Les bouteilles et leur transport forment une part importante du bilan carbone extrêmement négatif du monde des spiritueux. ecoSPIRITS, qui débarque en France après trois ans d’expérience asiatique, vise à changer la donne. Implanté dans son entrepôt dernière génération d’Ile-de-France, La Maison du Whisky proposera le service eco-spirits dès le mois de novembre.
Depuis quelques années, c’est un peu comme si le monde du bar – son aile mixologie classe mondiale, en tout cas – était en plein master de gestion environnementale. Un secteur qui, traditionnellement, brillait surtout pour l’insouciance avec laquelle il gaspillait les ressources naturelles, c’est en effet pris de passion pour la cause anti-plastique. La fermentation maison, ce n’est pas pour le goût, c’est pour réduire les déchets. Et les spiritueux locaux, peu importe leur qualité réelle, ont le vent en poupe. Mais entre le geste nécessaire et une politique réellement verte, il y a parfois un gouffre. Pas de pailles jetables dans le bar, mais la palette de bourbon pour votre Old Fashioned, dans quelle quantité de plastique est-elle enveloppée ? Une distillerie artisanale de gin installée en rase campagne donne-t-elle un spiritueux vraiment plus écologique qu’un géant dont les installations ont été construites pour réduire au maximum le bilan carbone ? Pour le bien de la planète, il faut voir en grand. C’est ce que semble penser Paul Gabie, créateur de ecoSPIRITS, lancé il y a maintenant trois ans à Singapour. L’idée, a priori pas facile à vendre, est de créer un nouveau modèle de distribution dans le secteur des spiritueux. Ou plutôt, puisque ecoSPIRITS n’est pas un distributeur mais bien une technologie disponible sous licence, d’offrir aux marques, distributeurs et bars, une technologie à même d’éliminer une astronomique quantité de verre d’un seul usage et, dans le même geste, une part non négligeable du plastique et du carton lié à la distribution de spiritueux à échelle planétaire. L’enjeu est grand : selon la compagnie, l’industrie du spiritueux c’est 40 milliards de bouteilles en 2020, ce qui représente 22 millions de tonnes d’émissions. Mazette.
Un concept né en Asie
Les problèmes liés au packaging n’ont jusqu’ici pas vraiment été au premier plan des soucis verts de l’écosystème spiritueux. Peut-être car le recyclage du verre est perçu comme un problème résolu. Comme nous le rappelle Zdenek Kastanek, international sales director de ecoSPIRITS, c’est très loin d’être le cas : une bouteille est souvent faite d’éléments plastiques, d’étiquettes difficiles à éliminer et son recyclage, quand il est effectué, est souvent partiel. Pour comprendre d’où vient ecoSpirits, il faut peut-être d’abord voir le parcours de Gabie. Cet avocat canadien débarque à Singapour après plusieurs années à New York. En Asie, lui et son ami Spencer Forhart regrettent l’absence de bars à cocktails de qualité. Ils décident de le monter eux-mêmes. C’est ainsi que naît 28 Hong Kong Street, un établissement qui marque un avant et un après. Le succès de l’aventure donne des ailes à Proof & Co, leur entreprise. Abreuvée par les meilleurs talents d’Australie et d’Europe, elle lance des concepts qui feront date (plusieurs d’entre eux squattent la liste World’s 50 Best Bars). Et comme de nombreux spiritueux de qualité manquent (surtout des marques indépendantes) alors en Asie, Proof & Co se transforme aussi en importateur et distributeur. Mais le coût caché pour la planète que suppose le transport international d’un whisky écossais ou d’un vermouth italien, pose question ; ecoSPIRITS est la réponse.
Que la prise de conscience vienne d’Asie n’est peut-être pas une surprise. La scène cocktail s’est développée au cours de la dernière décennie avec une rapidité saisissante, mais les bars dépendent de produits qui viennent de très, très loin. D’un autre côté, dans des villes comme Singapour ou Hong Kong, de nombreux travailleurs du secteur sont d’origine malaisienne ou indonésienne, deux pays aux premières loges de la dégradation climatique. Et on y trouve des pionniers du bar durable, comme Native, qui, en plus d’un énorme travail sur la réduction des déchets organiques, travaille principalement avec des spiritueux régionaux, non pas (ou pas seulement) pour des motifs de fierté identitaire, comme c’est souvent le cas en Italie ou France, mais surtout par souci de minimiser l’impact de leur travail sur la planète.
Comment ça fonctionne ?
«Quand j’étais petit, raconte le tchèque Zdenek Kastanek, mon père retournait ses bouteilles de bière, il récupérait de l’agent et il achetait de nouvelles. ecoSPIRITS, c’est ça.» Le système de consigne, considéré obsolète il y a trente ans, en version 2.0. Si l’idée est en fait relativement simple, la technologie est de pointe. Les producteurs envoient leurs liquides en vrac vers le marché de destination. Une fois arrivés, les spiritueux sont conditionnés dans des ecoTOTES, des boîtiers en verre avec une capacité de 4,5 litres (les centres de conditionnement sont toujours installés au plus près de la zone de distribution). Les boîtiers partent ensuite vers les établissements qui participent au programme. Ceux-ci peuvent aussi compter sur le système SmartPour, qui leur permet de servir depuis l’ecoTOTE ou de remplir des bouteilles vides des marques qu’ils utilisent, ce qui garantit leur présence – essentielle pour la visibilité des marques – sur le backbar. Enfin, les ecoTOTES vides retournent dans les installations locales où ils sont de nouveau remplis. Selon la compagnie, un ecoTOTE élimine 100 bouteilles à usage unique sur sa durée de vie. Au total, ce serait une réduction de 70 à 90 % de l’empreinte carbone typique de la distribution de spiritueux…
Le lancement officiel en 2018 était accompagné de certains doutes : vu le profil des personnes derrière le projet, est-ce que ecoSPIRITS n’allait pas avant tout mettre en avant les clients ou les propres marques de Proof & Co et se vendre essentiellement auprès des bars et des groupes hôteliers avec lesquels ils travaillaient ? La réponse est initialement oui. C’est naturel : les marques de spiritueux dépensent beaucoup d’argent pour créer un positionnement et une image basée sur la bouteille, et le vrac est qualitativement très mal vu. Il faut une relation de confiance très forte pour appuyer un tel pari. Plantation, par exemple, se lance. Maison Ferrand travaille avec Proof & Co depuis les débuts et le projet leur semble attrayant. Les raisons écologiques pèsent, mais aussi l’aspect économique. Comme nous l’explique Matthieu Gouze, responsable notamment de l’Asie pour Ferrand, sur ce continent les taxes se basent en général sur la valeur du produit et non sur l’alcool, comme en Europe. Travailler avec les ecoTOTES permet donc une baisse significative des prix, ce qui rend la marque bien plus compétitive. Mais sans la possibilité de remplir des bouteilles depuis l’ecoTOTE, la participation d’une marque comme Plantation n’aurait sans doute pas été assurée : la présence visible de la bouteille dans un bar est trop importante stratégiquement.
Au tour de l’Europe
Maintenant que le système a fait ses preuves (il est aujourd’hui présent dans 6 pays, 25 villes et 600 bars d’Asie et Australie), ecoSPIRITS s’étend vers d’autres marchés, où Proof & Co n’est pas présent (malgré les liens, les deux entreprises sont indépendantes). D’autres marques adoptent le système. Pour Avallen, le calvados qui vise, selon sa co-fondatrice Stephanie Jordan, à être la marque «la plus positive pour la planète», la collaboration tombe sous le sens. «En tant que petite marque, nous pouvons contrôler comment nous produisons ou présentons notre spiritueux, mais nous ne contrôlons pas le troisième élément, c’est-à-dire la distribution. Nous sommes obligés de passer par des tiers pour lesquels nous sommes une marque parmi d’autres et nous avons moins d’influence sur leur politique environnementale.» Pour elle, les avantages sont donc évidents.
Avallen travaille avec ecoSPIRITS au Royaume-Uni car son distributeur est le partenaire de l’entreprise technologique. En France, le partenariat a été scellé avec La Maison du Whisky. Mais, insiste Jérémy Moreau, responsable d’ecoSPIRITS pour l’Hexagone, il s’agit d’une solution technologique, non exclusive, ouverte donc à toutes les marques et tous les bars qui veulent l’utiliser. Bien sûr, la capacité des installations sera initialement limitée, mais l’ambition est là.
Justement, et les bars dans tout ça ? Ils ont évidemment la satisfaction de diminuer leur empreinte carbone. Et, pour chaque ecoTOTE utilisé et renvoyé, un arbre est planté dans une forêt menacée. Au niveau du travail quotidien, Ezra Star, de The Pontiac à Hong Kong, un bar relativement petit mais à très gros volume, a découvert ecoSPIRITS à son arrivée des États-Unis il y a quelque mois. Elle souligne que l’ecoTOTE permet de libérer un espace de stockage conséquent, rend les inventaires et la gestion des déchets bien plus faciles. Bref, de nombreux avantages. Si, en plus, comme c’est le cas à Hong Kong, les produits disponibles sous ce format sont de qualité, il n’y aura bientôt plus d’excuses.
Par François Monti
Ils l’ont dit :
« La nécessité de réduire les déchets n’est plus une simple utopie mais la réalité du 21ème siècle. La Maison du Whisky s’efforce de rester toujours à l’avant-garde des enjeux de demain et souhaite répondre à cette forte demande des professionnels et des consommateurs en proposant une solution de spiritueux en vrac. Nous sommes heureux de lancer ecoSPIRITS en France ! »
Thierry Bénitah, PDG de La Maison du Whisky
« En sélectionnant des partenaires pour le très important marché français, nous sommes convaincus d’avoir trouvé une excellente adéquation avec Thierry Bénitah, Jean-François Briand et l’équipe La Maison du Whisky. Ils sont depuis longtemps des pionniers dans l’industrie, et leur engagement envers l’innovation en matière de développement durable n’est que le prochain chapitre de ce voyage. »
Paul Gabie, PDG de la maison mère ecoSPIRITS