Des producteurs et spécialistes du whisky français répondent à une unique question : que manque-t-il à la France pour devenir la 5e puissance du whisky, au côté de l’Ecosse, l’Irlande, les Etats-Unis ou le Japon ?
En conclusion du dossier déroulant “Quarante ans de whisky français », paru dans l’édition de rentrée de Whisky Magazine (abonnement et vente au numéro ici), les acteurs historiques interrogés en convenaient : nous sommes arrivés à un moment de bascule. Il va falloir désormais aller chercher avec les dents les parts de marché, faire grossir le gâteau pour placer la France sur la mappemonde des premiers producteurs mondiaux.
Les savoir-faire existent, l’écosystème aussi : en finalisant le rachat de United Malt mi-novembre, le groupe français Soufflet est devenu le plus gros malteur mondial – et met au passage la main sur les malteries Bairds, bien connues des amateurs de scotch. La France abrite également le n°1 de la tonnellerie, TFF, qui possède des filiales dans tous les pays de whisky (la Speyside Cooperage ou Alloa et Isla en Ecosse, notamment).
Dès lors, que nous manque-t-il pour devenir la 5e grande nation de whisky ? Faute de place dans le magazine papier, j’ai dû trapper les réponses apportées par les producteurs et spécialistes interviewés. Les voici. Et ce n’est pas piqué des hannetons.
Il manque du temps, des volumes et des médailles
« Ce qui manque ? Du temps, tranche Christophe Dupic, à la tête de Rozelieures. Les maisons sérieuses doivent encore monter en qualité, en âge. On atteint la taille critique pour faire exister la catégorie, certains acteurs commencent à grossir : rendez-vous dans 10 ans. »
Le temps ne se mesure pas en heures, ni même en années dans le whisky, mais en stock. « Il manque les volumes, confie David Roussier, DG de Warenghem/Armorik (lire son interview complète ici). C’est en train de s’arranger, beaucoup de distilleries sont au taquet, nous y compris. Il manque peut-être aussi un titre de meilleur whisky du monde, des médailles dans de grands concours… Si un whisky français gagnait un titre vraiment important, en termes de renommée cela aurait probablement des retombées positives sur tous les autres. »
Au diapason, les Bretons, puisque Loig Le Lay renchérit d’une breloque : « Si le whisky français gagnait une médaille dans un concours coté, on franchirait un cap. Mais il manque aussi un gros travail sur le terrain : il faut continuer à éduquer, faire goûter. Depuis quatre ou cinq ans, le whisky français suscite beaucoup de buzz, les amateurs connaissent. Mais pas le grand public. »
« Un titre de meilleur whisky du monde dans une Bible quelconque ! », se marre Philippe Jugé, grand collectionneur de whisky français et cofondateur de la Fédération du Whisky de France. Bref, un Breton. No comment. « Le whisky français a besoin de reconnaissance internationale. Aujourd’hui, c’est soit un whisky à touristes, soit un achat militant du “made in France”. Il faudrait peut-être également sortir un peu plus souvent du cadre : le public veut des produits barrés, plus extrêmes. On est souvent trop sages. »
Il manque des locomotives, des comptes d’âge et du marketing
« Il nous manque des gros acteurs, des locomotives, comme dans le cognac tiré par Hennessy, Martell…, avance le Charentais Jérôme Tessendier, créateur du whisky Arlett. Et une richesse dans les âges : c’est ce qui fait la notoriété d’une catégorie. Le temps, c’est notre ami. Il faut savoir tenir – et investir – dans la durée. »
Philippe Giraud, un autre Cognaçais, complète : « Il manque encore l’engagement des multinationales. Un gros qui ait la conviction que dans 50 ans la France peut concurrencer l’Ecosse. Ça arrivera. » Les pontes d’un « gros » me confirmaient récemment recevoir un dossier par semaine dans le whisky français – projet à financer, ouverture de capital ou distillerie/marque pas hostile à se laisser racheter.
« Il manque du marketing, soutient Alexandre Sirech, cofondateur des Bienheureux (Bellevoye, Bercloux, Beauchamp, j’en oublie…), qui a lâché une campagne radio à la rentrée sur son blend Lefort (voilà, j’en oubliais). Il faut populariser le whisky français, qui ne doit pas rester une niche. »
Il manque une identité, une définition et des exportations
« Il nous faudrait dégager une identité française, suggère Alban Perret, maître distillateur de Ninkasi. Ne pas seulement copier les autres nations. Et des prix de vente raisonnables sans compromis sur la qualité. » Une recette qui a permis au scotch de conquérir le monde en son temps.
« Je peux répondre en off ? Il manque un peu de tri, me confie un producteur. Il y a aujourd’hui abondance de nouveaux acteurs, pas identifiés dans le whisky et incapables d’aller à l’export : je pense que cela ralentit la catégorie plus que ça ne la construit. »
« On a besoin d’une Indication géographique !, lâche Stefanu Venturini, fondateur de la distillerie Mavela en Corse. Et des contrôles pour la faire respecter. Aujourd’hui on ne peut pas réellement communiquer sur le “whisky français”, notamment à l’export, puisqu’il n’a pas de définition. »
« L’un des enjeux est l’export, la reconnaissance en dehors des frontières, insiste Frédéric Revol, fondateur du Domaine des Hautes-Glaces, passé dans le giron du groupe par Rémy Cointreau (interview ici). Il faut être reconnu par ses pairs, et par les tiers. Le whisky français est un monde de producteurs, pas de marques, et la catégorie est portée par un sentiment national, pas par le whisky lui-même : on ne peut pas encore se passer de faire goûter et d’expliquer. »
Il manque des morts, des histoires et de la mauvaise foi
Matthieu Acar, responsable retail à LMDW, animateur du blog Whisky Français et auteur du réjouissant Une brève mais intense histoire du whisky français paru en septembre chez Flammarion, en remet une louche : « C’est la capacité à s’exporter qui sera le juge de paix pour déterminer si, oui ou non, la France est une nation du whisky. Et pour exporter, il faut avoir du volume et de la constance dans l’offre ; ça commence à être le cas, il n’y a plus qu’à ! »
« Y a plus qu’à », flegmatique synonyme de « tout reste à faire » : « J’étais au Whisky Show fin septembre,poursuit Acar. Et c’était un bel exercice d’humilité, car il faut se rendre à l’évidence : le whisky français n’existe pas Outre-Manche. » Permettez-moi de le confirmer : un échange récent avec un éminent confrère de Spirits Business, dont le job consiste à suivre l’info spiritueuse, m’a permis de lui apprendre… qu’on distillait du whisky en France. Le bougre est tombé de l’arbre. « What ? Plus de 100 distilleries de ouiski ? Et je ne peux même pas en citer une ! Damned. » (Je résume.)
Nicolas Julhès, démiurge de la Distillerie de Paris, possède un sens lapidaire du résumé et une inclination pour l’analyse radicale : je vais donc lui laisser le mot de la fin. « Il faut peut-être encore 20 ou 30 ans de plus, le temps que les meilleures maisons montent en puissance et que les autres meurent. Qu’un style, des histoires se créent. Qu’on en arrive à un préjugé : le whisky français, c’est ça. Il nous manque aussi un peu de mauvaise foi vertueuse, des cavistes prescripteurs, des militants capables de dire : “Ça c’est extraordinaire !” alors que ça ne l’est pas. Le whisky français, c’est un whisky qui se vend mais pas encore un whisky qui s’achète. On peut convaincre les gens de le goûter, mais pas les convertir, et si on ne le pousse pas régulièrement en boutique il reperd du terrain. Enfin, l’un des freins à l’expansion du whisky français, c’est qu’on reste des amoureux du scotch. »
en France le problème ne sera t-il pas l’eau ? Des régions seront touchées par la sécheresse . On rivalisera jamais ave l’Ecosse ou l’Irlande
Des distilleries à tout va ne tiendront pas !
en France le problème ne sera t-il pas l’eau ? Des régions seront touchées par la sécheresse . On rivalisera jamais ave l’Ecosse ou l’Irlande
Des distilleries à tout va ne tiendront pas !
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Au travail , et bonne chance !