Skip to main content

Privilégiant les bonnes chauffes de caractère ou expérimentant davantage de variables de pré-maturation, les nouveaux distillateurs mettent davantage d’œufs dans leurs paniers de distillation. L’heure est-elle enfin venue pour le distillat de tirer son épingle du jeu ?

«Nous sommes tous un peu comme des pilotes de Formule 1 : on cherche à savoir à tout prix ce que les autres ont sous le capot», fait remarquer Marc Watson, directeur de la distillerie et des opérations de la charmante Holyrood Distillery, à Édimbourg, quand il évoque ses discussions avec ses collègues ‒ geeks du distillat ‒ à propos de ce qui entre dans la composition de l’eau-de-vie non vieillie d’une distillerie avant qu’elle ne devienne whisky.

Il est notoire que le new make (distillat) est un sujet souvent négligé lorsqu’on parle du whisky hors les murs de la distillerie. Et ce, en dépit de l’adage selon lequel il est “l’ADN du whisky”. Le phénomène est étrange : malgré le travail considérable réalisé pour produire le liquide sortant de l’alambic, aborder la question du distillat, c’est souvent risquer l’excommunication. Et vouloir en parler avec les consommateurs ? À moins qu’ils ne soient des amateurs chevronnés de whisky, c’est peine perdue.

Mais, en présence d’un autre passionné, les conversations sur le distillat coulent de source. À l’heure où les distilleries se lancent dans l’expérimentation de différentes matières premières et testent de nouvelles souches de levure, et où le débat sur le “terroir” du whisky est plus animé que jamais, il semblerait que ces conversations se banalisent.

Bien que seules de rares distilleries mettent leur distillat à la disposition du consommateur (car la pratique n’a jamais été commercialement viable), l’intérêt n’en est pas moins évident : Holyrood peut attester d’un niveau de demandes surprenant pour sa première gamme d’embouteillages Brewers Series commercialisée l’année dernière par Marc Watson et Nick Ravenhall, son directeur général, 5 000 flacons ayant trouvé acquéreurs à l’international, du Japon et de Taïwan à l’Australie et l’Allemagne. Ils ont même créé en mai 2022 un Japanese Sake Yeast New Make, à base de levure de saké japonais, d’orge de l’East Lothian et de malts Chevalier et Amber.

«Ce new make est la preuve que le consommateur désire explorer différents types de distillats et découvrir l’influence sur les arômes et saveurs des variations d’ingrédients», explique le directeur de la distillerie.

L’exploration des distillats

Des marques comme Monkey Shoulder commercialisent des assemblages de distillats (son dernier Fresh Monkey est un blend de deux new makes de grain et d’un troisième de malt du Speyside), et des cocktails à base de distillat ‒ encore peu nombreux ‒ commencent à figurer sur les cartes des bars. Que signifie une telle révolution pour cette catégorie de spiritueux ? Le distillateur doit décider à un stade précoce des caractéristiques de son distillat : puissant, ou d’un style davantage “toile vierge” ‒ une décision qui doit correspondre aux objectifs de maturation de la distillerie. Ces deux types de new makes sont susceptibles de faire d’excellents whiskies.

À la distillerie The Cotswolds, à Shipston-on-Stour, Alice Pearson, responsable R & D et analyse organoleptique, explique le pourquoi du style de distillat de cette marque de whisky anglaise, souvent adopté par les jeunes distilleries soucieuses d’embouteiller leur eau-de-vie. «Nous considérons qu’avec un distillat au tempérament marqué, il nous est possible de produire un whisky jeune, certes, mais excellent… En obtenant des esters à un stade précoce, nous ne sommes pas contraints d’attendre 10 ans avant qu’ils se forment en fût.»

En matière de création de whisky, l’importance accordée au fût est un sujet assurément clivant, mais l’exploration des distillats permet de le nuancer. Ian Stirling, cofondateur de la distillerie Port of Leith, se félicite que l’on parle de ce sujet : «On a longtemps considéré le new make comme une chose uniquement chargée d’absorber les caractéristiques du fût, mais pour notre part, nous estimons que le fût doit ajouter des notes, sans dominer.» Il espère orienter les discussions de sorte qu’elles portent davantage à l’avenir sur les caractéristiques du distillat et leur influence sur le whisky.

Se pose également la question de la production de distillats de qualité constante. Alors que la plupart des distillateurs produisent un unique style de distillat, certains préfèrent créer plusieurs styles différents avec lesquels travailler. Selon Ian Stirling, l’équipe de Port of Leith «abandonne, en ce qui concerne notre whisky, le concept de qualité homogène», prévoyant d’élaborer chaque année des distillats différents, en permutant les souches de levure selon les fermentations et en commercialisant ses whiskies par millésimes. «Le cœur de notre entreprise, ajoute-t-il, ce sont les distillats et notre aptitude à les influencer dans l’optique de créer des arômes et saveurs inédits, intéressants. Nous nous plaisons à dire que notre whisky sera produit dans la distillerie, non dans les chais.»

Marc Watson tient à exprimer, à juste titre, qu’en dépit de la démarche de création de différents distillats pratiquée par la distillerie Holyrood, la production d’un new make aux caractéristiques régulières est un savoir-faire qui ne devrait jamais être négligé. «Cela exige des compétences entièrement différentes de celles de la production de whisky… c’est un extraordinaire savoir-faire de niche qui repose sur la qualité de la relation que l’on entretient avec le distillat.»

S’agissant des variables présidant à l’élaboration d’un distillat, on distingue celles que l’on veut maîtriser de celles que l’on ne peut pas. Du côté de la distillerie The Oxford Artisan, Chico Rosa, son maître distillateur, mène diverses expériences avec du seigle malté et non malté, jouant avec des cœurs de chauffe plus courts, et produisant même un distillat de vulpin des champs, une mauvaise herbe qui a particulièrement prospéré cette année dans les cultures de seigle. «C’est un new make remarquablement huileux, comme une huile d’amandes douces, et vraiment épais qui, me semble-t-il, va vieillir magnifiquement», précise-t-il.

L’influence de plusieurs variables

Selon Chico Rosa, certaines des très nombreuses variables de la distillation sont plus faciles à gérer que d’autres. Par exemple, les commandes de régulation de température des fermenteurs ne sont pas d’une qualité aussi excellente qu’il le souhaiterait, et peuvent occasionner des profils aromatiques différents en fonction des températures régnant dans la distillerie.

De plus, les coupes délimitant le cœur de chauffe sont effectuées uniquement par dégustation : avec une équipe de quatre distillateurs, ce contrôle est lui aussi plutôt relatif. Parfois, cependant, la variable, c’est le contrôle : «Il y a toujours une certaine absence de contrôle, une phase où les choses évoluent par elles-mêmes sans intervention, ce qui fait tout l’intérêt de laisser s’exprimer la céréale.»

Pour ce qui est des variables, Marc Watson distingue trois domaines d’exploration : l’influence de la levure, les malts spécialisés et les souches d’orge patrimoniales. «Ces trois facteurs ont tous un impact significatif sur le distillat : ils en sont les trois principes.» Holyrood travaille avec un doctorant de l’université Heriot-Watt d’Édimbourg qui étudie les influences éventuelles de différents malts spécialisés sur le distillat.

Il est prévu que la production annuelle de la distillerie Cotswold atteigne 500 000 litres d’alcool pur. Pour ce faire, ses installations sont en cours d’agrandissement et les dimensions du matériel développées en conséquence : les nouveaux alambics auront certes la même silhouette que les actuels, mais ils seront quatre fois plus volumineux.

Par voie de conséquence, l’équipe de production entreprend de comprendre ce que ces changements signifient pour la recette de son distillat et comment obtenir une eau-de-vie identique à celle produite par les installations précédentes. «Les dimensions des équipements impliquent que nous devrons peut-être ralentir ou accélérer certains processus afin d’obtenir le même distillat chargé en esters, mais très léger et délicat, au caractère prononcé», explique Alice Pearson.

Toutefois, pour l’heure, il est prévu de ne pas modifier certains paramètres comme les durées de fermentation, la levure et la température, à moins que l’eau-de-vie n’impose à l’équipe de procéder à des changements. «Pour le moment, nous sommes dans l’inconnu, nous devons donc nous familiariser avec notre eau-de-vie. Nous réalisons sur elle un gros travail d’analyse sensorielle, nous la faisons analyser par CPG-SM [chromatographie en phase gazeuse-spectrométrie de masse] et nous essayons d’en obtenir un ensemble de données scientifiques et d’informations organoleptiques.»

Ce qui nous amène à la question de savoir comment catégoriser le distillat. La plupart des distilleries recourent à une combinaison d’analyse organoleptique et scientifique en laboratoire, mais les méthodes diffèrent encore considérablement, certaines étant davantage consacrées par l’usage que d’autres.

L’équipe de Port of Leith a créé vingt-quatre échantillons et privilégié sept parmi lesquels elle en a sélectionné deux et effectué des passes de distillation commerciales, appelées Beta 1 et Beta 2, qui ont donné les distillats New Make 1 et New Make 2. «La deuxième année, nous produirons un New Make 3 et un New Make 4, précise Ian Stirling. Nous utiliserons également deux distillats contrastés, l’un plus traditionnel, l’autre plus intensément fruité.»

Encore un sujet de geeks

The Oxford Artisan Distillery catégorise ses distillats d’abord selon les céréales, puis le mode de distillation et le nombre de passes de distillation. Ils sont ensuite répartis selon les arômes majeurs avec lesquels travaille la distillerie, à savoir le fruité, les herbes aromatiques, les céréales et un certain fétide.

Alice Pearson explique comment la distillerie The Cotswolds effectue sa catégorisation : «En partant d’une roue des arômes standard, nous considérons d’abord le cercle central, le premier niveau composé de qualificatifs comme “fruité”, “vert”, “floral”, “céréale”, “huileux” et “queue de distillation”. Puis nous les répartissons dans le second niveau, pour lequel les termes ont été choisis sur la base des caractéristiques communes du distillat de Cotswolds.

Par exemple, dans la catégorie “fruité”, tout fruit détecté qu’on ne pourrait pas classer comme manifestement typique de Cotswolds, nous conseillerons à notre panel de dégustateurs de lui donner l’étiquette “autre fruité”. “Vert” englobe “herbe coupée”, “feuillage et foin”, tandis que “huileux” regroupe “charnu”, “savonneux” et “beurré”. Notre échelle est notée de 0 à 3, car nous avons constaté qu’en utilisant un répertoire de très nombreux qualificatifs et évaluant jusqu’à 30 échantillons par jour, il fallait que la notation ne prête pas à confusion», poursuit-elle en expliquant que “1” signifie perceptible, “2” prononcé et “3” fort. «Et par “fort”, nous voulons dire que si l’on donne à “tropical” la note “3”, ce doit être l’un des distillats les plus tropicaux ayant jamais été humés.»

De retour à la distillerie Holyrood, le point de vue de Marc Watson est typiquement décalé. «Nous accordons une importance considérable au sensoriel, car nous procédons par triples exemplaires que nous soumettons pour analyse à des panélistes sensoriels, afin de nous assurer qu’ils sont significativement différents», explique-t-il.

Il a constitué une équipe de jeunes qu’il forme à la dégustation, à consigner et bâtir leur propre répertoire en utilisant le barème t8ke Scoring Scale déniché sur Reddit et créé par Jay West, de Whisky Raiders, un système de notation allant de 1 à 10 et qui comporte des descriptifs comme : «1 : Répugnant/Si mauvais que j’ai vidé le verre dans l’évier» ; «5 : Bon/Bon, tout simplement bien» ; «9 : Extraordinaire/Un grand favori» ; «10 : Parfait/Parfait». «Je considère que c’est un point de départ utile, poursuit-il, puis nous passons ensuite à une véritable analyse organoleptique et à des dégustations d’échantillons significatifs.» L’équipe a également adopté le “napping”, méthode de constitution rapide d’une image sensorielle souvent utilisée en œnologie.

Le distillat demeure peut-être pour beaucoup un sujet de niche, mais il est clair que certains font avancer le débat et en profitent pour monter le volume du son. Alice Pearson souhaiterait que l’on différencie davantage les notes résultant du vieillissement de whisky en fûts de celles provenant du distillat. Selon Marc Watson, cette exploration de la pré-maturation en vue de répertorier des arômes et saveurs lors d’une phase plus précoce de la production, moins dépendante du fût, est une approche du whisky qu’adoptent de plus en plus de personnes.

Il faudra encore un peu de temps avant que les conversations gravitant autour du distillat se banalisent, mais pour Chico Rosa, elles seront très positives pour la catégorie : «J’ai bon espoir que le monde s’oriente dans une direction passionnante, qui nous permettra d’honorer des whiskies ayant moins subi l’impact des fûts, donnant ainsi au new make la possibilité d’être davantage mis en valeur.»

One Comment

  • Paul EDIERRE dit :

    Bonjour

    Le 18/11/2023, je me suis abonné au magazine Whisky mag pour une durée d’1 an moyennant la somme de 20,00 €, débités sur le compte de ma compagne Christine JAFFRELOT

    A ce jour, je n’ai toujours pas reçu le premier numéro. Est-ce normal ?

    J’ai essayé de joindre à plusieurs reprises Monsieur Lebrun sur son portable mais sans succès

    Merci de me tenir au courant

    Cordialement

    Paul EDIERRE

    0608984749

Laisser un commentaire

Inscrivez-vous à notre newsletter