Débauché de Compass Box il y a trois ans pour rejoindre l’équipe de blenders de Whyte & Mackay, Gregg Glass s’est fait les dents sur la distillerie Jura, dont il a refondu la gamme avec créativité. Et se passionne pour les recherches sur le bois.
En France, vous avez des forêts de chênes incroyables. Pour le Jura 7 Wood, j’ai voulu en explorer les différentes facettes. Les fûts des Vosges apportent des arômes d’agrumes, de café, de chocolat au lait. Ceux de la forêt des Bertranges de la pêche, de la mangue, du raisin frais. Ceux de l’Allier de la noisette, du toffee, de la réglisse, de l’ananas. Les barriques du Limousin restituent des épices, notamment le clou de girofle, de la pomme caramélisée. Les chênes de la forêt de Tronçais confèrent des notes de cake au gingembre, de cannelle, de pomme cuite. Et la forêt de Jupilles tire sur le fudge, le caramel, les amandes. Un rêve d’assembleur !
Beaucoup de jeunes distilleries utilisent des fûts neufs et paniquent au bout de six mois parce que le résultat est trop brûlant, trop boisé. Mais le chêne vierge a besoin d’au moins trois ans pour délivrer ses composés puis les fondre. Avant ce laps de temps, le résultat sera discordant, manquera de finesse.
Un whisky vieilli d’abord deux ans en fûts de chêne européen neuf puis six ans en ex-fûts de bourbon n’aura pas du tout le même goût qu’un autre vieilli d’abord six ans en fûts de bourbon et passé ensuite deux ans en fûts neufs. Dans le second cas, le new make est filtré par la couche charbonneuse résultant du brûlage des fûts de bourbon : il se débarrasse ainsi de ses composés indésirables (le soufre notamment), et s’adoucit avant de passer en fûts neufs en ayant eu le temps de perdre quelques degrés d’alcool et de bénéficier d’une extraction plus douce. Dans le premier cas, envoyer un distillat à 63-64% (le degré d’enfûtage standard en Écosse) dans des fûts neufs non brûlés, ce sera du brutal.
En ce moment pour Jura, on multiplie les essais sur le chêne et les chauffes. Parfois, on se plante. Mais les “innovatives mistakes” font toujours progresser ? Ce n’est pas grave, on peut toujours se rattraper sur l’assemblage !
Les consommateurs sont en demande de goûts nouveaux. On doit en tenir compte, mais il ne faut pas faire n’importe quoi. Ils exigent également de la traçabilité, et en sourçant avec soin les fûts, le bois, l’origine, on peut leur donner cette transparence.
Chez Whyte & Mackay, nous avons créé une cellule innovations, The Whisky Works [devenu également une marque de small batches expérimentaux, ndlr]. Avec une liberté totale de création, tout en bénéficiant de la structure du groupe. C’est hyper excitant. On peut tester toutes sortes de nouvelles idées à une petite échelle, et toutes nos marques et nos distilleries pourront profiter des résultats de ces recherches.
Dernièrement, je me suis beaucoup passionné pour le chêne écossais, devenu rare avec les vagues de déforestations historiques. Tout comme ont disparu d’Écosse les merranderies et les tonnelleries – pour ces dernières, celles qui subsistent se contentent de réparer les fûts. Bref. Ce chêne local est un peu compliqué à utiliser, en raison de son tronc noueux. Nous avons travaillé sur des arbres tombés lors d’intempéries et c’est incroyable à quel point l’aromatique de ce chêne est différente.
Le vrai défi auquel il faut à présent s’atteler serait de replanter des forêts de chêne écossais ici même. C’est une ambition à l’horizon d’un siècle au moins mais quand on fait du whisky on a l’habitude du temps long : on travaille toujours pour les générations suivantes.
Par Christine Lambert