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Il faut savoir prendre, quand c’est possible, le temps de rendre visite à ces distilleries de France qui inventent. Aujourd’hui, direction la région parisienne. Si elle n’a pas encore embouteillé sa première création, la Distillerie d’Ile-de-France, fondée à Fresnes-sur-Marne par Olivier Flé, Michael Landart et Antonin Van Niel, cultive déjà sa propre personnalité. Artisanale, engagée et créative, elle est à l’image de ses trois créateurs.

Le 19 juin dernier, lorsqu’ils ont allumé leur alambic pour la toute première fois, on imagine bien l’excitation et la satisfaction qu’on dû ressentir les trois fondateurs de la Distillerie d’Ile-de-France, installée à Fresnes-sur-Marne, en Seine et Marne. Même si cette première distillation d’un cubi de cidre était avant tout destinée à se faire la main. Car comme le disent Olivier Flé, Michael Landart et Antonin Van Niel, «créer une distillerie, c’est le projet d’une vie.» Un projet qui exige de sacrés investissements et du temps. Beaucoup de temps. Les trois complices ont d’ailleurs dû patienter près de trois ans avant de pouvoir mettre leur alambic en route. De voir leur rêve se concrétiser enfin. Tout a commencé en 2016. Cette année-là, la météo ne fait pas de cadeau à Olivier. Sa récolte est très mauvaise : le jeune agriculteur sait qu’il doit trouver une idée pour limiter la casse. «J’étais chez un caviste pour acheter un whisky : il m’a proposé une bouteille en provenance de Versailles, raconte-t-il. J’ai d’abord pensé que c’était une plaisanterie : en fait, il s’agissait de Versailles dans le Kentucky… Je n’ai pas dormi pendant une semaine : j’étais convaincu qu’il y avait quelque chose à faire. Dans la région, nous avons les meilleures orges du monde ! J’ai demandé à Antonin, un ami d’enfance, le contact de Michael que j’avais rencontré quelques mois plus tôt à son mariage. Je leur ai proposé de fonder une distillerie de whisky. Ils ont tout de suite accepté.» L’aventure de la Distillerie d’Ile-de-France était lancée.

Une distillerie engagée et autosuffisante

«J’avais moi aussi, depuis longtemps, le projet de fonder une distillerie, précise Michael, le propriétaire du Maria Loca, un bar à cocktails ouvert il y a sept ans dans le 11e arrondissement parisien. Mais je pensais que ce serait après le bar et je voulais davantage élaborer du rhum et du gin.» C’est acté : la Distillerie d’Ile-de-France ne produira pas uniquement du whisky mais une vraie gamme de spiritueux. Olivier et Michael, qui est également le créateur de la Old Fashioned Week et de Maca, un spiced rum artisanal, se chargeront de créer les recettes et de la production. De son côté Antonin, qui aime bien rester dans l’ombre, sera responsable de la partie commerciale et de la communication en ligne. Quant aux matières premières, elles seront essentiellement produites sur les deux cents hectares de la ferme d’Olivier en agriculture de conservation. Un parti pris qui devrait s’imposer comme un véritable atout pour la Distillerie d’Ile-de-France. Au-delà de maîtriser la qualité des matières premières, travailler en circuit court, en privilégiant la biodiversité et le développement local répond parfaitement aux préoccupations écologiques actuelles et aux attentes des “consomm’acteurs”.

«Je cultive de l’orge, du blé, du seigle, du maïs, de la betterave et du lin depuis un an, explique Olivier. L’idée, c’est d’être autosuffisant pour élaborer nos produits. Je travaille aussi sur des variétés anciennes d’orge et de maïs que j’ai récupérées auprès de l’Inra. Cette année, je n’ai pas pu récolter : les corbeaux ont tout mangé… Mais je vais recommencer. J’ai également planté onze hectares en agroforesterie : ce sont des arbres et des petits fruits plantés directement dans les champs de céréales, tous les quarante mètres, ce qui nous permettra d’avoir différents fruits que l’on travaillera en macération et en fermentation pour élaborer nos gins et pourquoi pas produire des eaux-de-vie de fruits. En plus, cela redonne vie à la plaine. Nous avons également planté des genévriers sur la ferme afin d’être autosuffisant au plus vite dans la production de nos propres baies.» «Pour la mélasse, c’est plus compliqué, rajoute Michael. On va s’approvisionner en Jamaïque auprès de la distillerie Worthy Park. Avec certaines épices aussi, on va être obligé de les acheter.» Vous l’aurez compris, les trois associés ont une idée très précise de ce qu’ils souhaitent pour leur distillerie et une approche résolument engagée. Comme le souligne Olivier, «faire le lien entre la ferme et la distillerie, c’est très important.» C’est d’ailleurs dans une ancienne grange de 140 m2 de la ferme familiale, construite en 1760 et ayant appartenu à la comtesse de Ségur, qu’est installée la distillerie. «L’alambic se trouve dans l’ancien box à chevaux», précisent-ils en se marrant. Il a pourtant mis du temps à arriver cet alambic. Il a aussi fallu boucler le financement avant que le projet ne se concrétise réellement. Pour cela, ils ont fait appel au financement participatif via la plateforme kisskissbankbank : une campagne réussie, qui a même dépassé les objectifs à 155 %.

Un alambic Stupfler “made in France”

Dès la fin de l’année 2016, avec un projet bien défini et une équipe complémentaire, la Distillerie d’Ile-de-France était sur la bonne voie. Il ne restait plus au trio qu’à peaufiner ses connaissances en matière de distillation et commander leur alambic. «En mars 2017, nous avons suivi une formation du Centre International des Spiritueux à Cognac, raconte Michael. Il n’y avait quasiment que des brasseurs qui voulaient se lancer dans la production de whisky. Nos formateurs nous ont conseillé de choisir quel métier nous voulions faire. C’est vrai que c’est compliqué d’avoir toutes les casquettes mais cela fait partie de notre histoire.» «C’est à Cognac que nous avons commencé à distiller avec un alambic Stupfler, explique Olivier. Ils sont fabriqués à Bègles : le fait que ce soit français et très artisanal était un atour à nos yeux. Et puis, surtout, c’est une maison qui crée des alambics à colonne uniques au monde, reconnus par les professionnels pour produire des spiritueux d’une finesse très distinctive et d’une belle rondeur. En plus, un Stupfler, n’est pas énergivore. Pour une passe de cinq ou six heures, on utilise l’équivalent d’une bouteille de gaz de 13 kg. Avec un alambic charentais, la consommation est dix fois plus importante. Nous avons donc décidé de nous équiper d’un Stupfler de 500 litres.»

Si, à eux deux, Olivier et Michael vont gérer la production des spiritueux de la Distillerie d’Ile-de-France pratiquement de A à Z, il y a tout de même deux étapes qu’ils vont déléguer pour élaborer leurs whiskies : le maltage et le brassage. «Nous avons envie de produire aussi bien des single malts que des blends et même un bourbon, précisent-ils. Nous sommes toujours à la recherche d’un malteur qui accepte de malter des petits lots. Nous ne brasserons pas sur place non plus : nous travaillons avec la brasserie Rabourdin. Nos céréales, maïs et seigle, seront incorporées au brassin avec une partie d’orge crue. D’ailleurs, notre premier brassin est prêt : nous avons hâte de le récupérer.» En attendant, ils travaillent sur la recette de leur gin. Ou plutôt leurs recettes. «Nous voulons lancer un gin plutôt classique, sec et tendu, assez marqué par le genièvre, explique Michael. Nous travaillons aussi sur une recette plus exotique un peu inspirée du tepache (une boisson mexicaine fermentée à base d’ananas, ndlr) avec du genièvre bien sûr mais aussi de l’ananas, du gingembre, du cédrat, du bissap, du citron jaune et des épices.» D’ailleurs, le jour de notre visite, ils étaient en pleine distillation du troisième batch de ce gin très original. «Nous allons aussi produire des gins de saison avec des recettes imaginées autour des fruits, des fleurs et des feuilles cueillis dans le coin», rajoute Olivier.

Des spiritueux de terroir à l’identité affirmée

Créatif dans l’âme, Michael semble s’amuser à finaliser la recette de leur gin exotique mais on sent aussi qu’il attend avec impatience de recevoir la mélasse. Il faut dire qu’il est connu pour être un grand amateur de rhum. Il a d’ailleurs visité un grand nombre de distilleries que ce soit dans les Antilles françaises, en Amérique du Sud ou à La Réunion où il a passé des journées entières dans leurs labos pour percer les secrets de la fermentation. «Au départ, la mélasse devait venir de La Réunion mais finalement notre choix s’est porté sur la Jamaïque et Worthy Park, raconte-t-il. C’est une très bonne chose : c’est une super distillerie dont le savoir-faire est reconnu. La provenance et la qualité de la matière première c’est bien sûr essentiel. Nous voulons réaliser des fermentations longues et pimper nos levures pour développer l’aromatique.» Ils savent aussi que le vieillissement est une étape importante. Pour élever leurs whiskies ou leurs rhums, ils doivent encore commander les fûts mais ils connaissent déjà les noms des deux tonneliers avec qui qu’ils vont travailler : Radoux et NAO. «Nous allons investir dans des fûts de 250 litres principalement, précise Olivier. Mais nous souhaitons aussi avoir quelques petits fûts qui permettent d’obtenir des rendus plus rapides. Plus tard, on aimerait aussi avoir un foudre.»

Le chai de 140 m2, attenant à la distillerie, est pratiquement prêt à accueillir les fûts. L’aménagement de cet ancien bouvier leur a d’ailleurs réservé une jolie surprise. Ils ont retrouvé une cinquantaine de grains de blé ancien qui sont désormais entre les mains de l’Inra et qui, espèrent-ils, pourront un jour donner naissance à un whisky inédit. «Nous voulons que notre gamme de spiritueux soit représentative de l’identité de notre région agricole et de notre terroir, affirment-ils. Nous avons également envie d’apporter une touche exotique. Nous voulons que notre distillerie soit un espace de liberté où on peut expérimenter. Nous souhaitons produire aussi bien des spiritueux de dégustation que des cuvées qui fonctionnent bien en mixologie.» La Distillerie d’Ile-de-France n’a pas encore embouteillé sa première création mais, grâce à ses fondateurs, un trio engagé, avec une vraie vision, elle cultive déjà sa propre personnalité.

Par Cécile Fortis

Photos Christophe Meireis

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