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Le whiskey irlandais dit single pot still ressemble beaucoup au single malt écossais. Tous deux sont vénérés par les amateurs et les traditionalistes qui les considèrent comme l’unique whisk(e)y “authentique”, et tous deux sont passés de mode quand la révolution des blends de la seconde moitié du XIXe siècle a tout balayé sur son passage. A l’occasion de la Saint Patrick, retour sur le single pot still qui fait le Irish Whiskey.

Le destin de l’Irlandais a été cependant plus catastrophique que celui de l’Écossais, en atteste le fait qu’au début de notre siècle, seules deux marques de pot still subsistaient encore dans la verte Érin, à savoir Redbreast et Green Spot. Le single pot still irish whiskey est juridiquement défini comme résultant d’«[…] un empâtage constitué d’un mélange d’orge maltée, d’orge non maltée et d’autres céréales non maltées, distillé en alambic à repasse, de telle sorte que le distillat conserve l’arôme et la saveur des ingrédients utilisés, et contenant au moins trente pour cent d’orge maltée et trente pour cent d’orge non maltée». Il est ajouté que «… d’autres céréales comme l’avoine ou le seigle peuvent être le cas échéant utilisées, dans une proportion n’excédant pas cinq pour cent». Si la triple distillation est ordinairement associée au style, le recours à la double distillation demeure licite. Le single pot still a pour origine un impôt créé en 1785 et frappant l’orge maltée, qui a incité les distillateurs d’utiliser, pour s’y soustraire, une certaine proportion céréales non maltées. Le style de whiskey ainsi créé remporta un succès tel que sa production perdura même après l’abrogation de l’impôt sur le malt. À la fin du XIXe siècle, des distillateurs écossais se rendent coupables d’assembler des blends à forte teneur en eau-de-vie de grain pour les vendre sous l’appellation de “whiskey irlandais”, ce qui ne manque pas d’exaspérer les puissants producteurs dublinois de pot still.

« What is whisky ? »

Toutefois, le consommateur anglais prend bientôt goût à ces blends légers, dont les arômes et saveurs sont dictés par le grain, ce qui incite nombre de distillateurs irlandais à emprunter la voie des blends. Avant le tournant du siècle, on produit du whiskey de grain à Belfast, Cork, Dundalk, Limerick et Londonderry. Les hommes de Dublin sollicitent le soutien de quelques alliés puissants, y compris celui de la revue scientifique médicale The Lancet, qui souligne qu’il n’est pas sans danger de consommer un spiritueux jeune d’origine douteuse.

La controverse fait rage devant une commission royale qui est saisie en 1908-1909 de l’affaire dite «What is whisky ?» [«Qu’est-ce que le whisky ?»]. La décision qu’elle rend est synonyme de triomphe sans appel pour les représentants des intérêts des assembleurs, le “whiskey” étant désormais défini comme «une eau-de-vie résultant de la distillation d’un moût de céréales, saccharifié par les diastases du malt». Quant au whiskey irlandais, c’est simplement un «whiskey, tel que défini ci-dessus, qui est distillé en Irlande».

Conséquence de l’arrêt prononcé dans l’affaire «Qu’est-ce que le whisky ?» pour les distillateurs irlandais de whiskey pot still, des répercussions de la prohibition aux États-Unis (1920-1933) et de la perte des marchés anglais ainsi que ceux de l’Empire britannique après la déclaration d’indépendance de l’Irlande, nombre de petites distilleries irlandaises sont contraintes de mettre la clé sous la porte. L’industrie du whiskey de la verte Érin n’est désormais plus que l’ombre de ce qu’elle avait été.

Tandis que les grands producteurs de pot still Irish whiskey comme Jameson et Powers se convertissent progressivement à la production exclusive de blends, Redbreast et Green Spot restent en définitive les deux dernières marques représentatives de ce style. Green Spot était à l’origine produit par la distillerie Jameson de Bow Street, à Dublin, exclusivement pour un négociant en vins et spiritueux dublinois, la maison historique Mitchell & Son, le distillat étant élevé dans des fûts de vin, xérès et porto fournis par cette dernière.

Le nom green spot [point vert] tire son origine du marquage de l’âge des fûts à l’aide de taches de peinture de couleurs différentes. La production se déclinait en Blue Spot [bleu], Red Spot [rouge] et Yellow Spot [jaune], mais Green Spot étant le plus apprécié des consommateurs, la production des autres variantes fut ultérieurement abandonnée.

Les marques Redbreast et Green Spot, produites toutes deux par la distillerie ultra-polyvalente que possède Irish Distillers à Midleton, comté de Cork, n’étaient jusqu’à peu que très secondaires, comparées au tout puissant Jameson, le numéro un mondial des whiskeys irlandais.

Mais en avril 2011, Irish Distillers annonce le lancement d’une initiative intitulée Single Pot Still Whiskeys of Midleton et intéressant Redbreast et Green Spot. Les premiers embouteillages de cette nouvelle gamme sont placés sous la tutelle de Midleton et de Powers, tandis que l’ancienne appellation “pure pot still” est remplacée par “single pot still”.

Le joyau de la couronne

«Le single pot still Irish whiskey est véritablement le joyau de la couronne de la riche tradition du whiskey irlandais, déclare à cette époque Alexandre Ricard, P.-D.G. d’Irish Distillers Pernod Ricard. C’est une tradition sur laquelle nous avons jalousement veillé durant toutes ces années à la distillerie Midleton. On observe depuis peu un renouveau d’intérêt considérable pour le single pot still, de sorte qu’il est désormais temps de revitaliser ce style exceptionnel de whiskey irlandais et de lui redonner son lustre d’antan. En complétant notre gamme de single pot still avec les prestigieuses marques Powers et Midleton, nous nous donnons les moyens d’offrir une plus grande diversité d’arômes et de saveurs, et de susciter un plus grand intérêt encore auprès des amateurs de whiskey du monde entier.»

Le premier single pot still irish whiskey lancé sous la bannière de Midleton a été baptisé Midleton Barry Crockett Legacy, en hommage à Barry Crockett, représentant de la deuxième génération de maître distillateur et créateur du style pot still chez Midleton. Pour élaborer cette expression, Crockett a sélectionné des whiskeys élevés en fûts de bourbon de premier remplissage et, pour une certaine proportion, en barrels de chêne américain neufs.

La marque Powers est représentée par l’expression Powers John’s Lane Release, en souvenir de la distillerie dublinoise qui fut longtemps le cœur de l’empire Powers. Selon Irish Distillers, les whiskeys sélectionnés pour élaborer cette expression demeurent fidèles au style d’origine du pot still de Powers, caractérisé par des notes d’épices et de miel, l’essentiel de ce whiskey étant élevé en fûts de bourbon de premier remplissage, à quoi s’ajoute une part vieillie en ex-fûts de xérès oloroso.

Les premiers embouteillages des nouveaux Single Pot Still Whiskeys of Midleton ayant été très favorablement accueillis par les consommateurs, la gamme a été étoffée l’année suivante par la réintroduction d’une version de l’ancien Yellow Spot de Mitchell & Son.

La production de l’original a cessé dans les années 1950, mais les archives de la maison de négoce attestent qu’il s’agissait à l’époque d’un pot still âgé de 12 ans, élevé en barrels de bourbon, butts de xérès et barriques de malaga. L’inventaire de la distillerie Midleton ayant gardé trace de quelques eaux-de-vie âgées de 12 ans et élevées en fûts de malaga, il a été possible de réinventer un style Yellow Spot très comparable à son prédécesseur.

En 2013, le nom de Midleton a été attribué à un single pot still inédit et très innovant, à savoir Dair Ghaelach, ce qui signifie “chêne irlandais” en gaélique, le premier whisky irlandais affiné en hogsheads de chêne irlandais neufs.

Affinés en fûts de chêne irlandais

Le bois de dix chênes âgés de cent trente ans abattus dans la forêt de Grinsell, comté de Kilkenny, a été transporté à Baralla, dans le nord-ouest de l’Espagne, où il a été “débité sur quartier” avant de sécher à l’air durant quinze mois à Jerez de la Frontera, sur le site de la tonnellerie Antonio Páez Lobato qui l’a transformé en quarante-huit fûts de chêne irlandais, chacun étant bousiné par une chauffe moyenne.

De retour à Midleton, ces fûts ont été remplis de whiskey élevé pendant 15 à 22 ans en ex-fûts de bourbon. «La maturation en chêne natif, explique Billy Leighton, maître assembleur de la distillerie, nous a permis de mettre en valeur notre style de single pot still irish whiskey d’une manière à la fois inédite et novatrice. Les fûts cèdent des arômes et des saveurs de bois toasté, de vanille et de caramel bien plus généreux que ce que nous pouvons attendre du chêne américain ou du chêne espagnol.»

Un affinage novateur pour un whiskey irlandais caractérise également l’expression lancée par la suite dans la gamme des Single Pot Still Whiskeys of Midleton, à savoir Green Spot Château Léoville Barton. Ce premier single pot still irlandais jamais affiné en barriques bordelaises a été tout d’abord élevé dans un ensemble d’ex-fûts de xérès oloroso, de fûts de bourbon neufs et de premier remplissage avant de séjourner de 12 à 24 mois dans des fûts provenant de ce 2e grand cru classé Saint-Julien.

«La maturation de Green Spot dans les fûts de château Léoville Barton, note Kevin O’Gorman, maître de chai de la distillerie Midleton, est à l’origine d’une fascinante palette florale et boisée, au nez et en bouche, qui cède place à une longue finale épicée évoquant à la fois les terroirs irlandais et français.»

Soutenue par une importante campagne marketing, la gamme de single pot still whiskeys lancée par Irish Distillers s’est étoffée avec l’ajout de Powers Signature comportant une proportion d’eau-de-vie élevée en fûts de xérès oloroso de premier remplissage et de Powers Three Swallows, expression vieillie elle aussi partiellement en fûts de xérès. Parallèlement à cela, un Redbreast Cask Strength et une variante âgée de 21 ans ont été également commercialisés, avant le lancement en 2016 de Redbreast Lustau Edition.

L’influence des fûts de xérès était déjà une caractéristique traditionnelle de Redbreast, qui est rendue plus explicite encore par l’affinage de ce whiskey sans compte d’âge durant un an dans des butts de xérès oloroso de premier remplissage provenant des Bodegas Lustau, à Jerez de la Frontera, Espagne.

Brendan Buckley, directeur de l’innovation pour le marché mondial et du portefeuille des whiskeys premium chez Irish Distillers, a déclaré à l’occasion du lancement de Lustau : «Nous nous félicitons de pouvoir présenter cette cinquième expression permanente de la gamme Redbreast, qui ambitionne de satisfaire l’attente des amateurs de whiskey en particulier, et de spiritueux en général, avides de propositions inédites, novatrices et diversifiées d’Irish whiskey. Depuis que nous avons relancé la marque en 2011, elle est allée de succès en succès, et nous sommes déterminés à tirer parti de la renaissance de l’Irish whiskey pour faire connaître Redbreast dans le monde entier.»

Entre tradition et innovation

Le plus récent single pot still whiskey d’Irish Distillers a été lancé en février dernier, non dans la collection des Single Pot Still Whiskeys of Midleton, mais dans une nouvelle gamme intitulée Method and Madness [méthode et folie] (cf article page XX). Élaborée dans la microdistillerie de l’établissement et composée pour l’heure de quatre whiskeys, elle est destinée à mettre en valeur l’aspect le plus expérimental des activités de la distillerie.

L’expression single pot still du quatuor a été élevée dans un ensemble d’ex-futs de xérès oloroso et d’ex-fûts de bourbon, puis transvasée dans des fûts de châtaigniers provenant de Normandie. Selon Irish Distillers, ce premier enfûtage de whiskey irlandais jamais réalisé sous bois de châtaignier français «[…] lui confère une douceur caractéristique qui allège le toucher en bouche, augmente la profondeur et ajoute à la robe un éclat acajou».

De toute évidence, Irish Distillers se consacre sérieusement à la catégorie single pot still et comme Brendan Buckley, directeur de la stratégie et de l’innovation, le précise : «Depuis mai 2011, elle s’est rapidement imposée au plus haut niveau des styles de whiskey dans le monde. Avec leurs saveurs épicées et pleines, leur toucher en bouche onctueux, des marques comme Redbreast et Green Spot sont régulièrement saluées dans les plus grands concours internationaux de spiritueux et, bien entendu, très recherchées par les amateurs de whisky comme par les bartenders du monde entier.»

«En raison du fait que la croissance de ces marques est plus rapide que ce que nous sommes actuellement en mesure de produire, nous avons récemment renforcé de près d’un tiers la capacité de distillation en pot still de la distillerie Midleton, en y installant trois nouveaux alambics à repasse en cuivre. Nous nous consacrons pleinement au développement de ce style historique de whiskey et nous le soutenons par des expressions inédites et innovantes qui illustrent le savoir-faire et l’imagination de nos distillateurs.»

Si Irish Distillers a déjà accompli de grandes choses pour assurer l’avenir du single pot still, nombre de jeunes pousses représentatives de la nouvelle génération de distillateurs irlandais sont tout aussi déterminées à défendre ce style, comme Tullamore, Teeling à Dublin, Walsh dans le comté de Carlow et Dingle dans le comté de Kerry, pour n’en citer que quelques-unes.

C’est un avenir radieux qui s’ouvre devant l’“authentique” irish whiskey.

Par Gavin D. Smith

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NOTES DE DÉGUSTATION

Redbreast 12 ans, 40 %

Premier nez herbacé, puis fruits épicés et noisettes. La bouche est huileuse et noisettée. Xérès, épices chatoyantes et vanille. Finale longue et épicée.

Redbreast Lustau, 46 %, non filtré à froid

Nez de fruits secs, cannelle, raisins secs, note douce de xérès puis poivre noir. Xérès crémeux, épice, chêne toasté et vanille en bouche. Finale prolongée, marquée par les épices douces, des notes boisées et de malt élevé en fût de xérès.

Powers John’s Lane, 12 ans, 46 %, non filtré à froid

Le nez cède des notes de cuir chaud, tabac à pipe, fruits de verger succulents et chêne. Bouche soyeuse de raisins secs, vanille, café au lait et miel. La note de miel se prolonge en une finale doucement boisée.

Midleton Barry Crockett, 46 %, non filtré à froid

Fruits du verger, vanille et un soupçon de poivre au nez. Moelleux en bouche, notes mâcheuses de fruits et de gingembre, à quoi s’ajoute la vanille. Toujours plus épicé, puis astringent. Réglisse, poivre noir et une note doucement boisée en finale.

Midleton Dair Ghaelach 57,9 %, non filtré à froid

Le nez abonde en orange, miel et chocolat au lait, avec une note boisée suave. Bouche crémeuse d’agrumes et de tabac à pipe, marquée par une note carbonisée et davantage de boisé. La finale exprime tabac et café fraîchement moulu.

Green Spot, 40 %

Une note légère de malt, puis poire, xérès et miel caractérisent le nez. La bouche moelleuse et nappante apporte des épices (gingembre), des pommes et des céréales. Finale de longueur moyenne dominée par le miel épicé, le malt et les fruits du verger.

Green Spot Château Léoville Barton, 46 %, non filtré à froid

Un nez délicat d’orange et de fraise, puis subtil d’épices. Vanille et miel, abricot et une note herbacée s’expriment en bouche. Finale un peu terreuse de noisettes grillées et de chêne astringent.

Yellow Spot 12 ans, 46 %, non filtré à froid

Miel, vanille, pêche et bois raboté se manifestent au nez, précédant la bouche d’agrumes où abondent épices, miel et vanille. Un aspect boisé, épicé et astringent dans la finale.

Method & Madness Finished in French Chestnut, 46 %, non filtré à froid

Gingembre, réglisse et vanille, à quoi s’ajoute une note de chêne ciré. Bouche corsée : cannelle et banane écrasée sur pain grillé. Finale fruitée et épicée, aux riches notes boisées.

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