Alors que Del Maguey présente Wild Jabali, un ‘vino de mezcal’ basé sur un agave sauvage, on apprend son rachat par Pernod-Ricard. Nous venions juste de parler avec Steve Olson, partenaire de la marque fondée en 1995 par l’artiste Ron Cooper.
Par François Monti
Del Maguey est incontournable. Impossible d’entrer dans un bar à cocktail parisien sans tomber sur son iconique bouteille verte aux étiquettes bariolées. La marque est née grâce à l’enthousiasme de Cooper, un californien qui s’est embarqué au début des années 1990 dans une quête un peu folle : les distillats produits en quantité infimes dans des villages perdus des régions montagneuses de Oaxaca. C’est en 1997 que Steve Olson, un expert du vin et des spiritueux, tomba pour la première fois sur le liquide magique des palenques (distilleries) qui travaillaient avec Cooper. « Cette découverte a changé ma vie, je n’avais jamais rien bu de pareil ». En geek assumé, Olson voyagea au Mexique pour se rendre compte par lui-même. Là, il constata que ce que Cooper lui avait raconté était vrai : l’agave, parfois sauvage, était bien cuit dans le terre avant d’être écrasé avec un moulin actionné par un cheval voire à la main ; la fermentation, quant à elle, avait lieu à l’air libre avec des levures indigènes et la double distillation se faisait dans des alambics de cuivre ou d’argile des plus rustiques. Le tout dans le respect du cycle lent de l’agave. « Pour la distillation, la qualité est liée à la technologie. Il me semblait impossible de produire quelque chose d’aussi bon avec cette méthode. Selon Ron, c’est un ‘art liquide’. J’ai fait ma mission de le partager ».
Single village
Sans lien formel avec Del Maguey à l’époque, Olson prêcha la bonne parole là où il allait, toujours armé d’une flasque remplie de tobala, un agave sauvage dont le distillat est aujourd’hui un des plus demandé de la gamme. « On pourrait dire que tout ce qui comptait alors dans le monde du bar a découvert le mezcal en buvant de cette flasque », assure-t-il. En effet, les bons mezcals ne courraient alors pas les rues – et c’est un euphémisme.
Au-delà de la qualité des produits, si Del Maguey a séduit les professionnels un peu partout c’est aussi pour la transparence et les valeurs défendues. Dès le début, Cooper a voulu promouvoir la notion de « single village » en nommant chaque mezcal selon le village dont il était issu. C’était pour lui une façon d’honorer tant le terroir que le savoir-faire du palenquero chez qui il s’approvisionnait.
En 2008, la compagnie d’Olson prit officiellement en charge la formation pour Del Maguey. A la même époque, tandis que le produit commence à être plus recherché, Del Maguey lance une série limitée qui met à l’honneur la variété d’agave, les « Vinos de Mezcal ». Le petit dernier est le Jabali sauvage, récompensé début juin à Cocktails Spirits. « C’est une variété rare, très difficile à travailler. Elle mousse énormément lorsqu’elle fermente et ceux qui la travaillent la distillent trois fois, pour des résultats médiocres. Mais notre palenquero en avait fait dans sa jeunesse et il obtient une résultant exceptionnel avec les deux distillations traditionnelles », explique Olson. Seuls 600 litres sont disponibles commercialement : « c’est un gars et un seul alambic, et il produit pour nous quatre variétés », s’excuse-t-il presque.
Au bonheur des palenqueros
Cette production artisanale, par définition limitée, fait autant la force de Del Maguey que sa faiblesse, dans un contexte de popularité croissante. C’est sur cette tension entre éthique et exigences du marché que Olson intervient : « mon rôle est d’assurer que notre mezcal ne change jamais. Pour ça, il faut veiller sur le terroir mais aussi garantir la durabilité de l’agave. Notre problème est que tous nos palenqueros sont au maximum de leur capacité. Et nous, nous ne voulons pas les pousser ou leur dire ‘si vous ne parvenez pas à produire plus, on ira voir ailleurs’. La croissance dépend de ce qu’ils veulent faire ». Comme exemple, il cite le cas de Faustino Garcia Vasquez, un de quatre distillateurs originaux. « Quand Ron l’a rencontré, il distillait pour sa famille avec l’alambic d’un voisin. Ron lui en a acheté un pour qu’il devienne indépendant. Puis un deuxième et un troisième. Mais ce n’est que lorsque son fils est revenu des Etats-Unis pour travailler avec lui qu’il a pu produire de manière continue ».
Quelques jours après notre entretien, la nouvelle tombait : Pernod-Ricard venait d’acquérir Del Maguey, et devenait ainsi le troisième grand groupe à se positionner sur une catégorie toujours considérée artisanale. De quoi remettre en cause la philosophie de la marque ? Les trois associés (Michael Gardner complète le trio) restent aux commandes et Olson s’est empressé de nous préciser que cet accord qui « garantit le futur des familles » des palenqueros était unique car il permettrait « d’influencer la façon dont l’industrie des spiritueux considère la protection de l’environnement ». Ron Cooper, quant à lui, soulignait que leur nouveau partenaire « comprenait » Del Maguey et ne comptait pas changer son identité. Les amateurs de ces mezcals fair trade élaborés dans le respect de l’environnement croisent les doigts. Et continueront sans aucun doute à se ruer sur les produits.