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L’un des plus beaux atouts du rhum ? Sa diversité sans aucun doute. D’autant qu’avec l’eau-de-vie de canne, il n’est pas seulement question de processus d’élaboration et de style. Le terroir est également au cœur du sujet. L’apparition de nouveaux pays sur la carte du rhum le prouve aisément.

Le rhum est souvent associé aux Caraïbes et à l’Amérique latine. Il est vrai que de nombreuses distilleries se trouvent dans ce coin du monde mais il ne faut pas oublier que l’on produit du rhum sur tous les continents. D’ailleurs, certains pays producteurs comme le Japon, l’île Maurice ou la Thaïlande, encore méconnus des amateurs il y a quelque temps, s’imposent peu à peu sur la planète rhum. Un voyage qui ne semble pas prêt de s’arrêter : ces dernières années, aux États-Unis, en Australie, à Tahiti ou encore au Cambodge et au Laos, de nouveaux acteurs se sont lancés dans l’aventure du rhum. Ces nouvelles distilleries, nombreuses à miser sur le rhum pur jus de canne, une spécialité française, sont en passe de redessiner la carte du rhum. Bienvenue dans le nouveau monde de l’eau-de-vie de canne.

Richland : le rêve américain

Si les États-Unis s’affichent comme le plus gros consommateur de rhum, le pays compte aussi de nombreuses distilleries dont certaines sont spécialisées dans l’eau-de-vie de canne à l’image de Richland fondée par Erik Vonk. Originaire des Pays Bas, Erik a débarqué aux États-Unis pour ses études : il y fera carrière. Mais, en 1999, il décide de quitter sa vie de chef d’entreprise pour acheter une ferme en Géorgie, avec son épouse Karin. L’occasion de se lancer dans la culture de la canne à sucre et la production de rhum. «C’est un rêve d’enfant qui se réalise, déclare-t-il. Je souhaitais élaborer un rhum authentique, de la même façon que dans les Antilles françaises avec un alambic semblable à ceux de Cognac.» Cela dit, pour pouvoir distiller toute l’année, au moment de la récolte, Erik transforme le pur jus de canne frais en sirop. «Actuellement, nous cultivons 55 hectares : tous les ans, nous augmentons la surface cultivée, explique-t-il. Nous cultivons un certain nombre de variétés différentes et expérimentons des variétés robustes qui peuvent résister au gel. Celle que nous utilisons pour notre rhum est la Georgia Red.»

Pour les fermentations, il aime prendre son temps : une semaine en général. Et pour la distillation, il est équipé de trois alambics de cuivre de 1 000 litres faits main au Portugal par Hoga. Les rhums Richland sont élevés exclusivement en fûts de chêne américain neufs pendant quatre ans en moyenne. «Richland Rum est le seul rhum single estate des États-Unis : c’est aussi un single barrel rum, précise-t-il. Nos rhums ne sont jamais assemblés.» Richland Single Estate Old Georgia Rum est la seule expression qu’il commercialise aujourd’hui mais Erik s’apprête à lancer un rhum blanc et à ouvrir une deuxième distillerie à Brunswick, sur la côte atlantique. Si son rhum est déjà commercialisé aux États-Unis dans quinze états, au Japon, au Danemark, en Belgique ou encore en Allemagne, il devrait être bientôt disponible en France. Erik y travaille assure-t-il…

Husk Distillers à l’assaut du terroir australien

Si l’Australie a su se faire une petite place sur la mappemonde du whisky, jusqu’alors, en matière de rhum, elle manquait sérieusement d’arguments. Mais les choses sont en train de changer grâce à des acteurs comme Husk Distillers. Tout a commencé en 2009 : de retour d’un voyage dans les Caraïbes, séduit par la culture rhum, Paul Messenger distille son premier batch. L’envie de créer un rhum fidèle au terroir australien le pousse à racheter une ferme de 60 hectares au sud de Brisbane. Le choix du pur jus s’est imposé comme une évidence : «Pour refléter fidèlement notre environnement et notre style de vie, notre rhum devait être fermement enraciné dans sa terre, raconte-t-il. Si vous combinez nos variétés de cannes locales avec notre géologie et notre climat, vous pouvez produire une expression vraiment unique.»

Trois hectares sont déjà plantés mais Paul doit tripler sa capacité de production d’ici 2018 et, en plus des trois cannes locales, il a déjà réintroduit une variété ancienne, la Badila. Les cannes sont coupées à la main et broyées le jour même, les fermentations durent plus de quatre jours et il est équipé d’un alambic en cuivre d’une capacité de 1 000 litres. Il élève ses rhums dans des fûts neufs de chêne américain mais aussi des ex-fûts de bourbon, de porto et de syrah sud-africaine. Husk Distillers a déjà lancé trois embouteillages : Husk Virgin Cane, un single cask âgé de quatre ans minimum, 1866 Tumbulgum, un assemblage de quatre fûts neufs de chêne américain et de bourbon, et Pure Cane New Make, un rhum blanc. Des cuvées qui devraient bientôt être disponibles en France grâce à Luca Gargano. L’autre bonne nouvelle : Paul est en train d’installer un nouveau moulin, de plus grands fermenteurs et un nouvel alambic fabriqué en Écosse par Forsyth pour augmenter sa capacité de production.

Manutea : l’âme de Tahiti

Même si la canne à sucre originaire de Nouvelle-Guinée a été introduite en Polynésie vers 500 ans après J.-C., la fabrication de rhum n’a jamais été une priorité à Tahiti. Mais, ici aussi, la situation évolue. Spécialisée dans la transformation de fruits exotiques et la production d’eaux-de-vie, de liqueurs et de vin d’ananas, Manutea Tahiti produit du rhum à base de mélasse depuis le début des années 1990. Depuis bientôt deux ans, elle s’est également lancée dans le rhum pur jus de canne. «Nous avons démarré le travail sur un pur jus de canne en 2015 avec des producteurs de l’île de Tahaa, près de Bora Bora, explique Étienne Houot, directeur commercial. Nous avons sélectionné les meilleures cannes des variétés O’Tahiti et Ute Ute. Environ dix hectares étaient consacrés en 2016 à cette plante. Mais nous allons pouvoir doubler la distillation de vesou avec un objectif 2017 à 200 000 litres. C’est un projet qui a mûri une dizaine d’années car il nécessitait la relance d’une filière canne à sucre en Polynésie.»

Dans les Îles-sous-le-Vent, la canne fraîchement coupée à la main est broyée sur la plantation le jour même sans adjonction d’eau et mise en fermentation de 36 à 48 heures avant de rejoindre en goélette l’île de Moorea et la distillerie. «Nous avons acquis en 2006 un alambic en cuivre Holstein avec une colonne de rectification de onze plateaux, souligne-t-il. Nous avons une capacité de 2 500 litres par distillation. Nous sortons en moyenne nos eaux-de-vie de canne à 85%.» Si deux rhums blancs sont déjà commercialisés, un rhum élevé sous-bois (12 mois en fûts) doit également être lancé en mai 2017 et un rhum vieux (3 ans) en décembre 2018. Il est même question d’export ! «Les discussions sont bien avancées avec un distributeur de renom et nous espérons pouvoir présenter nos deux rhums blancs à partir d’octobre 2017 en métropole.»

Samai : le rhum latino cambodgien

Devinez ce que font deux Vénézuéliens installés au Cambodge lorsqu’ils découvrent que la canne à sucre est très présente sur leur terre d’adoption mais que la production de rhum est inexistante… Et bien, ils fondent la première distillerie de rhum du pays. Samai, c’est-à-dire modernité ou nouvelle génération en Khmer, a ainsi vu le jour en 2014 au cœur de Phnom Penh. «Nous voulions créer le premier rhum premium Cambodgien, un produit qui rendrait les Cambodgiens fiers et qui attirerait en même temps des personnes du monde entier», affirment-ils. S’ils misent sur une matière première 100 % cambodgienne, Daniel Pacheco et Antonio Lopez De Haro vont tout de même rester fidèles à la tradition du Venezuela, un pays connu pour ses eaux-de-vie de canne de type espagnol. Leurs rhums sont, en effet, élaborés à partir de mélasse dénichée auprès d’un producteur local du sud du Cambodge, qui est fermentée cinq jours avant d’être distillée par Darachampich Moang, la master distiller, dans un petit alambic de cuivre de 400 litres.

Le distillat, qui titre entre 75 et 90%, est réduit à 65% avant d’être mis en fûts (chêne français et ex-fûts de bourbon ou en cuve inox). Trois cuvées sont actuellement au programme des dégustations : Kampot Pepper Rum aromatisé avec le très réputé poivre cambodgien, Gold Rum, qui bénéficie d’un finish en fût de pedro ximenez, et PX Limited Edition Rum, un single cask de pedro ximenez édité à 388 bouteilles. «Nous sommes actuellement à la recherche d’investisseurs afin de pouvoir augmenter nos capacités de production et commencer à exporter», précisent-ils. Autant dire que les amateurs français sont chanceux : ce seront les premiers à pouvoir découvrir les rhums Samai dans quelques mois.

Laodi : le premier rhum laotien

Le Laos fait aussi une entrée remarquée dans le monde du rhum avec la création de Laodi, qui signifie “rhum merveilleux”. La première distillerie de rhum du pays a été fondée à Naxon, en 2006 par Ikuzo Inoue, un Japonais tombé sous le charme des richesses naturelles laotiennes. Pour mettre véritablement le terroir à l’honneur, il a fait le choix de travailler le pur jus de canne. Il est d’ailleurs propriétaire de 20 hectares : une terre dont il prend grand soin. Seulement 12 hectares sont en effet cultivés chaque année : le reste est mis en jachère. La U Thong, une variété très présente au Laos et en Thaïlande, mais surtout très aromatique, y est à l’honneur. Coupées à la main, les cannes sont pressées le jour même et le jus est mis en fermentation entre trois et quatre jours.

Izuko se distingue aussi par le choix de son procédé de distillation : «Nous distillons sous vide grâce à une vacuum machine d’une capacité de 1 500 litres. Cela permet d’éviter le petit goût de brûlé et de conserver tous les arômes de la canne à sucre.» Avant d’être mis en bouteille, son rhum repose deux ans en cuve inox. Au-delà de son rhum blanc, Laodi élabore également six liqueurs infusées naturellement avec des produits frais locaux comme la noix de coco, les fruits de la passion, le café ou la prune. Une collection que les amateurs français pourront découvrir dans le cadre du Rhum Fest Paris au mois d’avril prochain. Il semblerait que le nouveau monde du rhum n’ait pas encore livré tous ses secrets…

Par Cécile Fortis

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