Cette distillerie plus appréciée des dingues de BD que des amateurs de whisky héberge la plus incroyable batterie de cuivres de toute l’Ecosse. Respirez par le ventre, il faut s’accrocher pour suivre.
Dans l’urgence des années 1960 assoiffées de whisky, ses concepteurs ont bâti la plus hideuse des distilleries, à un ricochet d’un des plus beaux sites naturels d’Ecosse. Peu importe, elle ne se visite pas. Dommage, car la distillerie Loch Lomond abrite la salle des alambics la plus délirante d’Ecosse. Un pur appeau à geeks.
Ouverte en 1966, elle est pensée dès sa conception comme un outil polyvalent capable de cracher différents types de distillats, alors même qu’elle s’équipe d’une unique paire d’alambics. Mais pas n’importe quels alambics. Des « straight neck » à la silhouette très singulière.
Ces créatures de Frankenstein – si Mary Shelley s’était intéressée à la distillation plutôt qu’à l’épouvante – ravaudent ensemble le popotin d’un alambic pot still sur lequel s’emboite en guise de chapiteau une colonne de rectification munie de plateaux perforés.
En fonction du paramétrage et du nombre de plateaux actionnés ou débrayés, ces bécanes magiques peuvent produire des distillats plus ou moins légers et épurés.
Gare à ne pas confondre Lomond et Lomond
On les confond souvent avec les alambics Lomond (les fameux « Lomond stills ») inventés en 1955, dix ans avant la construction de Loch Lomond. De fait, le nom et la forme de la bête prêtent à confusion. Rembobinons pour déconfuser – les plaintes pour maltraitance de langage sont à adresser comme d’hab à l’Académie française, qui ne croule pas sous le boulot.
Le géant canadien Hiram Walker installe le premier Lomond still dans le complexe de Dumbarton, où l’énorme distillerie de grain héberge une unité produisant du single malt : Inverleven. Et les ingénieurs choisissent de l’appairer avec un pot still classique d’Inverleven. Cette doublette qui carbure telle une distillerie dans la distillerie de la distillerie se voit baptisée Lomond. Paracétamol ? My treat.
Bref, le nom Lomond collera au cul de ces alambics révolutionnaires mais moins efficaces qu’espéré, et qui se révélèrent une tannée à récurer. Lomond clabote en 1985, Inverleven en 1991 et Dumbarton en 2002. Seuls 2 exemplaires des diaboliques machines ont survécu, l’une chez Scapa et l’autre, Ugly Betty, recyclée dans le gin chez Bruichladdich.
Revenons à Loch Lomond et ses straight necks. Point de plateaux dans la colonne de l’alambic qui gère la première passe. Mais ils sont 17 pour étager la colonne montée sur le pot de seconde distillation – au lieu de 3 dans les vieux Lomond. Inutile d’oser une comparaison : « Leur fonctionnement est plus complexe et plus flexible », jurent ses opérateurs – « et d’ailleurs on les appelle Inchmurrin stills », du nom de la plus grande île flottant sur le lac.
4 types d’alambics, 11 distillats
La distillerie en possède aujourd’hui 3 paires, réglées pour monter à 84% maximum et capables de régurgiter 6 types de new make selon les spécifications en tourbe (sans, médium et très tourbé) et en fonction de 2 coupes : « high strength » à 85% environ donne un distillat floral et léger, alors que « low strength » à 68% environ produit une grappe fruitée et plus lourde.
En 1998, Loch Lomond se dote de sa première paire de pot stills. Normaux, traditionnels, chapiteau et col de cygne, tout ça. Et aussitôt baptisés « Loch Lomond stills » pour s’assurer de bien vous compoter la cervelle. L’endroit est fermé aux touristes, rappelez-vous, alors si on ne peut pas s’amuser à égarer les journalistes qui n’y entravent que pouic…
Entre-temps, au début des années 90, la distillerie intègre une unité pour distiller le grain. Au fil des ans, 13 alambics de 4 styles se sont accumulés dans la mine de cuivre : straight necks et pots stills fonctionnant à repasse, auxquels s’ajoutent les colonnes pour le grain et l’alcool neutre ainsi qu’une double colonne Coffey à 84 plateaux, qui distillent toutes en continu.
Loch Lomond est donc l’une des rares distilleries écossaises à produire une multitude de whiskies de malt (5 millions de LAP, 3 millions sans la Coffey) aussi bien que des whiskies de grain (18 millions), en autosuffisance. Sur le modèle des grandes usines japonaises.
L’alambic qui filait de l’urticaire à la SWA
Attention, ça se complique – faisons comme si c’était simple jusqu’ici, suivez-moi dans le déni. Car la colonne Coffey distille uniquement du malt, jamais de grain – le blé passe dans les autres colonnes. Un pur malt novateur, gras et huileux, qui a longtemps filé la gueule de bois au gendarme du scotch, la SWA.
Interdit de l’étiqueter « single malt », lequel aux yeux de la règlementation écossaise doit être impérativement distillé en pot stills, et non en colonne. Et pas le droit ne serait-ce que d’inscrire en gros caractères le mot « malt » sur la bouteille, à l’instar du Coffey Malt de Nikka pourtant issu du même outillage.
C’est donc sous label « single grain » que la distillerie embouteille un réjouissant 100% malt, le seul à se décliner également en version tourbée.
Cette invraisemblable batterie de cuivres autorise in fine toutes les combinaisons possibles. Ainsi, Loch Lomond 12 ans (non tourbé) assemble des distillats de pot still, de straight neck high strength et de straight neck low strength. Inchmoan 12 ans se compose des mêmes distillats en version über tourbée. Mais Inchmurrin 12 ans, en revanche, absorbe uniquement du straight neck coupe haute.
Les distilleries misent en général sur le bois, la futaille, le vieillissement pour varier les profils. Loch Lomond ? Tintin ! Elle préfère se distinguer à la distillation. Avec un potentiel d’innovation sans doute pas totalement exprimé à ce jour.