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La tendance nolo (no alcohol et low alcohol) perce en force. Yolo !

 

En principe, la moitié des lecteurs de cette rubrique se sont esbignés en roulant les yeux au plafond dès la lecture du titre. « La pauvre. » « Les ravages de dry january. » « Pas facile, la reprise ? »De fait, permettez-moi de revenir sur ce très mauvais choix linguistique. Oubliez les « sans alcool », « mocktails » ou « virgin trucs », vocables qui tuent l’ivresse, fusillent le plaisir, frustrent les papilles et annoncent la punition au bar. Et commandez plutôt un drink spirit-free. C’est la même chose, mais le glissement sémantique qui taquine les esprits libres annonce l’avènement d’un mouvement appelé à s’installer dans nos habitudes. Je vous en avais déjà narré les prémisses et la genèse, en terres anglo-saxonnes, mais la modération s’invite avec excès jusque dans notre beau pays, dont l’histoire témoigne plutôt d’une grande méfiance envers les abstinences de tout poil.

« Encore une mode qui ne passera pas par moi », vous entends-je ricaner. Faites comme moi : servez-vous un whisky et réfléchissez à ces temps passés où l’on moquait en chœur la street food et les tables pionnières qui mettaient en vedette les légumes, les herbes et les petites graines. Rien de plus mainstream aujourd’hui, et la cuisine traditionnelle n’a pas disparu pour autant.

« Le mouvement spirit-free s’inscrit dans une tendance générale à aller vers des modes de consommation plus sains : moins de sucre, moins de gras, de viande, de gluten… Et les bars se sont adaptés à cette demande »,analyse Thierry Daniel, l’un des organisateurs de la Paris Cocktail Week (du 18 au 26 janvier, lieux et programme sur le site), hautement responsable de la diffusion du spirit-free sur les zincs. « Quand on a lancé cette manifestation parisienne, en 2015, on a mis en avant systématiquement un cocktail sans alcool à côté du drink “normal” à prix réduit pour satisfaire à la loi Evin. Mais cette contrainte est devenue un jeu pour les bartenders, et l’offre a décollé. Tous les bars qui ont ouvert ces derniers mois proposent du spirit-free. Chez Fréquence, qui à mes yeux représente le futur du bar, lelow alcohol et le no alcohol occupent la moitié de la carte. »

Et cela n’empêche personne de siroter son whisky ou son armagnac, son Negroni ou son Mojito quand l’envie ou l’humeur s’y prêtent. « L’alcool ne va pas disparaître,tempère Thierry Daniel [ouf ! Je me voyais déjà obligée de traverser la rue pour trouver du boulot, nda]. Le spirit-free va simplement se développer à côté, en complément. »On commence la soirée avec son poison habituel, mais on enchaîne en douceur avec un cocktail sans alcool, à siroter avec autant de plaisir.

Plaisir. Tout de suite, les grands mots. Mais l’offre sans alcool s’est sophistiquée et adaptée aux exigences des fins palais. « Au début, les bartenders tentaient de reproduire le goût des drinks alcoolisés en version virgin. Aujourd’hui, ils partent d’une feuille blanche, et vont chercher ailleurs la richesse aromatique. Travailler soi-même ses sirops, infusions ou shrubs est devenu un réflexe »,reprend Thierry Daniel. Voyez les bières : les premières mousses sans alcool tiraient sur l’infusion de chaussette de gendarme. Puis, les techniques de désalcoolisation se sont améliorées, et les nouvelles générations de brasseurs artisanaux travaillent avec des levures qui lors de la fermentation produisent des arômes mais très peu d’alcool (Mikkeller au Danemark, par exemple). Et, au passage, le marché français de la bière 0% et des « sessions » (à faible degré) explose depuis 3 ans avec des croissances à 2 chiffres.

Car, bien que l’idée ne vous ait sans doute pas effleuré, une foultitude de publics snobent l’alcool, temporairement ou durablement, pour de multiples raisons – (dé)goût, religion, santé, sécurité (routière notamment), dry january… Un poisson rouge boit moins d’eau qu’un millennial, puisque 28% des moins de 25 ans ne touchent pas à la moindre goutte d’éthanol. Autant d’individus qui apprécient néanmoins de se retrouver de temps en temps dans un lieu plus gracieux que le PMU du coin, sans s’y contenter d’un Vichy-menthe.

 

De fait, les établissement apprennent très vite à ne pas ignorer ces consommateurs qui, en l’absence d’une offre propice à gambiller des papilles, se contentent d’un café ou d’un Coca Light rondelle, deux ou trois fois moins rentables pour le troquet et score maximum sur l’échelle de la mortification pour le client. Le Virgin Mary à Dublin, le Redemption à Londres ne servent pas une goutte d’alcool, pourtant ces bars ne désemplissent pas. Ironie de l’histoire, qui repasse plus souvent les verres que les plats : aux Etats-Unis, 85 ans après la Prohibition, le noou low alcohol (nolo, dans le jargon du milieu) s’illustre sans doute comme le défi le plus excitant dans les godets.

 

Sans renoncer aux gratifications alcoolisées, nombreux sont ceux qui privilégient aujourd’hui les drinks à faible degré, ou low ABV (traduction : à faible taux d’alcool. ABV pour Alcohol by volume, prononcer « aïbivi » pour frimer mine de rien). « Le Spritz en est l’un des symboles forts, décrypte Romain Chassang, consultant spiritueux et cocktails à l’agence Faux Rêveurs. L’envolée des Suze-tonic ou Campari-tonic également. Les long drinks sont à la mode. On assiste en outre au retour en force des vermouths, des portos, des xérès, à la percée des cidres et des vins – le prosecco ! – en mixologie, à la mode des champagnes servis en piscine sur glace [on ne juge pas ! En fait, si, quand même un peu, nda]. » Autant de tendances qu’on pouvait observer au dernier Paris Cocktail Festival, qui a fait le plein à l’Elysée-Montmartre en novembre.

Le boom des tonics, des gingers ale et ginger beers, l’arrivée des colas craft facilitent grandement la tâche. L’aspect du drink est fondamental. Moins il comprend d’alcool, plus on en soigne le look. « Quand le Spritz a débarqué en France, dans des verres à Old Fashioned, ce fut d’abord un bide, observe Romain Chassang. Puis il a été remarketé et présenté dans de grands verres à vin plus chic, et ça a décollé. » Préparez une French Lemonade (sirop simple, jus d’agrumes frais, topé d’eau gazeuse à grosses bulles), mais servez-la dans un pot à confiture ou une boîte de conserve habillée de papier craft noué d’un lien de raphia, et misez sur l’originalité du garnish – sécher des rondelles de citron au four n’a rien de sorcier et ça produit son petit effet.

Pour alléger la dose sans se décoller la pulpe, remplacez le gin par du prosecco dans le Negroni, ou substituez le porto blanc au rhum blanc pour un Mojito low booze. L’astuce ? Sortez du sucre et des jus riches, misez sur les amers et l’acidité.

Au fond, les plus à la remorque dans la tendance restent les géants de la gnôle. Certes, Diageo s’est illustré en investissant dans Seedlip, un hydrolat spirit-free (vendu au prix du brut de fût) qui mine de rien bouleverse le marché, Pernod Ricard distribue Ceder’s, un alt-gin lancé Outre-Manche, Stryyk a créé un Not Rum et un Not Gin dont les noms donnent plutôt envie de not boire. Et ArKay a défrayé la chronique avec (entre autres) un « whisky sans alcool », oxymore malté qui vient de s’attirer les foudres de la SWA (le lobby du scotch) – puisque le whisky, précisément, doit contenir de l’alcool, 40% au minimum. Mais pour le reste ? Allez, tous à la Paris Cocktail Week pour remonter le niveau !

Par Christine Lambert

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Crédits photos: @Philippe Levy / Paris Cocktail Week

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