Dans les Côtes-d’Armor, “c’est pas l’homme qui prend la mer, c’est le malt qui prend l’homme”. La Celtic Whisky Distillerie annonce pas moins de quatre nouveautés en ce début d’année. Un coup de boost pour cette distillerie posée à quelques dizaines de mètres de la Manche, à l’extrême nord du Trégor, et qui continue sa mue après son rachat en 2020. Quatre nouveautés qui annoncent un début d’année rythmé pour Aël Guégan, le Maître de chai, local de l’étape, qui répond à nos questions.
Bienvenue à Pleubian dans le Trégor, sur le littoral nord de la côte bretonne. D’ici, on accède facilement au Sillon de Talbert, une avancée d’un peu plus de 3 kilomètres de sable et de galets dans la Manche, curiosité géologique du coin. Par temps clair, on aperçoit aussi l’île de Bréhat. Un coin attractif, où le commerce de lin fût pendant des siècles la principale source de revenu mais qui depuis des lustres s’est muséifié au profit notamment du tourisme.
Bienvenue aussi à la Celtic Whisky Distillerie, l’une des distilleries pionnières sur la scène du whisky français. A quelques mètres du littoral, la mer vient presque lécher les murs des chais, dans un décor qui évoque tout autant les Highlands que le littoral irlandais. L’affaire est celte, à n’en pas douter.
Pionnière du whisky français
Remonter la frise chronologique de Glann Ar Mor, c’est évoquer un personnage, son fondateur Jean Donnay. Précurseur en la matière, il s’installe d’abord dans la région durant les années 90, en tant que négociant. Il fut, à l’époque, l’un des pionniers de la double maturation (source Whisky français). En 1997, à part chez Balvenie et Glenmorangie, le passage répété en 2 fûts consécutifs : vieillissement + maturation n’était pas franchement à la mode.
Il installe donc sa Celtic Whisky Compagnie et choisit le Trégor qui, selon lui, rassemble tout ce qu’il faut pour réaliser un vieillissement idéal. S’inspirant de la culture du vieillissement écossais, Jean Donnay et sa femme Martine, se forgent en quelques années une belle réputation auprès des amateurs.
2004, le souffle de Glann Ar Mor
Mais le couple fantasme de construire une distillerie. Dans le contexte de l’époque, à part le scotch, l’irish et un peu de bourbon, produire du whisky français reste au mieux un rêve, au pire un fantasme et dans la réalité une aberration pour les puristes (lire à ce sujet l’excellent ouvrage de Matthieu Acar “Une brève mais intense histoire du whisky français”.
Le négoce fonctionne bien, le couple se lance et fonde sa distillerie : Glann Ar Mor. En 2004 les premiers fûts sont remplis, et en 2008 les premiers embouteillages sont lancés. Suit en 2009, le Kornog, un délicieux single malt tourbé, dont la réputation est encore bien établie auprès des geeks de l’époque (s’il vous en reste sous la main, posez leur la question).
Le choix pour la distillation s’est là encore largement inspiré des écossais. C’est que Jean Donnay est aussi un passionné, et son goût pour les malts des années sixties le pousse à choisir une forme d’alambic en oignon, chauffé à la flamme directe. Deux alambics produisant des distillats gras et ronds en bouche.
Les années filent, Glann Ar Mor trace son sillon et transforme l’essai en 2016, décrochant le prix du meilleur whisky européen par le Whisky Bible, à l’époque véritable boussole pour les amateurs.
C’est sans compter sur la personnalité du fondateur qui à bien des égards reste une source d’inspiration pour nombre de distillateurs mais qui suscite malgré tout la controverse. En 2015, après une suite de polémiques (notamment sur l’indication géographique «Whisky de Bretagne»), le couple annonce tambour battant la fermeture de Glann Ar Mor. L’idée est alors d’investir sur Islay, en Ecosse. Finalement, rien ne se fera et l’histoire prend un heureux tournant avec le rachat en 2020 par Jean-Sébastien Robicquet, créateur cognaçais du G’Vine de la société Maison Villevert.
2016, Whisky Bible, la consécration
En 2020 donc, il fallait s’accrocher pour entendre parler d’autre chose que du SARS-CoV 2. La pandémie occupe toute la bande passante mais le rachat de Glann Ar Mor par Maison Villevert, augure un nouveau chapitre dans le destin de cette distillerie qui, malgré tout, s’est fait un nom.
C’est Aël Guégan, jeune Maître de chai de la maison, qui prend en main le destin des chais de Glann Ar Mor. Les deux espaces de jeux, situés à proximité de la mer, lui permettent de réaliser dans un premier temps des embouteillages qui continueront d’explorer l’ADN de la distillerie.
Séries limitées, Kornog et Glan Ar Mor versions 2024
Fraîchement débarquées sur les étals, deux nouvelles versions des embouteillages attirent particulièrement notre attention.
Un Kornog Saint Ivy à 57,7% devrait trouver son public en un rien de temps. Hommage à l’une des figures religieuses tutélaires de la culture bretonne présente un peu partout dans la péninsule. Si le nom est évocateur, ce Kornog a patiemment attendu dans un ex-fût de bourbon bercé par les vents d’ouest. Un whisky tourbé, équilibré et expressif, frais au nez… la bouche est puissante avec une tourbe gourmande et sucrée. Un whisky authentique !
Et puis autre belle référence, le Glann Ar Mor, Fino Double Maturation à 46% avec une double maturation au programme (3 ans et 2 mois en fût de bourbon puis 2 ans et 1 mois en fût de fino).
Un délice subtil mélangeant l’abricot, la pêche plate et l’amande au nez. À la dégustation, des notes fruitées avec l’orange amère apportent tension et vivacité. Un whisky fin et élégant !
Gwalarn, le blend celtique
La nouvelle aire de Glann Ar mor c’est aussi la sortie du Gwalarn, un blend de trois whiskies écossais, allemand et français. Une nouvelle approche décomplexée du blend, sortie en 2021 dans sa première version et qui aujourd’hui s’offre une version entièrement à base de single malt et une version limitée, maturée en fût de cognac.
Deux nouveautés, deux signatures accessibles et démocratiques idéales pour sublimer un cocktail avec une petite pointe de tourbe en bouche pour la version Pure Malt et davantage sur la vanille et le miel pour le Cognac Cask Finish.
5 questions à Aël Guégan :
Whisky Magazine: tu es le « Responsable du site » de la Celtic Whisky Distillerie. Tu nous parles un peu de ton travail ?
Aël Guégan: Mon métier consiste à gérer l’ensemble des équipes qui composent la Celtic Whisky Distillerie, on est 8 personnes à ce jour : 4 en production – brasseur, distillateur, agent de chai, opératrice d’embouteillage – 1 en administration, 1 en boutique, 1 commercial et moi-même. Nous réalisons l’ensemble des opérations de production nous-mêmes, regroupant le concassage, le brassage, la fermentation, la double-distillation en pot still, l’élevage sous bois, la mise en bouteille, ainsi que les expéditions et la commercialisation. Je suis le chef d’orchestre de cet ensemble, avec une préférence marquée pour la distillation et le vieillissement qui occupe plus de la moitié de mon temps de travail. Je suis le garant de la qualité des whiskys de la distillerie. Nous disposons également d’une boutique et d’un site marchand qu’il faut gérer et actualiser régulièrement.
WM : Selon toi, quels ont été les grands changements depuis que la CWD a été rachetée en 2020 par Maison Villevert ?
AG: Sans hésitation l’augmentation de la production. Jean et Martine Donnay distillaient environ 2 jours par semaine. Nous distillons maintenant 4 à 5 jours par semaine. Ce changement n’a pas eu lieu du jour au lendemain. Il a fallu repenser intégralement notre processus de production (du brassage jusqu’à l’élevage) et recruter. Nous produisons dorénavant 180 hlap d’eau-de-vie de malt contre 75 auparavant. L’outil de production reste exactement le même, je l’utilise simplement un peu plus.
Autre point, il a fallu revoir le packaging et l’identité de la marque Celtic Whisky Distillerie : nouvelle bouteille, nouveau nom pour affirmer notre proximité identité maritime et notre savoir-faire de distillateur. Et puis enfin, nous avons également rejoint l’indication géographique «Whisky de Bretagne».
WM: Tu as lancé plusieurs nouveautés en ce début d’année, peux-tu nous en parler ?
AG: Oui, c’est vrai que j’expérimente un peu plus maintenant que la distillerie est en place. Le whisky est une catégorie assez souple et je compte bien continuer à proposer des nouveautés avec un niveau d’exigence très élevé. Je prends beaucoup de plaisir à jouer avec différentes qualités de malt et de fûts.
Concernant les nouveautés, nous continuons à élargir notre gamme en rendant hommage aux Saints Bretons avec l’arrivée de Santez Azenor, un Glann Ar Mor single cask brut de fût présenté en avant-première au Whisky Live Paris 2023. Gros succès !
Différentes finitions ou doubles maturations sont également sorties sur nos single malts. Il y a un réel attrait pour les whiskies haut-de-gamme. Actuellement, je travaille sur un Kornog bénéficiant d’une finition de 4 mois en ancien fût de pineau des Charentes.
Nous nous sommes inspirés du premier métier de la Celtic Whisky Compagnie et nous continuons à explorer l’univers des blends celtiques à travers notre marque Gwalarn.
WM: Gwalarn, le premier blend celtique, est le fruit d’un assemblage bien spécifique et inédit. À l’époque de son lancement, les puristes avaient soulevé une polémique quant à l’origine des jus. Qu’en est-il aujourd’hui ?
AG: En créant Gwalarn, l’idée était simple : explorer l’univers celte. Le territoire celte est bien plus vaste que ce que l’on pourrait imaginer de prime abord. Les premières traces de civilisations celtes apparaissent en Autriche, en Suisse et dans une large partie de l’Allemagne. Cette culture a essaimé au fil du temps vers l’ouest, la France et, bien évidemment, les îles britanniques.
Nous avons souhaité être totalement transparents sur l’origine des eaux-de-vie utilisées dans l’assemblage de Gwalarn dès le début, provenant de la France, de l’Allemagne et de l’Écosse. Nous avons effectivement soulevé des questionnements au lancement, mais ce n’est plus une question aujourd’hui.
Je pense que les consommateurs ont compris où nous souhaitions aller. Gwalarn a réussi à s’installer comme un blend de qualité et abordable. Notre volonté était de proposer un produit permettant de mettre un premier pied dans l’univers des whiskies premium et de la Celtic Whisky Distillerie.
“le plus grand défi des années à venir : l’éducation de nos consommateurs / amateurs sur des whiskys à forte identité.”
WM: Qu’est-ce qui différencie selon toi la CWD du reste des distilleries bretonnes et françaises ?
AG: Chaque distillerie a ses spécificités. Cependant, la CWD a une aura bien singulière en France pour plusieurs raisons selon moi. Bien que négociante à l’origine (gamme Celtic Connexion et Spirit Safe), elle reste pionnière dans la catégorie whisky en France, ayant été fondée en 1997.
La qualité des eaux-de-vie et des whiskys est indéniable. Cela représente d’ailleurs le plus grand défi des années à venir : l’éducation de nos consommateurs / amateurs sur des whiskys à forte identité.
Elle est singulière également par sa taille : nous produisons près de 15 000 bouteilles de single malt. Singulière également par son environnement, nous sommes littéralement à quelques mètres de la mer.
Enfin, et c’est peut-être LA force de Celtic Whisky Distillerie, je reviendrai encore sur la qualité des productions réalisées par des équipes compétentes et exigeantes.
Je dirais que tous les amateurs de scotch whisky peuvent venir nous voir, nous saurons les convaincre avec des whiskys bretons, des whiskys français.
Le Sillon de Talbert ne fait pas 100 m mais plus de 3 km !
Bonjour, merci pour votre message et cette remarque. J’ai confondu la largeur et la longueur. Il peut effectivement faire jusqu’à 100 mètres de large et est long de 3,2 Km. Je corrige. Bonne journée