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À l’occasion de la sortie par Casterman d’une BD sur Helen Arthur, Whisky Magazine & Fine Spirits a demandé à Caroline Dewar, une de ses proches et elle-même experte en whisky, de nous raconter qui était celle qu’on surnomme Lady Whisky.

Avant de se tourner plus entièrement vers les milieux du whisky, Helen menait une carrière diversifiée et couronnée de succès. Elle commence par exercer ses talents de manager dans la succursale qu’Asprey’s, le grand bijoutier londonien, avait ouverte à Oman. C’est là qu’elle rencontre son futur mari, Dick Arthur, officier parachutiste affecté aux SAS (Special Air Services) et instructeur à ce titre pour l’armée du sultanat d’Oman. C’est à Édimbourg, où son mari a été muté que, en 1982, je l’ai rencontrée pour la première fois, alors que nous travaillions toutes les deux pour Hall Advertising, à l’époque première agence de publicité d’Écosse. Officiellement assistante de direction de deux chefs d’entreprise, elle aiguisait par ailleurs son appétit pour le whisky à l’occasion de ses missions auprès de The Glen Glenlivet et Glen Grant.

Premier drams

Son mari étant une nouvelle fois muté, elle saisit cette occasion pour suivre les cours de la Manchester Business School où elle rencontre Patrick Gallagher, ancien cadre de Shell à la retraite. Avec ce dernier, elle fonde en 1983 Company Solutions, une agence de relations publiques et de promotions basée à Londres. L’un de ses premiers clients est Matthew Gloag & Son, propriétaire des marques The Famous Grouse et Highland Park, entre autres. Famous Grouse fut la mission dont Helen s’est le plus remarquablement acquittée à cette époque. Elle a conçu à cette occasion et dirigé “The Famous Grouse Stocks & Shares”, un concours qui devait détenir durant de longues années au Royaume-Uni le record du plus grand nombre de participants à un jeu-concours avec obligation d’achat de l’industrie des spiritueux. Ce pourrait encore être le cas aujourd’hui.

Ayant atteint en 1979 la barre du million de caisses vendues, The Famous Grouse devient en 1980 leader du marché en Écosse. De 1983 à 1987-1988, Helen et son équipe travaillent avec cette marque dont les ventes au niveau mondial doublent en 1989 pour atteindre 2 millions de caisses, en raison notamment de leur créativité en matière de promotion et de relations publiques. Mais, reconnaissant également la qualité du single malt produit par Highland Park dans les îles Orcades, Helen estima qu’avec l’aide d’une campagne promotionnelle bien conçue, la marque pouvait elle aussi prendre de l’importance. Elle convainc en 1983 Highland Park de parrainer le Parliamentarian of the Year Award [prix du parlementaire de l’année] organisé par le magazine The Spectator, un mécénat qui allait se prolonger durant une décennie au moins.

Parallèlement aux activités de Company Solutions, Helen et son équipe organisent les dégustations biennales de whisky destinées à des charities. Les hauts responsables de la City londonienne invités à participer à une dégustation de whiskies d’Écosse sont ravis de découvrir ces drams présentés par leurs producteurs, qui sont eux-mêmes enchantés de pouvoir atteindre une cible très en vue. Organisée durant près de vingt ans, la biennale du NTfS a contribué à développer l’image de nombre de marques de whiskies écossais, et principalement des single malts. Elle a véritablement été le précurseur, voire le schéma directeur, de la plupart des festivals de whisky organisés aujourd’hui dans le monde.

Arrêt sur image

J’ai ensuite proposé à Company Solutions de nous aider à améliorer l’image de The Glendronach, marque à l’époque bien plus confidentielle qu’aujourd’hui. Après avoir exprimé l’idée qu’il s’agissait d’un Very Personal Pleasure, Helen a invité diverses célébrités, présentateurs de la télévision britanniques, lords, jardiniers réputés, etc., à décrire en quelques phrases leurs plaisirs personnels. Un dessinateur humoristique les a tous caricaturés, chacun exerçant son activité, puis les dessins ont été regroupés dans une petite brochure accompagnant la bouteille. L’idée a été étendue aux principaux barmen de Londres, ce qui a permis de leur présenter la marque, de même qu’à leurs influents clients fréquentant les meilleurs hôtels et bars de la capitale britannique.

À l’époque où mes patrons ont fondé Allied Distillers qui regroupait désormais toutes leurs marques de whisky, Helen organisait une collecte de fonds au bénéfice de la caisse de retraite des SAS, le SAS Golden Jubilee Appeal. Nous étions ravis de pouvoir soutenir sa démarche en lui fournissant des whiskies pour une campagne totalement inédite : des dîners où étaient invités des conférenciers réputés, organisés dans la base des SAS en Angleterre. L’idée de visiter la base des SAS était si séduisante que les grands patrons affluèrent de tout le Royaume-Uni, en voiture ou en hélicoptère, pour assister à ces événements, et plus particulièrement au dîner où l’oratrice fut Margaret Thatcher, grande sympathisante des SAS, qui eut l’occasion ce soir-là de déguster Laphroaig et The Glendronach.

Mes collègues du service marketing chargé des single malts d’Allied Distillers étaient toutes des femmes. À l’époque, les femmes étaient nombreuses à apprécier le whisky, mais en étaient souvent détournées par des hommes qui leur expliquaient ce qu’elles devaient boire et comment (c’étaient les années 1990 !). S’inspirant du format des dégustations qu’elle avait organisées pour le NTfS, Helen met alors sur pied la toute première dégustation exclusivement réservée aux femmes cadres travaillant dans la City londonienne, ayant obtenu pour ce faire l’utilisation du foyer et du bar du Royal Opera House de Londres.

Les femmes au cœur du système

Après le décès de son mari en 1996, Helen décide de réorganiser sa vie professionnelle. En 1997, elle publie son premier livre, The Single Malt Whisky Companion. Le succès est immédiat. Il sera traduit en plus de vingt langues. C’est le premier ouvrage consacré au whisky jamais écrit par une femme. La même année, Helen et moi lançons Distillery Destinations, la première agence de voyage d’Écosse vouée au tourisme du whisky. L’idée de l’agence de voyage nous avait été suggérée par Jim McEwan. Nous avons travaillé ensemble pendant dix ans, à organiser des manifestations et des voyages sur mesure, des dégustations, dîners et autres événements pédagogiques.

Helen publie par la suite d’autres ouvrages à succès, notamment Whisky – Uisge Beatha The Water of Life, salué par deux prix, dont celui du « meilleur livre consacré aux spiritueux dans le monde » du Salon international du livre gourmand en 2000, puis A Teacher’s Tale en 2005, pour commémorer les 175 ans de la marque Teacher. À cette occasion, nous avons compulsé ensemble les archives de la distillerie The Glendronach. Helen publie ensuite The Connoisseur’s Guide to the World’s Finest Whiskies, en 2008, puis participe en 2011 avec d’autres auteurs spécialistes du whisky à l’ouvrage collectif Cutty Sark – The Making of A Whisky Brand dont elle rédige un chapitre.

En 1999, Helen est nommée membre à vie du cercle très fermé des Keepers of the Quaich pour services rendus à la cause du whisky. Certes, elle n’était pas la première femme à être ainsi honorée. Elle n’était pas non plus une journaliste généraliste dans le domaine des vins et spiritueux, mais elle était assurément la première écrivaine consacrant exclusivement son travail au whisky.

Plus tard, Jim McEwan nous invita à participer au premier Islay Festival of Malt and Music, en y faisant venir les clients de notre agence de voyage. Nous y impliquant d’emblée, nous nous sommes demandé ce que nous pourrions proposer pour susciter davantage d’activités à la pointe Bruichladdich/Port Charlotte de l’île. Comme nous expérimentions toutes les deux depuis des années diverses recettes de cuisine au whisky, Helen décida d’organiser à Port Charlotte un dîner magnifiant les accords des mets et du whisky. Le premier eut lieu en 2003 et la tradition s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui.

L’année 2003 fut également celle d’une autre première et d’un autre très bel hommage. Avec la complicité de Caecil Gerrits, propriétaire de Versailles Dranken, caviste néerlandais spécialisé dans le whisky qu’Helen avait rencontré aux Pays-Bas, elle crée The Helen Arthur Collection, une gamme de whiskies single cask sélectionnés par Helen, embouteillés sous son nom et commercialisés exclusivement dans le magasin de Caecil Gerrits. Nul autre écrivain du whisky n’avait jamais fait cela : la collection s’est vendue jusqu’au dernier flacon. L’année de son décès, en 2015, il ne restait qu’un dernier fût attendant sa mise en bouteilles, un Bruichladdich qui a été embouteillé l’année suivante. En plus de toutes ces activités, Helen se lança dans le dépouillement de diverses archives, non seulement celles de Teacher’s, The Glendronach et Laphroaig.

Sa mort brutale, d’une hémorragie cérébrale, a choqué et affligé beaucoup d’entre nous. Lorsqu’en 2016 j’ai accompagné le mari français de la nièce d’Helen, l’auteur de bande dessinée Joël Alessandra, à Islay, qui effectuait des recherches pour son nouvel album, cela a été pour moi une façon de rendre hommage à sa mémoire, en souvenir de plus de trois décennies d’amitié. À l’occasion de ce voyage, Jim McEwan avait promis à Joël de créer le whisky suprême que recherchait Helen. Il a tenu promesse. Deux bouteilles que Joël utilisera pour la bonne cause.

Par Caroline Dewar

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