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Le whisky a le chic pour nous expédier sur les montagnes russes sans ceinture entre deux drams consensuels. À la plus grande joie des nerds du malt et amateurs de sensations fortes. Amis whisky geeks, respirez un grand coup et retenez votre souffle : ces pages sont pour vous.
(Cet article est paru en octobre 2020 dans le N°78 de Whisky Magazine. Il fait partie des parcours de dégustations proposés pour les nouveautés du Whisky Live Paris 2020. L’épisode 1 est ici).

Si on nous avait dit il y a seulement cinq ans que la terre promise des whisky geeks deviendrait l’Irlande, plus connue pour ses jus ronds et consensuels, ses Jameson, Paddy ou Tullamore Dew… Quel fou rire, non ? Mais voilà, Mark Reynier a renversé la table (en cassant quelques verres et quelques pieds) avec les embouteillages “terroir” de Waterford (lire le reportage paru dans Whisky Magazine & Fine Spirits n°76). En équipant une ancienne brasserie Guinness d’une paire d’alambics d’occasion, et en mettant en œuvre d’énormes moyens de logistique et de traçabilité, l’ancien patron de Bruichladdich s’est donné pour mission d’aller extraire la substance de différentes variétés d’orge cultivées dans une multitude de conditions géo-climatiques, pour en révéler toute la matière. Les deux premiers “releases”, sortis en juin, sont déjà quasiment introuvables en France. La suite arrive. Avec d’abord deux “single farms” d’à peine 4 ans, mais qui relèguent très loin la question de l’âge derrière l’expression de leur matière première : Sheestown 1.1, gras, chocolaté, onctueux sous le toffee mais tenu en laisse par une trame herbacée, de foin coupé, et Ballymorgan 1.2, chocolaté lui aussi, gorgé de malt sucré, à la finale très épicée. L’orge du premier a poussé sur des sols très calcaire dans le comté de Kilkenny, tandis que celle du second était récoltée à l’est de l’île sur une terre argilo-glaiseuse.

Waterford présente également sa première cuvée Organic, Gaia 1.1, élaborée avec l’orge cultivée en bio par six fermes et élevée en fûts de bourbon, de chêne neuf américain, de chêne français et en fûts ayant contenu des vins doux naturels (VDN, disent les pros : xérès, marsala, sauternes, madère, banyuls et rivesaltes, porto… vous voyez le topo). Son profil végétal, où les fleurs sauvages enlacent l’orge tendre sur une pointe de cacao se révèle avec bien plus de subtilité que les précédents, une finesse incomparable. Un travail magnifique, dont beaucoup malheureusement ne retiennent que le buzz et le marketing à la grosse caisse, qui finissent par en agacer plus d’un. Laissez parler le jus, n’écoutez pas la voix de son maître.

Un festival de nouveautés
Whisky compte double sur l’échelle de Geek-Land : un Amrut single cask (exclu LMDW) 6 ans 2014 vieilli en fût de Caroni. J’avoue, je fais partie de ceux que le business du “tonneau de Caro” dans le whisky laisse sur leur soif. Mais, là, force est de constater que la fusion s’opère à la perfection : le malt indien tient tête aux notes pétrolifères, porté par un haut voltage (60%) posé sur une texture très onctueuse, épaisse, miellée, et on n’en veut même pas au rhum de Trinidad de venir se pousser du col en finale.

Plus loin vers l’orient, à Taïwan, Kavalan nous livre un Peated Malt son premier “vrai” tourbé (les précédents single malts étaient simplement vieillis en fûts de whisky tourbé). À vrai dire, il existait déjà mais sa diffusion se limitait à la boutique de la distillerie. En voici donc un single cask 5 ans 2015 (53%) : délicieusement animal, au cuir épais, au bois précieux, aux notes exotiques, il laisse la tourbe monter traîtreusement en puissance. Un concentré aromatique somptueux. Je peux vous confier un secret ? Au bout de quelques dégustations, on me délie facilement la langue. Chut, approchez : on me murmure dans l’oreillette qu’à l’avenir, Kavalan pourrait décliner ses références en versions tourbée et non tourbée. Gardez ça pour vous. Moins geek, mais après tout même les geeks doivent parfois laisser refroidir la CB, le deuxième Distillery Select de la distillerie taïwanaise arrive enfin. Une vraie réussite que cet assemblage abordable dans tous les sens du terme. Pêches, pommes, poires chatouillées de fruits tropicaux finement recadrés de chêne toasté se bousculent en bouche, très expressifs sous un nez plus discret.

Tout le monde attend en hyperventilant les nouveaux Chichibu. D’autant que la gamme Artist de LMDW a l’honneur d’embouteiller le premier 10 ans de la distillerie nippone – un événement ! Un single cask 2009 Over Ten que je n’ai pu goûter : comme chaque année, les quilles partiront au dernier moment du Japon. Le premier 10 ans officiel, lui, est attendu pour la fin de l’année si tout va bien, douze ans après l’ouverture de la distillerie, en 2008. Que de chemin parcouru…

Japon toujours avec les premiers jus de Mars Tsunuki, sans doute l’une des voix les plus singulières du moment, et d’Akkeshi, la distillerie d’Hokkaido – pas goûtés non plus cependant. Japon encore avec un Nikka Taketsuru Pure Malt version redux, qui intègre en plus grande proportion les single malts de Yoichi : une édition 2020 supérieure à la précédente, si je puis donner mon avis (et puisqu’on m’y encourage…). On sent bien cette période de flottement dans l’Archipel, où les géants Suntory et Nikka, victimes de leur colossal succès, se débattent depuis cinq ans avec des stocks (raisonnablement) âgés très inférieurs à la demande, et où les nouvelles distilleries, minuscules, ne sont pas de taille à affronter l’export autrement qu’avec des produits de niche très coûteux.

Prêts pour un saut à l’élastique jusqu’au Bluegrass State ? Dans sa Master’s Collection expérimentale, Woodford Reserve nous gratifie d’un Chocolate Malted Rye Bourbon, un bourbon (70 % de maïs, 15 % de malt, 15 % de seigle) dont le seigle a fait l’objet d’une torréfaction “chocolat”, autrement dit extrême. Sur un profil très herbacé (le rye du Kentucky met la pédale douce sur les épices) viennent se fondre des notes de chocolat, de moka, de noix de pécan grillées à sec, de chêne toasté, avec un joli yo-yo d’amertume entre les notes : yummmmmmy (mais sans doute clivant).

Des embouteillages événements
Dans sa World Series, l’embouteilleur indépendant That Boutique-y Whisky Company a logé quelque figurines top notch, à commencer par le troisième batch d’un petit Millstone de 4 ans (2 fûts tourbés de PX premier remplissage) floral, herbacé, laissant pointer la poire au miel sous la fumée de feu de bois et la tourbe humide. La micro-distillerie fondée par Patrick van Zuidam aux Pays-Bas est en train, mine de rien, de se classer parmi les plus pointues en Europe.

Toujours chez TBWC, relevons également un Elsburn de 7 ans intensément sherry-sherry je t’aime. Sirupeux, huileux, chocolaté, gorgé de baies rouges épicées, de fruits à coque : beaucoup de profondeur dans la gourmandise, chapeau bas à la distillerie allemande Hammerschmiede.

Si au lieu de me lire – piètre procuration d’une visite au Whisky Live Paris, j’en suis bien consciente – vous aviez pu vous ruer à la Grande Halle de la Villette, vous seriez certainement déjà en train de faire le pied de grue devant le stand de Bruichladdich. Inutile de nier, je vous vois faire tous les ans. Et je vous aurais certainement rejoints, n’ayant pas (encore) eu l’occasion de poser les lèvres sur la 11e série d’Octomore, qui atterrit chez vos cavistes préférés le 1er octobre. Avec une variante, puisque la version.2, d’ordinaire réservée au travel retail, sera cette fois proposée en exclusivité sur le site Internet de la distillerie. Inscription préalable requise – hep ! où filez-vous si vite alors que je n’en ai pas terminé ?

Pas de Whisky Live Paris en 2020 ? Vive le Whisky Live Paris* ! Vous savez que Compass Box fête cette année ses 20 ans, avec plusieurs embouteillages événements (lire les pages consacrées aux nouveautés écossaises). Mais le trublion du scotch, jamais à court de surprises, nous envoie en sus une invitation liquide : This is Not a Festival Whisky. «Du John Glaser tout craché, se marre Thierry Bénitah, patron de La Maison du Whisky et organisateur du Whisky Live Paris. Tous les ans on le supplie de nous faire un assemblage spécial Whisky Live, et à chaque fois il refuse, ne voulant pas se répéter. Cette année on ne lui demande rien et il m’appelle pour me proposer un “anti”, un embouteillage pour un festival qui n’aura pas lieu.» Cette édition limitée appelée à devenir hautement collector, onctueuse en bouche, tourbée, herbacée mais gourmande, pose les poires vanillées sur les notes de fumée, de baume du Tigre, de bois exotique. Un assemblage subtil et soyeux dans lequel Glen Elgin et Clynelish se partagent plus de 80 % de la bouteille, tandis que Caol Ila et Highland Park se chargent d’envoyer la fumée, Cameronbridge et North British fournissant le grain. Loin d’être anecdotique, ce blend dont le nom et l’intention résonnent en clin d’œil à son prédécesseur This is Not a Luxury Whisky nous rappelle fort à propos qu’en l’absence de Whisky Live le whisky toujours nous fera nous rencontrer autour de jolies bouteilles.

* A noter que la billetterie éphémère du Whisky Live Paris 2021 est ouverte du 3 au 30 décembre 2020 ! (NDLR)

 

Par Christine Lambert

 

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