Après le “showering”, le “souping” et le “batch cooking”, autant de tendances qui frémissent sur les réseaux sociaux, ne passons plus à côté de l’essentiel: la “batch distillation” et le whiskiing.
Quiconque se greffe un tant soit peu sur les réseaux sociaux n’a pu échapper ces derniers temps à l’avalanche de sujets réinventant la machine à cambrer les bananes à grands coups d’anglicismes. Parmi les derniers avatars en date du ridicule: les bons gestes du “showering” (“nouveau rituel de well being” qui ressemble comme deux gouttes d’eau tiède à la bonne vieille douche) ; le retour annoncé du “cocooning” (mouler en pyj’ sans showering) ; les bienfaits du souping (le nouveau “juicing” mais avec des legumings) ; une variation sur la percée épanouissante du slashing (le fait de cumuler les jobs, aka “fucking difficulting at joining les deux bouts”) ; ou encore cette courte vidéo de Brut qui depuis quelques jours nous incite à passer au “batch cooking” (cuisiner à l’avance, comme le disaient nos mères et leurs mères avant elles). Si tu crois qu’on nous prend pour des kings, je ne peux pas te donner tort.
Mais. N’est-il pas temps d’aborder la question du whiskiing ? Doublement d’ailleurs. Car 1) quand on apprécie les spiritueux, le mot “batch” s’invite souvent dans les conversations, et pas pour le cooking. Et 2), encouragés par le succès du whisky, les anglicismes ont depuis belle luring chassé le vocabulaire français avec autant d’entrain que dans les pages de Elle. Tu noteras que même dans ces petits bastions tradi que sont le cognac et l’armagnac, les mentions “small batch” et autre “single cask” ont fait leur apparition. Mais revenons à nos moutons avant que le troupeau ne s’égaie.
Le whiskiing, l’autre rituel de well being
La “batch distillation”, autrement dit la distillation par batch, ou distillation à repasse, ou distillation discontinue, ne consiste pas à fabriquer le week-end la gnôle de toute la semaine, contrairement au “batch cooking”, mais à distiller par cuvée (“batch” signifie lot, paquet, fournée…). Je t’explique ? Une quantité déterminée de brassin (le liquide fermenté) est chargée dans l’alambic, et une quantité moindre mais tout aussi déterminée de distillat en ressort une fois condensé. A l’issue de quoi, on recommence l’opération à zéro avec un autre batch.
La “batch distillation” s’oppose à la distillation continue, où le brassin est pompé sans interruption dans une colonne, qui crache le distillat non-stop, 24h/24. Pour simplifier grandement, on obtient potentiellement des gnôles plus “heavy”, charpentées et précises avec du batch et des eaux-de-vie plus “light” en continu. En France ou en Ecosse, les single malts doivent être obligatoirement distillés par batches, et qui plus est en alambics pot stills de cuivre pour le scotch. Un peu comme si on limitait le batch cooking à la poêle Tefal ou le souping au poireau, mais c’est un autre topic. Loch Lomond, qui distille de l’orge maltée en colonne, est légalement tenu de l’appeler “single grain”, et non “single malt”, deux mots que le Coffey Malt de Nikka (passé par une colonne de type Coffey) évite tout aussi scrupuleusement. C’est que l’art du whiskiing, autre rituel de well being dans ma routine perso, est moins easy qu’il n’y semble!
Halte au chipoting !
Ready pour le next move? On peut “batch distiller” du whisky dans moult sortes d’alambics (scotch single malt excepté, si tu as bien lu dans l’ordre): pot stills, pot stills à retort, charentais, hybrides, batch kettles… Et pas forcément en “small batch”. Si le Holstein de la Distillerie de Paris se limite à une capacité de 400 l, le batch kettle de Diplomatico peut charger jusqu’à 60.000 l – et, accessoirement, recrache un distillat à 95% en une seule passe (source: Nelson Hernandez, maestro ronero de DUSA, qui fabrique ce rhum), ce qui je l’avoue limite la portée de mon explication “heavy/light”. Mais gardons le chipoting pour un autre jour si tu le veux bien.
La “batch distillation” peut se faire en une passe unique: c’est le cas en général avec les alambics hybrides, mais aussi avec les kettles et certains gros pots (l’alambic Versailles de la distillerie Diamond au Guyana). En deux passes, comme presque partout en Ecosse avec les pot stills. En trois passes, comme souvent en Irlande, plus rarement dans le scotch (Hazelburn, Auchentoshan). Voire plus (Octomore Discovery) ou un peu moins – 2,5 fois chez Springbank, 2,81 fois pour Mortlach …
Pour autant, lorsque tu lis “small batch” sur une étiquette, cela n’a rien à voir avec le “batch distilling”. D’ailleurs, tu trouves des “small batches” de bourbons, pourtant essentiellement distillés en colonne. Le batch, dans ce cas, fait référence au lot de fûts mariés ensemble pour l’assemblage final. Un “small batch” est une petite cuvée, pour laquelle on assemble un nombre réduit de fûts – avec les légères variations de goût qui s’ensuivent, raison pour laquelle les amateurs les vénèrent. Sauf que. Selon la distillerie, les termes recouvrent des vérités à géométrie variable. Un small batch d’Armorik (le 10 ans), c’est 2 fûts et demi mélangés. Un small batch de Glenfiddich 18 ans, c’est 200 barriques. Et un batch normal-pas-small de GlenDronach 12 ans rassemble seulement une cinquantaine de fûts! Batch a un sens; mais small is marketing. Tiens, encore une connerie en “ing”.
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