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Le made in France, c’est à l’étranger qu’il fonctionne le mieux. Le cognac fait ainsi un carton aux États-Unis, son marché n°1 depuis plus de vingt ans. Sa conquête outre-Atlantique se poursuit auprès de la communauté afro-américaine mais pas seulement. Cosmopolite et moderne, le cognac séduit les autres cultures sans oublier les millennials, ces jeunes consommateurs porteurs de la tendance plus qu’émergente du craft. En route pour l’Amérique !

Les Américains ont de la mémoire ! Reconnaissante, l’Amérique des G.I. et des artistes de jazz, accueillie un temps dans les clubs parisiens, a ouvert grand ses portes au cognac. Quelques notes de musique et un héritage plus tard, la population afro-américaine, celle du rap et du hip-hop s’est approprié l’eau-de-vie charentaise avec cette furieuse envie de se démarquer de la “suprématie blanche”, celle des White-Anglo-saxon-Protestant (WASP), plutôt portée sur les bourbons et autres boissons locales. Le boom de l’économie américaine, l’authenticité de l’appellation, l’habilité commerciale et politique des grandes marques françaises feront le reste.

Merci l’Amérique

C’est bien le monde du rap qui dans les années 2000 redonne au cognac une visibilité sans précédent sur le marché américain. Quand Busta Rhymes, Puff Daddy et Pharrell Williams débarquent sur les ondes et les réseaux vantant les mérites de l’eau-de-vie charentaise, le rap n’a pas encore popularisé son audimat dans la France de la loi Evin. On frémit dans les rangs de vigne. C’est loin l’Amérique ! Dans l’Hexagone, on tient encore à l’image pourtant surannée et poussiéreuse du cognac à la papa. Les négociants eux croient au rêve américain, ils répondent à l’appel. Hennessy compte désormais par milliers les références à la marque dans les performances des rappeurs. Le n°1 du cognac trouve là un formidable relais d’influence. Affectueusement surnommée “Henny” par ses fans, elle prend une sacrée longueur d’avance sur ses concurrents et le leader incontesté du cognac (une bouteille sur deux de cognac vendue dans le monde est une bouteille d’Hennessy) devient la troisième marque de spiritueux la plus demandée aux États-Unis derrière Crown Royal et Jack Daniel’s. Dans son sillage, le Château de Cognac marie ses intérêts à ceux de Jay-Z et lance en 2012 le cognac d’Ussé. Le succès pour la marque de Bacardi est colossal juste après celui de Chris Ludacris Bridges qui combine lui aussi la culture américaine et la tradition française avec le cognac Conjure produit par Birkedal Hartmann. Dans les rangs de vigne, la crainte fait place à l’étonnement. Après l’explosion de la bulle japonaise et les années de crise qui ont suivi, le monde du cognac se fait une raison plus que valable : en vingt ans, les ventes dans le monde ont été multipliées par trois ! 43 % des 204 millions de bouteilles expédiées en 2018 sont parties aux États-Unis*.

La diversité en relais de croissance

«La maison Hennessy y vend principalement du cognac VS mais les consommateurs américains ne sont pas figés sur une catégorie», explique Jean-Dominique Andreu, directeur marketing de la maison Camus dont la filiale américaine vient de recruter quatre nouveaux ambassadeurs. «Le consommateur est aujourd’hui plus versatile. Il cherche à vivre des expériences gustatives pointues. Il est curieux, demande de la transparence et de l’éducation», reprend le spécialiste. De la diversité aussi, celle apportée par des maisons non cotées en Bourse. «Depuis quinze ans, toutes les catégories de spiritueux ont vécu une colossale révolution. Par comparaison au bourbon, à la tequila et au rhum, le cognac est resté peu innovant, bien installé dans son cahier des charges», reprend Jean-Dominique Andreu, fervent défenseur du goût. Clin d’œil à l’histoire des traversées vers l’Amérique ou véritable innovation, la maison Camus vient d’envoyer sur un voilier centenaire dix fûts de cognac 5 ans d’âge vers une rhumerie de la Barbade. «Le vieillissement en mer puis sous les tropiques est totalement différent avec une évaporation de 8 à 10 % (2 % dans les chais à Cognac, ndlr).» Le n°5 du cognac n’est pas à son premier essai. Après sa gamme originale île de Ré, Camus lancera en mai un cognac produit sur le tout dernier vignoble de Dordogne et vieillit en fût de Monbazillac.

Mode de consommation, l’Amérique des libertés

«Le mouvement craft, porté par la mixologie et la génération des millennials, participe au succès du cognac», souligne à son tour Augustin Depardon, directeur exécutif du cognac Rémy Martin. Il salue lui aussi le retour des spiritueux bruns outre Atlantique. «Depuis 8 ans, on assiste à un mouvement de fond, un repositionnement sur plusieurs marchés, y compris aux États-Unis. Le public d’amateurs se déplace vers la qualité. Il est de plus en plus large, multiculturel, plus jeune et plus féminin.» Pas question de s’endormir sur ses lauriers, le cognac joue les caméléons et surfe sur toutes les tendances. II confie son habillage aux grands noms du design et du street art. L’artiste Matt W. Moore s’associe à Rémy Martin pour sa nouvelle série limitée VSOP et son activation digitale. Hennessy initie une collaboration artistique avec Guangyu Zhang et fait d’une pierre deux coups : le nouvel an chinois se fête aussi en Amérique. Grandiose et pharaonique, le cognac du groupe LVMH offre à son haut de gamme Extra Old un court-métrage signé Ridley Scott diffusé le 24 février dernier à la 91e cérémonie des Oscars.

De New York à Los Angeles en passant par Chicago, Miami et Austin, le cognac n’en finit pas de se réinventer dans sa version à la fois vintage et contemporaine. Le spiritueux “made in France” et son histoire vieille de plus de trois cents ans est plébiscité dans les bars branchés. Il y est consommé principalement en long drink mais aussi en cocktail ou pur comme au Copper & Oak, un bar intimiste au cœur de Lower Side à New York. Il échappe aux a priori qui lui collent encore au verre dans l’Hexagone. Profitera-t-il en France comme de l’autre côté de l’Atlantique du regain d’intérêt pour le rétro et l’authentique ? Cela ne coûte rien d’y croire !

Par Christine Croizet

*Source BNIC : En 2018, 87,4 millions de bouteilles ont été expédiées aux États-Unis dont 70 % de la qualité VS, un cognac vieilli au moins deux ans en fûts de chêne. Le marché américain est le premier marché du cognac depuis 1994 devant Singapour (27,2 millions de bouteilles) et la Chine (24,2 millions de bouteilles).

 

Martell Blue swift, l’épopée

On dirait du cognac mais ce n’est plus du cognac. Par son affinage en fûts de bourbon et son entorse au cahier des charges de l’AOC, Blue Swift, le VSOP lancé par la maison Martell sur le marché américain en 2016, s’est fait sortir de l’appellation. Cette boisson spiritueuse fait un carton outre-Atlantique. Pour en savoir plus, nous avons interviewé Pierre Bérard, directeur marketing de Martell-Mumm-Perrier-Jouët (Pernod Ricard).

Qu’est-ce que Martell Blue Swift ?

P. B. : Martell Blue Swift est le premier spiritueux élaboré à base de cognac Martell VSOP affiné en fûts de bourbon du Kentucky. C’est une innovation créée pour répondre aux attentes des amateurs de bourbons et de spiritueux bruns en général. Martell Blue Swift a également été pensé comme un hommage aux relations historiques entre la maison et les États-Unis. La première expédition de cognac Martell vers le continent américain date de 1783 !

Pourquoi lancer Martell Blue Swift aux États-Unis ?

P. B. : Depuis trois cents ans, la maison Martell assemble des cognacs uniques qui sont à la fois le fruit d’un esprit d’innovation et d’un respect de la tradition. Refaçonner les classiques a toujours été l’un des piliers de l’ADN Martell. Moderne et inédit, le finish en fûts de bourbon correspond particulièrement bien aux attentes gustatives de raffinement et de rondeur en bouche des consommateurs américains. Il s’agit pour la maison de conquérir de nouveaux marchés tout en faisant rayonner son savoir-faire.

Martell Blue Swift n’a plus le droit de s’appeler cognac. Est-ce que le changement de l’appellation de cognac VSOP à Spirit Drink a eu un effet sur les ventes ?

P. B. : La nouvelle étiquette de Blue Swift a été validée en 2017 par l’administration et l’interprofession du cognac. Les premières bouteilles sont arrivées sur le marché peu après. Il ne semble pas que le changement d’appellation ait eu un impact sur les ventes. Dès le commencement de ce projet, la maison Martell avait identifié que ce produit pouvait poser des interrogations. Nous avons donc été transparents en invitant la profession à définir une règle de conduite concernant le développement des finish cask et plus largement l’innovation dans l’appellation cognac. Un groupe de travail a ainsi été constitué au sein de l’interprofession du cognac afin de réfléchir aux pratiques à autoriser et à la réglementation pour demain. Une solution collective a donc pu être trouvée. L’innovation est clé dans la stratégie de Martell afin d’apporter de nouveaux bénéfices aux consommateurs. Elle permet aussi un renouvellement de la catégorie du cognac en la dynamisant. S’il était important pour Martell de clarifier l’appellation pour le consommateur, l’essentiel est surtout de lui apporter un réel bénéfice supplémentaire au goût.

Quelle est la situation actuelle de Martell aux États-Unis ? Considérerez-vous la marque comme un challenger ou un leader ?

P. B. : Martell est l’un des principaux moteurs du dynamisme de la catégorie aux États-Unis où la stratégie d’innovation continue à porter ses fruits avec une offre qui répond aux attentes des consommateurs dans un univers compétitif particulièrement fort. À ce titre, le succès de Martell Blue Swift contribue fortement à la croissance de la marque et se déploie à travers le pays. Trois ans après son lancement Blue Swift est vendu dans 45 États.

Quels sont les partenariats de Martell pour promouvoir ses cognacs aux États-Unis ?

P. B. : Martell vient de s’associer à Quavo, le chanteur du groupe Migos, ainsi qu’aux chefs cuisiniers Ghetto Gastro, un collectif culinaire originaire du Bronx qui désire «amener le monde au Bronx et le Bronx au monde» grâce à une cuisine et un style unique visant à promouvoir la richesse de leur culture et la street food. Martell et Ghetto Gastro ont organisé plusieurs événements mettant en lumière leurs savoir-faire. Dernièrement, ces partenariats avec des célébrités incontournables ont participé à étendre la notoriété et la visibilité de la marque dans tout le pays. La dernière campagne de Blue Swift incarne cette notoriété. Elle s’adresse à des consommateurs de plus en plus connaisseurs de cognac, ils sont aussi à la recherche d’émotions et d’innovation quelle que soit la tranche d’âge. Les succès des lancements Martell Blue Swift et Martell VS Single Distillery aux États-Unis confirment la bonne direction prise par Martell pour se rapprocher des attentes des consommateurs américains.

Par quels moyens, Martell entend-elle conquérir le marché américain ?

P. B. : Pour renforcer sa présence aux États-Unis et dans le reste du monde, Martell continue de tirer son succès de l’innovation en s’appuyant sur la richesse de son héritage. Martell mise aussi sur une stratégie de conquête et de recrutement de nouveaux consommateurs État par État, grâce à un réseau de distribution premium, un réseau d’infiltration avec nos communautés d’ambassadeurs et de lifestyle managers qui font découvrir les produits Martell mais également la richesse et le patrimoine de la maison. Le succès de Blue Swift aux États-Unis en fait un cas d’école pour Martell qui confirme le postulat suivant : les produits innovants sont identitaires, donc attractifs et porteurs de valeur ajoutée.

 

Hennessy en route vers le Nouveau Monde

Port après port, le cognac Hennessy va s’installer sur l’ensemble du territoire américain. Huit générations vont suivre les traces du fondateur Richard Hennessy, contemporain de Lafayette. C’est lui qui croisera à Bordeaux la route du peintre Américain John Trumbull. Il deviendra le premier importateur de la marque en 1795*. Le chemin de fer, le bateau à vapeur, le canal de Panama, l’horizon de la marque s’élargit d’est en ouest, au rythme de la révolution industrielle. Une success story qui s’écrit également sous fond de guerre civile, de Prohibition et de crises économiques. La maison de cognac a du génie. «Never Stop, Never Settle» répète aujourd’hui encore la campagne américaine du VS Hennessy (80 % des ventes d’Hennessy aux États-Unis) portée par l’histoire revisitée du premier noir américain champion du monde de cyclisme, Marshall Taylor. La maison de négoce au bras armé tisse des liens avec la communauté afro-américaine dès les années 20, jusqu’à encourager le recrutement en 1963 de Herb Douglas par son importateur la famille Schieflin. Cet ancien champion olympique de saut en longueur (en 1948) deviendra vingt ans plus tard le troisième Afro-Américain à accéder au poste de Vice-président d’une entreprise internationale basée aux États-Unis. Il va devenir pour Hennessy le maillon fort du développement d’un marché émergent. Hennessy devient la locomotive du cognac. Elle tire encore le train aujourd’hui, loin devant ses concurrents.

* Dans les archives, on trouve trace des premières expéditions de cognac Hennessy vers les villes françaises d’Amérique dès 1776

 

 

L’école du cognac au Copper & Oak

Trois questions à Flavien Desoblin, fondateur de la Brandy Library et du Copper & Oak à New York.

Dans son bar, le Copper & Oak, niché au cœur du Lower East Side, Flavien Desoblin partage depuis quatre ans son goût pour les spiritueux authentiques auprès d’une clientèle jeune, multi-culturelle et plutôt féminine.

Que déguste-t-on au Copper & Oak ?

F. D. : Au Copper & Oak, on satisfait avant tout la curiosité et la quête d’éducation d’une clientèle jeune qui s’intéresse aux spiritueux vieillis. Dans une ambiance musicale années 80, on y sert des doses de dégustation afin de favoriser les découvertes. On organise des master class, on y vient pour enterrer sa vie de garçon et surtout de jeune fille. 60 % de mes clients sont des clientes !

Quelle sélection de cognacs proposez-vous ?

F. D. : Mes clients ont le choix entre cent vingt cognacs mais les best sellers sont des marques confidentielles. Aux États-Unis, le volume se fait encore sur la consommation ethnique des communautés afro-américaines et hispaniques, essentiellement sur la catégorie VS et essentiellement du cognac Hennessy. Au Copper & Oak, on propose d’autres expériences et de la diversité. Nous nous attachons à remettre le cognac dans sa dimension humaine et familiale avec des maisons comme Bache-Gabrielsen et American oak, Grateaud pour le bouquet des Borderies, Fanny Fougerat pour sa délicatesse naturelle, Jean Fillioux et Paul Giraud en Grande-Champagne avec un excellent rapport qualité-prix. Je pense aussi à la maison Normandin-Mercier, la collection Naud et son excellent VS, François Voyer et ses pépites, Dudognon, Camus île de Ré.

Est-ce facile d’amener des non initiés à la dégustation du cognac ?

F. D. : Cela prend du temps et de l’énergie. On rentre parfois par d’autres spiritueux mais le cognac et sa diversité aromatique mérite qu’on y revienne le plus souvent possible. Pour initier mes clients, je leur propose une association avec un sirop de violette ou de gingembre. Le sirop agit comme un exhausteur de goût tout en apportant de la texture et de la douceur. J’ai appelé ce concept le “mix-it”. Du cognac avec quelques gouttes de sirop et de la glace. Mes clientes adorent !

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