Continuons le tour des nouveautés spiritueuses entamé ici. Du whisky, du rhum, du cognac, du gin, des ovnis, des curiosités, des éditions limitées, des cadeaux de fêtes des pères, des autoprésents d’autocélébration (c’est à la mode), des bouteilles qui ont du sens, des quilles qui jonglent dans tous les sens. Bref : du plaisir liquide dans tous ses états.
DES WHISKIES
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En labourant le terroir.
Waterford Single Farm Origin
Waterford, la distillerie irlandaise fondée en 2015 par Mark Reynier (à l’origine de la relance de Bruichladdich) dévoile les deux premiers whiskies de la collection “Single Farm Origin”, sans doute le projet le plus excitant du moment. Labourant le sillon qu’il avait commencé à creuser sur Islay, ce fort en gueule est bien décidé à aller extraire le terroir sous le whisky, à révéler la vérité de l’orge. Pour ce faire, il a réuni une brochette de cultivateurs qui lui fournissent une céréale cultivée par parcelles et traçable jusqu’au verre – toutes les infos figurent sur les étiquette. Je vous raconte tout en détails dans le prochain Whisky Magazine, et vous pouvez calmer votre curiosité en lisant ceci en attendant. Gras, corpulent, avec une mâche incroyable, Ballykilcavan 1.1 exprime des arômes de foin coupé, de noix, de confiture de tomate verte, de raisins secs et de toffee malté. Dans un registre opposé, plus frais, plus fin, Bannow Island 1.1 s’envoie en l’air sur un lit de petites baies, de la céréale tendre, des envolées d’épices fouettées d’embruns bien salins. Deux réussites, deux voyages… et à raison de 1.500 bouteilles chaque pour la France (79€), ce n’est pas le moment de perdre du temps à choisir sur lequel craquer.
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Le whisky à l’heure du thé.
Mackmyra Grön Te
Sorti juste avant le confinement, Grönt Te est une édition limitée (15.000 quilles tout de même) dont la conception relève de l’usine à gaz, puisqu’il assemble une ribambelle de fûts – ex-bourbon, ex-sherry, sherry finish… – avant d’être affinés 19 mois en “fûts de thé vert”. Huh? C’est bon, j’ai toute votre attention ? Plus précisément des fûts avinés d’une macération (dans l’alcool neutre) de thé vert réduite avec de l’oloroso. Respirez par le ventre, ça va aller. Quatre variétés de thés ont macéré séparément : sensha (majoritaire dans l’assemblage), matcha, gyokuro et hojicha. A l’arrivée ? Un single malt riche, onctueux, gras, mais les marqueurs de l’oloroso (fruits secs, chocolat mentholé, noisettes…) assomment très vite la jolie fraîcheur herbacée du premier nez. En bouche, on retrouve la même trame, avec une salinité exacerbée, du poivre blanc, une double ration de chocolat. Il faut le dégoupiller d’un trait d’eau pour retrouver la tension végétale. Un Suédois gourmand, sans doute plus original par sa conception que par ses qualités organoleptiques.
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Un Gif animé gustatif.
Red Spot 15 ans
Dans la famille des Spot, après le Green et le Yellow (et avant le Blue, déjà annoncé aux USA), laissez-moi vous présenter Red. Un single pot still irlandais comme sait les pétrir la distillerie Midleton, élevé pendant au minimum quinze ans en fûts de bourbon, de xérès et de marsala. Son nez, un peu long à la détente (mais rien ne presse) fait d’abord trois fois le tour du chêne, avant de respirer la poudre de noisette, le cuir, la pomme au four, sans oublier le généreux pourboire en fruits secs apportés par le sherry. Onctueux, gras, gourmand en diable, son fruité riche se double d’une explosion d’épices, d’un lâcher de chocolat sur les échardes de bois en un furieux va et vient en bouche : l’équivalent d’un Gif gustatif qui s’anime en boucle. A part ça, il est sold out sur tous les marchés où il s’est pointé, alors il va falloir onduler fissa vers le caviste…
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Un blend de caractère.
The Nikka Tailored
Il remplace le 12 ans, dont il garde néanmoins le design (et le prix…), ainsi que l’esprit : celui d’un blend de caractère, « à l’ancienne ». Ses notes de pomme cuite aux noix, de malt au miel, de tabac, d’orangette et de chocolat asticotées de fumée de bois lui donnent du corps. Voilà qui tranche agréablement avec les profils poids plumes à noyer en highballs dont nous gratifient les marques japonaises depuis quelque temps. Comme je vous connais aussi bien que le fond de la doublure de ma poche, je sais que vous allez me demander des gages de nipponitude, c’est un peu l’exercice obligé ces derniers temps. Alors sachez que :
1) je ne lui ai pas demandé ses papiers ;
2) le communiqué qui l’accompagne précise qu’il est « principalement » composé de single malts de Yoichi et Miyagikyo et de Coffey Grain ;
3) la définition de principalement ici ;
4) le tour complet sur le whisky japonais là. Et pendant que vous googlez, je savoure.
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Les trésors de l’Irlandais.
Teeling Brabazon 3 (14 ans) et Small Batch Margaux Wine Cask
Pô, pô, pô, j’en suis tombée de ma chaise. Je fais partie des 2 fans de Teeling que le Brabazon 2 avait terriblement déçu·es, alors autant dire que j’avançais prudemment le nez et les lèvres. Mais quelle beauté que ce batch 3 ! Son nez gagne en ampleur à mesure qu’il s’aère, fruits séchés, pêches, tabac, et tenez, je vous ajoute une pointe de chocolat. Sur la langue, de la soie. Magnifique, tout en finesse. Le fruit (de plus en plus exotique en prenant l’air) frétille sur du bois précieux, le chocolat fond sur les banderilles d’épices, avant une remontée tannique bien sèche. Superbe de complexité et de profondeur, ce single malt a dormi en fûts de bourbon avant de se rouler les trois dernières années en fûts de Pedro Ximenez. A part ça, la distillerie de Dublin nous propose également un Margaux Wine Cask, autrement dit le blend Small Batch affiné 18 mois en fûts de margaux. Un charmeur, du genre à coucher au premier rencart, avec son nez de cerise et baies rouges sur fruits secs et sa bouche tapineuse, gourmande de fruits fondants roulés dans le chocolat. Pour les becs sucrés.
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En passant par la Lorraine
Rozelieures Fût unique Finition Pineau des Charentes
Il existe vraiment une signature Rozelieures, un profil malté et finement tourbé, un peu raide du col, sans fioritures, et ce Fût unique, une édition affinée en tonneau de pineau des Charentes s’inscrit sans le moindre doute dans cette filiation. Mais le finish lui décoince un peu le manche à balais (en chêne massif) du fût, lui apportant un supplément de fruit, un twist de gingembre épicé, une caresse chocolatée et une onctuosité bienvenus. Du made in France bien positionné (55€), profitez-en.
UN (PRESQUE) CALVADOS
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Expérience démoniaque.
Christian Drouin Expérimental Hampden Angels
Des fûts de la distillerie jamaïcaine Hampden ont quitté la Caraïbe et traversé l’Atlantique pour venir se terrer dans les chais du Pays d’Auge. Vidés de leur rhum, mais remplis d’anges qui, arsouillés au cul des barriques, les ailes un peu chiffon, ont regardé avec curiosité les producteurs d’un des plus beau calvados glisser leur nectar de 14 ans sous l’abri qu’ils venaient de quitter. Hampden Angels : Calva meets rhum. Pommes meet canne. Cidre meets mélasse. Le fruit du pécher (la pomme, rapport à Eve, pas la pêche, merci de suivre) agrippe les esters du rhum dans un corps à corps musclé sur une texture pourtant légère. Fruité bien mûr mais tendu comme une arbalète, fève de cacao, légère touche de caoutchouc pétrolifère : il y a du monde dans le goulot. Etonnant. Le colosse jamaïcain se prend une volée de pépins sans jamais envoyer au tapis l’eau-de-vie de cidre – qui perd son appellation en raison du passage en fûts de chêne américain d’Hampden, interdit par l’AOC calvados. Damned, les anges ont enfanté un démon.
UN COGNAC
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Incitation à croire aux miracles.
Frapin millésime 1992 (26 ans)
Puisqu’on vient de clore le chapitre des anges, abordons à présent celui des miracles. Les clés du paradis ont sans aucun doute possible la forme d’une bouteille au long cou élancé siglée Frapin 1992. Premier miracle : la fraîcheur incroyable de ce cognac de 26 ans qui fait souffler un vent floral sur des notes de prune, de bois précieux, d’orange discrète, de réglisse, de jeunes raisins, de tabac blond dans un équilibre parfait – miraculeux lui aussi. Deuxième miracle : sa finesse et sa longueur en bouche qui fait toucher du bout de la langue l’idée même d’éternité, avec ses éclats de bois exotiques et ses copeaux chocolatés. Troisième miracle : son prix, 150€. Je ne connais pas beaucoup de spiritueux de cet âge – et encore moins de cette qualité – qui s’offrent (façon de parler) avec autant de générosité. Je pourrais vous en dire davantage, au risque du lyrisme. Je pourrais. Mais ce trésor du château Fontpinot invite au voyage intérieur.
DES RHUMS
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Les doigts dans la prise.
La Favorite Brut 2 Colonnes
La petite distillerie martiniquaise La Favorite succombe à son tour à l’exercice du brut de colonne, et s’offre un jeu de mots au passage avec cet assemblage des distillats de ses deux colonnes créoles. Laissez les volatiles s’envoler pour retrouver la canne douce et bien mûre titillée de gros grains de poivre. En bouche, chapeau : on ne sent pas la brûlure des 73,2° (pas d’inquiétude, vous sentirez celle du prix : 79€), grâce à un long repos en cuve. La texture bien grasse enrobe des notes terreuses et citronnées, badigeonnées d’antiseptique. Dès la première gorgée, vos tempes commencent à pulser. Vous voilà prêt·e au décollage – encore qu’avec 1.500 quilles seulement, vous serez nombreux à rester sur la rampe en guettant la fusée des yeux.
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L’océan indien à la nage.
Maison du Rhum Ile de la Réunion
Distillé en 2010 par Rivière du Mât et embouteillé en 2020, ce beau gosse des îles exprime ses notes de tabac, de miel, de caramel brûlé et de noisette sur une trame végétale et épicée. Sec, très vif en bouche, recrachant un carré de chocolat poivré en rétro-olfaction, un joli représentant du travail de la distillerie réunionnaise. Quelques gouttes d’eau accentueront ses notes herbacées mais lui feront paradoxalement gagner en rondeur. Suivez-moi, jeune homme…
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Cap sur la Nouvelle Angleterre.
Privateer Navy Yard
Le rhum du Massachusetts arrive en France, avec un blanc et un vieilli, ce Navy Rum très atypique où la dose de caramel aurait été remplacée par une charpente de chêne neuf américain. L’envolée de bois vanillé en attaque donne l’impression de traverser une scierie (ou le chantier naval – sans les algues), avant que la compote de pomme épicée et les notes très pâtissières (crème caramel) s’invitent dans le verre. Non coloré, non édulcoré : comme je le disais, un navy rum atypique.
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Téléportation sur le lagon.
Les Ti Arrangés de Ced’
Les Rhums de Ced’ vous expédient sous les cocotiers roulé·e dans le paréo sans même lâcher le verre avec 4 nouveautés, 4 partis pris très différents – pardon, je n’ai pas réussi à choisir. D’abord une Ti Gria qui revisite la sangria avec un blend de rhums martiniquais et guadeloupéen affiné en fûts de bordeaux et porto : un poil trop “fraises au sucre” à mon goût, mais ça devrait animer vos soirées diapos. Ensuite un Ti Graal mangue-pamplemousse où la canne sort vainqueur, expressive en diable, coursée à perdre haleine (45,4% quand même) par les fruits exotiques dont la fraîcheur calment la sucrosité. Cœur avec la langue. Et puis un Ti Bio ananas-passion solaire, juteux en bouche, où les notes acidulées culbutent les notes exotiques bien mûres : un plaisir coupable. Enfin un citron-gingembre Gang de Meufs tip-top, frais, très épicé, électrique, où le gingembre percute la canne suave bien citronnée et l’amertume des zestes prolonge l’expérience. J’adore ! C’est la tatoueuse Chantal Frontale qui a “habillé” cette édition limitée qui “renouvelle l’image de la femme dans le monde des spiritueux”. En collant une meuf à poil sur la bouteille, donc. Seriously, guys…
DES GINS
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Des gins flower power.
Edinburgh Gin Rhubarb & Ginger et Lemon & Jasmine
La distillerie écossaise multiplie les versions aromatisées bien dans l’air du temps en ces accès fiévreux de “boom du gin”. Parmi les nouveautés qui arrivent en France, une version rhubarbe-gingembre à la robe timidement rosée, au nez hyper frais, tendu sur le genièvre, la coriandre et les épices, mais qui rentre les griffes en bouche sur les baies rouges dans un fizz doux-amer de gingembre, et une finale de barbe à papa : en (pink) Martini, avec une goutte de vermouth dry de chez dry. Son jumeau citron-jasmin escamote quelque peu le genièvre : les huiles de citron en attaque laissent monter un bouquet floral. En Gin Tonic pétaradant dosé moitié/moitié, pour rééquilibrer la sucrosité de fin de bouche avec l’amertume d’un tonic extra dry.
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Mélange des genres.
Normindia Barrel Aged
Elaboré dans la Manche par Coquerel, bien connu pour ses calvados, ce Normindia charmeur (servi dans une ravissante bouteille) à la robe paille a été sculpté six mois en fûts de calva du domaine. Un jaillissement d’agrumes (citrons, oranges) en attaque accompagne les baies de genévrier, puis laisse très vite passer la suavité de l’eau-de-vie de cidre et les épices douces (cannelle). Plus il s’aère, plus la pomme épicée s’impose. Parfait en Gin To très short, avec une lamelle de pomme rouge en garnish.
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L’avènement des alt-gins.
Ceder’s Wild
Ne vous méprenez pas, la vague du nolo (no et low-alcohol) a tout d’une lame de fond, appelée à gagner en ampleur. Une tendance qui mobilise de gros crédits en R&D pour garantir à vos papilles suffisamment d’arômes, de saveurs, de complexité et – surtout – de longueur en bouche (le Graal sur lequel tous trébuchent) sans alcool pour les véhiculer. Chez Pernod Ricard, voici donc Wild, le 2eopus de Ceder’s, très prometteur après le Classic et le Crisp, qui avait autant de présence que la Volvic. Un “alt-gin” distillé mais sans alcool. Plus boisé, plus astringent, plus épicé que le précédent, il tient tête à la noyade dans le tonic, et c’est plutôt une bonne surprise.
Par Christine Lambert
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