permet d’aller chercher la gourmandise, la sucrosité, le côté noix de coco, le côté vanille. La base aromatique est stable dans le temps. Les barriques à vin permettent alors d’aller explorer d’autres profils aromatiques, et de trouver plus d’élégance. Avec des barriques en chêne français de 400 ou 300 litres, le directeur de production et le maître de chai jouent sur les volumes et sur les profils de chauffe. Le millésime 2007 par exemple, repose depuis plusieurs années maintenant dans un fût de 400 litres en chêne français de la tonnellerie Quintessence, à Bordeaux. Des grosses barriques qui laisseront le temps au produit de se complexifier, de travailler la base aromatique, avec beaucoup d’élégance, qui vient contrebalancer le côté épicé/boisé du chêne américain. Sébastien Dormoy précise encore : « 80 % du profil est dû à la sélection des fûts. Les 20 % restants, il faut le faire à la main ».

 

 

 

Le fût neuf permet d’aller chercher une couleur 100 % naturelle et des profils plutôt boisés et épicés. « C’est notamment le cas pour le VSOP vieilli en moyenne cinq ans, uniquement dans des fûts de chêne américain neufs, ce qui fait que la sucrosité, le côté boisé des bourbons, se retrouvent dans nos rhums », affirme Cyrille Lawson, directeur du développement. Puis, nous allons chercher plus de subtilité, plus de finesse, en changeant de contenants et en travaillant sur des profils plus légers en termes de chauffe. C’est-à-dire qu’à partir de VSOP, on voit comment l’étirer et chercher de la finesse. « Cela amène de la complexité au niveau du produit et de la traçabilité, pour être capables de le reproduire. C’est le vrai challenge aujourd’hui : avec près de quarante références de fûts différentes, c’est autant de notes que sur un piano, mais il faut être capables de rejouer la partition », conclut Sébastien Dormoy.

 

Par François de Guillebon

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