Skip to main content

Parce qu’il est en plein essor et que le consommateur est de plus en plus curieux (autant qu’exigent), l’irish whiskey serait-il en passe de chercher à affirmer une identité en nuances ? Les explications de Ian Wizniewski.

Je n’aime pas les abréviations. Pourquoi tronquer un mot ? Ne pourrions-nous pas nous accorder la fraction de temps supplémentaire que requiert la prononciation de chaque syllabe ? Et pourquoi morceler les phrases ? L’énoncé intégral est toujours préférable aux acronymes. Mon point de vue est identique s’agissant des généralisations : ce sont aussi des abréviations qui devraient servir à introduire une discussion et non à la conclure. La locution “soyeux et velouté” en offre un exemple éloquent. Ces deux adjectifs qui qualifient si souvent le whisky irlandais conviennent bien entendu parfaitement, mais ils ne racontent qu’une petite partie de l’histoire.

«Le whiskey irlandais a été défini durant le siècle dernier par des blends très soyeux et très buvables, explique Kevin Keenan, directeur de la création chez Glendalough Distillery. Ces blends représentent du reste encore l’essentiel du chiffre d’affaires du whiskey irlandais. Les gens ne se lançaient pas volontiers dans l’exploration de nouveautés, et de toute façon, il y a encore cinq ans, il n’y avait pas grand-chose à explorer, mais la situation évolue très rapidement.»

«À mon avis, ajoute Colum Egan, maître distillateur de Bushmills Irish Whiskey, grâce à la diversité et à l’innovation, cette catégorie ne peut devenir que plus populaire. Qu’il s’agisse de nouveautés produites par des marques solidement établies ou de producteurs entrant sur le marché, la diversité a pour conséquence de mettre la catégorie du whiskey irlandais à la portée du plus grand nombre, dans le monde entier, et ça, c’est quelque chose qui doit être fêté.»

Montée en gamme

La montée en gamme des whiskeys irlandais est stimulée par une politique innovante de sélection de fûts, qui dépasse de loin la traditionnelle alternative – fûts de bourbon et fûts de xérès (voir notre article page XX). Cette “nouvelle génération” regroupe différents types de fûts (de bière, de vin muté et vin doux, d’eau-de-vie) qui sont utilisés soit pour un cycle de maturation complet, soit pour un affinage secondaire.

Et comme l’influence qu’exerce le fût dépend également du style de whiskey qu’il contient, cela favorise l’émergence d’une plus grande diversité. La triple distillation, par exemple, est à l’origine d’un alcool léger et plus élégant, qui laisse s’exprimer davantage l’influence du type de fût qu’un whisky de malt issu d’une double distillation, relativement plus riche.

L’Irish pot still whiskey offre d’autres possibilités de personnalisation du caractère de l’eau-de-vie, et par conséquent du point de départ de la maturation. Tout dépend des proportions d’orge maltée et non maltée utilisées, sachant que la réglementation précise que ces deux types d’orge doivent représenter chacun au moins 30 % du mélange de céréales. En augmentant la fraction d’orge maltée, on favorise un caractère malté et biscuité, tandis qu’un pourcentage plus élevé d’orge non maltée aboutit à une accentuation du fruité et du toucher en bouche crémeux.

Les distilleries sont toujours plus nombreuses à étoffer leurs gammes de whiskeys. En 2013, l’Irlande ne comptait que quatre distilleries. Aujourd’hui, seize distilleries sont opérationnelles (tandis que quinze autres distilleries ont obtenu un permis de construire, sans parler de tous les projets de distilleries qui sont encore à un stade précoce).

Le style maison

«Chaque distillerie se caractérise par son style maison, précise Iain Wood, directeur d’exploitation et de la maturation chez Teeling Whiskey. En expérimentant différents types de fûts, nous avons la possibilité de proposer au consommateur un grand choix d’expressions inédites, de sorte que le whiskey irlandais peut s’afficher comme tout aussi varié que le whisky écossais ou les whiskies originaires de n’importe quelle autre région du monde. Les amateurs prennent progressivement conscience de l’éventail des whiskeys irlandais et de leur qualité, et chaque nouvelle expression commercialisée renforce cette tendance. Plus nous innovons, mieux c’est.»

À mesure que davantage de nouvelles distilleries démarrent leur production et proposent à leurs visiteurs une gamme complète d’options, y compris les dégustations et la vente au détail, plus les retombées positives sont manifestes.

« Le pot still irish whiskey est en passe de devenir pour l’Irlande ce que le single malt est à l’Écosse. »

«Le tourisme du whiskey commence à se développer en Irlande, explique Iain Wood. En longeant la côte, il est possible de visiter une distillerie toutes les heures et demie, ce qui est la meilleure façon d’en apprendre plus. N’oublions pas que pour un amateur, la visite est une expérience qui crée un lien affectif fort avec la distillerie.»

À n’en pas douter, il est très facile de tomber amoureux d’une distillerie (souvent au premier regard). Mais dès lors que le visiteur est de retour chez lui, ce qui est essentiel, c’est la disponibilité du produit au plan local. Bien sûr, les achats sur internet sont toujours possibles, mais dans le monde réel (non virtuel), il faut compter beaucoup de temps et d’application avant que les whiskeys irlandais n’apparaissent sur les étagères des bars et figurent sur leurs menus.

Carte des saveurs

«Aux États-Unis, les bars proposent habituellement une vingtaine de whiskies écossais et seulement un ou deux whiskeys irlandais, poursuit Kevin Keenan. Et s’ils rajoutent à leur carte un autre whisky écossais, cela suffit pour donner une impression de variation dans cette catégorie, mais les variations qui existent dans le whiskey irlandais ne sont pas pour autant expliquées. Ce que nous devons faire, c’est établir une carte des saveurs dans laquelle la navigation est facilitée, et qui montre précisément d’où provient chacun des composés aromatiques des whiskeys irlandais. Le consommateur découvre le whiskey par ses arômes et saveurs et peut être alors amené à en apprendre davantage sur sa production et sa provenance.»

De fait, la demande d’information n’a jamais été aussi forte. Ni d’ailleurs l’éventail des canaux par où passe cette information.

«Depuis ces dix à quinze dernières années, précise Kevin O’Gorman, le changement a été spectaculaire. Les gens veulent en savoir toujours plus. Les médias sociaux et les communications en ligne ont joué à cet égard un rôle essentiel. L’élaboration du whiskey irlandais fait appel à des techniques très particulières qui sont à l’origine de sa saveur et de ses arômes incomparables, c’est pourquoi nous expliquons systématiquement dans leurs moindres détails les opérations de distillation et de maturation. La diversité des whiskies proposés dans le monde est si considérable que le message à communiquer doit être très clair pour différencier notre produit des autres.»

La course à l’individualité ?

À mesure que s’approfondissent les connaissances en matière de whiskey irlandais, serons-nous à même de penser davantage en termes de distilleries individuelles et de profils aromatiques préférés, plutôt qu’en termes de whiskey irlandais ?

«Un peu des deux, répond Iain Wood. Les distilleries, qu’elles soient innovantes ou traditionnelles, chercheront à fonder leur individualité, mais également à développer une idée du whiskey irlandais en tant que catégorie. Certains consommateurs ne boivent que du whiskey irlandais, mais je dirais que la plupart des gens aiment le whisky et apprécient par conséquent les nuances des différents styles.»

Le whiskey irlandais est entré dans une phase de développement si dynamique, avec un nombre et une gamme de whiskeys en plein essor, sans parler des nombreux projets de création de distilleries, que l’on peut poser la question de ses perspectives d’avenir.

«À mesure que davantage de consommateurs se tourneront vers le whiskey irlandais, explique Kevin Keenan, ils feront preuve de plus de curiosité et chercheront à connaître l’étape suivante : on peut raisonnablement penser que le pot still irish whiskey est en passe de devenir pour l’Irlande ce que le single malt est à l’Écosse.»

«Je pense que le whiskey irlandais sera connu pour ses styles et ses profils aromatiques diversifiés, au même titre que n’importe quelle autre catégorie de whisky, ajoute Iain Wood. Le monde est plein de consommateurs plus informés, qui sont avides de connaître de nouveaux récits, de savoir comment le whiskey est produit, quels sont les femmes et les hommes qui le produisent. Les distillateurs de whiskey irlandais ont en l’occurrence une magnifique histoire à raconter.»

Par Ian Wizniewski

Laisser un commentaire

Inscrivez-vous à notre newsletter