Les nouveautés se déconfinent en rafale en ce moment. Entre les quilles sorties dans l’indifférence avant que l’actualité ne nous rattrape, celles qui sont tombées pendant le lockdown et celles qui nous arrivent à présent et dans les semaines qui viennent, il y a matière à se régaler. Et à foncer chez son caviste. En voici un début de liste (la suite bientôt, patience).
Je ne suis pas certaine que l’on ait des masses de choses à fêter en ce début de déconfiture masquée sans l’ombre d’une terrasse de café. L’été qui s’annonce en pente douce et en plages actives ? La reconstitution progressive des stocks de farine T45 ? La fête des mères puis des pères – c’est l’année ou jamais pour remplacer le bouquet de fleur par de la gnôle, beaucoup de gnôle. Beaucoup, beaucoup, beau…coup. L’année 2020, jusqu’ici ne s’arrose pas, mais on peut la noyer. Mode d’emploi.
DES WHISKIES
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Un Breton seul en course.
Armorik Brest 2020
Il est sorti le 15 mars (deux jours avant l’autolock général) pour célébrer les Fêtes maritimes de Brest (qui ont été annulées). Autant dire que cet Armorik édité à 2.000 bouteilles seulement est appelé à devenir collector à plus d’un titre. Vieilli 3 ans en fûts de bourbon puis 3 ans en fûts de madère (46%), c’est un gros gourmand bien léché, fruité à souhait (raisins frais et secs, coings, fruits jaunes), talqué de poudre de cacao, enveloppé d’une belle fraîcheur (tilleul). Il s’étire en bouche sur une note fumée qui fricote avec l’amertume, tannique, boisée. Un Armorik à son meilleur, à un prix cadeau (autour de 60€).
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Un single malt born in the USA.
Westward
Un single malt au pays du bourbon ? Avant de vous dire que, décidément, le monde ne tourne plus très rond, sachez que pour les micro-distilleries états-uniennes les plus créatives, travailler l’orge maltée est devenue une mission, the next big thing, à tel point que la catégorie devrait bientôt faire l’objet d’une définition officielle. Et Westward, dans l’Oregon, fait partie des pionniers. Elaboré avec de l’orge du nord-ouest américain, fermenté avec des levures de brasserie et distillé en deux passes en pot still, ce jeunot demande du temps pour se réveiller. Souple, gras en bouche, il exprime alors des notes de céréale poudrées de sucre brun, des épices joyeuses qui bousculent le fruit, une pointe chocolatée avant une finale de chêne brûlé adouci de tabac. A suivre.
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Jolie Bestiole.
Ardbeg Wee Beastie 5 ans
Encore un peu de patience, il n’est pas sorti. Et, en France, il sera réservé au monde du bar, du moins dans un premier temps. Que nous raconte cette « Petite Bête » ? C’est un Ardbeg très végétal, très herbacé, intensément tourbé bien sûr, vif (47,4%), qui lâche ses arômes dans la pagaille de la jeunesse, sans ranger sa chambre : un fruité goûteux (citron confit, poire), des noisettes et amandes grillées à sec, une pointe vineuse de xérès tendu de cuir animal, de bacon rissolé, de chocolat amer. Il gagne à se détendre la couenne d’un trait d’eau qui accentue sa finale anisée, presque saline. Je ne dis pas que j’échangerai mon baril de Ten, mais j’avoue : il est pas mal, le petiot. Hâte de voir quels sévices les bartenders vont lui infliger.
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Deux pour le prix de même pas un.
Aerstone Land Cask et Sea Cask
Ils sont sortis en mars, juste au moment où on se claquemurait, nous n’avions pas encore appris à transformer nos caleçons et chaussettes en masques alternatifs. Aerstone Land Cask et Sea Cask, les 2 premières expressions de la nouvelle marque de William Grant, sont des single malts très bon marché (20€ environ) à destination d’un public plutôt novice. Attention, les noms prêtent à confusion : Land Cask est tourbé, contrairement à Sea Cask – alors que le public a tendance à associer la mer et les îles à la tourbe. Et les jus ? Légers, courts en bec. Land Cask (“Rich and Smoky”) et sa fumée crasseuse donnent l’impression de lécher l’âtre un lendemain de cuite, avec une tourbe monolithique. Et Sea Cask (“Smooth and Easy”), un poil au-dessus à tout prendre, céréalier, très salin, ne se montre pas très bavard (l’effet masque ?). Mais je vous invite à vérifier par vous-même, c’est plus sûr.
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Un nouveau Frenchie.
Distillerie du Vercors Séquoïa
Un whisky français ! Rappelez-vous votre promesse – enfin, la mienne surtout (ici). Séquoia, le premier whisky de la Distillerie du Vercors, est élaboré à base d’orge française bio, embouteillé à 42% et commercialisé à 60€ environ. Son fruité juteux et miellé taquiné d’une note florale, sa douceur de céréale torréfiée, son toucher grassouillet, sa pointe de fumée de bois qui rebique en fin de bouche en font un plaisant petit whisky d’apéro, un peu court en bouche sans doute. Un trait d’eau lui détendra le string en sapant sa finale très amère. La première pierre de l’escalier, maintenant on attend de grimper au 7eciel. Cette distillerie en a les moyens.
DES GINS
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La cuvée du pangolin.
Maison Ferroni Juillet Edition Confinement
J’ai déjà eu l’occasion de vous expliquer (ici) à quel point Guillaume Ferroni est fêlé. Le bougre nous en a fourni une nouvelle preuve – si besoin était – lors du confinement. S’avisant soudain qu’il avait filé son stock d’alcool neutre aux pharmacies du coin, il décide de revoir la recette de son gin Juillet en redistillant les échantillons de ses expériences passées avec un bouquet de baies de genièvre et des plantes aromatiques du jardin. Eaux-de-vie, cocktails, shrubb, rhum, eau de pucelle (allez lire ici, j’insiste), amers… La liste des gnôles passées dans le vieil alambic chauffé au feu de bois s’imprime comme un inventaire à la Prévert sur la page Ulule ouverte pour encourager la folie. On pourra également trouver ce gin pas comme les autres dans les boutiques frapadingues, chez les cavistes qui se rebiffent (38€) : cherchez le fou sur l’étiquette.
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Né dans les vignes de Bourgogne.
Sab’s Gin
Il y a deux ans, Mathieu Sabbagh reprend le dernier alambic ambulant de Bourgogne, et la distillerie de Beaune où il s’amarre quand il ne bat pas la campagne. Distiller en vrac pour le compte des grands domaines viticoles, des liquoristes ou des papys du cru aurait pu suffire à l’aventure, mais voilà qu’il crée sa marque, Sab’s, laquelle décline une fine, un marc, une poire et un gin habillés d’un très joli design. Mais attention : un gin qui se serait jeté un godet de chardonnay en douce derrière la cravate. Un classique London Dry, qui fonce sur le genièvre avant que la fine ajoutée avant distillation vapeur, puis de nouveau à l’assemblage, ne lui serre le kiki. Cette signature vineuse en désarçonnera plus d’un, mais elle enlace le vermouth en Martinez ou en Dry Martini.
DES RHUMS
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Attention la vague !
Plantation Fiji 2009 et Isle of Fiji
Ce que les rhums de Fidji ont de séduisant, Alexandre Gabriel, le démiurge de Plantation, l’explique mieux que personne dans la (très) longue interview accordée à Whisky Magazine (version uncut et actualisée à lire ici). Avec deux nouvelles quilles pour preuves. D’abord, un millésime 2009 (44,8%), non édulcoré, vieilli 9 ans, aux puissantes notes de solvant, adoucies de poire rôtie, de chocolat au lait bousculées d’amandes amères, caramel beurré châtié de bois. Un rhum pour initiés, rustique, sauvage, pas à glisser dans tous les gosiers. Et sa version polie, gourmande, Isle of Fiji – disponible en grande distribution : fruits tropicaux, poires et raisins bien mûrs, bananes vertes roulés dans le sucre de canne épicé. Au choix, selon l’humeur.
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C’est par où, la plage ?
HSE Rozelieures Cask Finish 2013 et Kilchoman Cask 2013
Je me suis confinée avec : bien obligée puisqu’ils sont rentrés avec moi de Martinique ce jour de mars où on se bouclait pour deux mois (l’histoire se lit ici). Franchement, ça m’a occupé les mains – j’aurais détesté apprendre à pétrir mon pain maison pour me détendre la dextre et la senestre. Les deux nouveaux finishes d’HSE, en fûts de whisky lorrain de Rozelieures et de single malt tourbé d’Islay se sont fait désirer (surtout auprès de vous), alors inutile d’attendre davantage. Le premier, beurré, gourmand, gras comme un cochonnet, fait parler la céréale torréfiée, les coings confiturés, les noisettes, le chêne brûlé, sur une pointe fumée. Le second est un E.T. : le rhum et le whisky tourbé se font la courte échelle, dansent ensemble sur le fil tendu au-dessus des fruits tropicaux roulés dans la fumée, les volutes de tabac blond, les éclats de chocolat, de moka. Où suis-je ? Martinique ou Islay, peu importe l’île du moment qu’on vous dépose sur la plage.
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Voyage à la Barbade.
Mount Gay XO et Black Barrel
Aviez-vous reçu le mémo ? Quelque temps avant qu’on se boucle, Mount Gay, la plus ancienne distillerie de rhum encore fumante, présentait ses deux icônes aux recettes reformulées par la nouvelle master blender, Trudiann Branker. Avec un assemblage un peu plus âgé, et une proportion de rhum distillé en pot still plus élevée, le Black Barrel se vautre désormais plus longuement dans les fûts méchamment brûlés lors de son finish. La métamorphose est étonnante, le caractère plus marqué : cœur avec les doigts et les verres à pied. Le XO, de son côté, se réinvente en subtilité. L’assemblage intègre à la fois des rhums plus jeunes qui ajoutent une note florale et des jus plus âgés pour renforcer les marqueurs chocolatés au boisé toasté (5 à 17 ans au lieu de 8 à 15 ans auparavant). Un changement très réussi qui s’accompagne d’un design relooké : si vous avez envie de comparer, jetez-vous sans attendre sur les dernières anciennes bouteilles qui peuplent encore les étagères des cavistes.
DU PASTIS
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De l’utilité de l’eau (pour une fois).
Ricard Bio Amande et Ricard Bio Citron
87 ans et même pas peur ! Après Plantes Fraîches sorti il y a deux ans, la marque créée par Paul Ricard en 1932 au fond du garage paternel se réinvente de nouveau en proposant 2 versions bio et fruitées, Citron et Amande. La première, vive et acidulée, la seconde, sur l’amertume (un effet mauresque sans l’excès de sucre). Une fois n’est pas coutume – du moins à l’aune de mes pratiques –, ils gagnent à se servir très allongés, avec de l’eau ou du thé, et couverts de glace. Le grand retour du pastaga, je vous promets qu’il arrive. Et j’y contribuerai de toutes mes forces !
Par Christine Lambert
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