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On a tendance à prendre pour acquise la formidable qualité du scotch en général. Sur ce plan, comme pour le nombre de nouveautés, l’ampleur de la production, les volumes exportés, personne ne s’aligne. Et les distilleries écossaises ont fini par comprendre qu’il ne fallait pas s’endormir. (Cet article est paru en octobre 2020 et fait partie des parcours de dégustations du numéro 78 de Whisky Magazine, NDLR).

« C’est toujours l’Écosse qui mène la danse. » Franchement, ce papier pourrait se résumer en cette phrase et, si vous êtes pris par le temps, je ne vous en voudrais pas d’interrompre ici votre lecture : vous avez l’essentiel. Mais, bon, on m’a demandé d’en faire deux pages. Et à vrai dire, cela tombe plutôt bien, car le scotch a quelques jus magnifiques à nous livrer en cette rentrée – jus que, sous prétexte de recherches professionnelles, il ne me déplaît pas d’avoir à goûter. C’est toujours l’Écosse qui mène la danse, tranche Thierry Bénitah, le patron de La Maison du Whisky qui, en tant que détaillant, importateur, distributeur et négociant n’est pas trop mal placé pour en juger. De fait, si l’on recense les nouveautés qui nous préoccupent en cette rentrée, le scotch occupe à lui seul les deux tiers du très long tableau Excel. Outre qu’il faut impérativement ficher la paix aux pangolins, l’histoire retiendra deux faits marquants cette année. Deux anniversaires. Les 20 ans de Compass Box, l’agitateur et empêcheur de tourner au ronron, et les 200 ans de Johnnie Walker – ça calme –, le whisky qui a converti la planète à grandes enjambées. Honneur au respectable ancêtre, auquel deux blends en édition limitée viennent rendre hommage pour l’occasion : le John Walker & Sons Celebratory Blend, inspiré de l’Old Highland Whisky, premier blend de la maison Walker conçu pour l’export. Robuste sous la jaquette et le haut-de-forme, il exprime les céréales torréfiées, les raisins secs enveloppés de miel et effleuré d’un voile fumé. Le petit plaisir pas coupable du tout, qui vous tire un fauteuil club devant le feu de cheminée. Où est le chat ? Le Johnnie Walker Blue Label Legendary 8 convoque huit distilleries pionnières, dont certaines aujourd’hui disparues – Oban, Blair Athol, Lagavulin, Teaninich, Brora, Cambus, Port Dundas et Carsebridge – et… Mon Dieu, Jim Beveridge sait faire des blends ! Précieux, complexe et profond comme seuls peuvent l’être les vieux whiskies, avec ses notes de bois exotique, de petits fruits séchés, de poudre de cacao nimbées d’une lointaine fumée. Sublime, contemplatif. On se laisse glisser sur le Chesterfield, le feu de cheminée crépite dans un vieux manoir cette fois, mais nom de Zeus où est le chat ?

Un festival de “sherry bombs”

Pendant que vous cherchez le matou, je me suis servie quelques gorgées de ce qui aurait dû être l’embouteillage officiel du Whisky Live 2020 si… Bref. Un Glenlivet 2007 13 ans embouteillé brut de coffrage par Signatory Vintage. Une magnifique “sherry bomb” exotique, saline, toute en tension, qui en bouche paraît plus que son âge. Comme bien d’autres distilleries stars, Glenlivet se fait plus rare qu’un cheveu sur le crâne d’un œuf chauve chez les embouteilleurs indépendants. Mais il semblerait que les craintes liées à l’épidémie de coronavirus aient desserré l’étau – il faut au moins qu’un bienfait sorte de cette crise. Si l’on reste dans le négoce, un anniversaire, encore un, se pointe en vue pour 2021, celui des 10 ans de la gamme Artist de La Maison du Whisky. Les craintes en Écosse, d’ailleurs, sont tout autant induites par la guerre tarifaire qui oppose les États-Unis à l’Europe qu’au Covid-19 et à ses mesures restrictives, qui ont surtout plombé la consommation dans les bars. Les taxes de 25 % qui frappent le whisky aux frontières de chaque côté de l’Atlantique depuis un an ont provoqué de méchants dommages, s’alarme la Scotch Whisky Association. Les exportations vers les États-Unis ont chuté de 30 %, pour une perte estimée à près de 330 millions sur ce seul marché, les flacons premium se montrant plus résilients que les entrées de gamme. Dans ce contexte, les incertitudes liées au post-Brexit et aux difficultés à trouver un accord avec l’Union européenne n’aident pas à garder le sourire.

Pas de nouvelles du chat ? Profitons-en pour dégoupiller quelques jolies “sherry bombs”, nombreuses en ce début d’automne au côté du Glenlivet officiel Whisky Live Paris. Prenez le traditionnel Aberlour embouteillé cask strength par La Maison du Whisky – il a cette année 18 ans (millésime 2002, 62,4%). Vieilli en hogshead de xérès oloroso de premier remplissage, c’est une gourmandise intensément chocolatée, brûlante, capiteuse, où l’orange, le raisin sec, la confiture de mûre s’accrochent à une toile florale. Le single malt préféré des Français en profite au passage pour ajouter une expression à sa gamme avec un 14 ans Double Cask (fûts de bourbon majoritaires, enrichis de butts de xérès) très abordable, où l’ADN du distillat (baies de cassis et de mûres) se révèle finement. Sherry encore chez Arran avec un 8 ans 2011 LMDW. Sherry toujours du côté de Balblair, avec un superbe millésime 2006 14 ans (exclu LMDW) à 56,3%, très malté, riche, confituré, balsamique, interminable en bouche. Mmmmm. Sherry, mais dans un registre très différent avec le merveilleux Benromach 9 ans 2011 (61,2 %, exclu LMDW), salin, enveloppé de tourbe et de baume au camphre, fruité, pressé par les agrumes. Quelle palette !

De la gourmandise au gâteau, il n’y a qu’un pas, disons un verre. Le nouveau Glenmorangie, affiné en fûts de tokaj (un vin moelleux hongrois), n’attend pas la fin du repas pour se partager. Ce dessert liquide imprégné de fruits tropicaux miellés et chocolatés, d’oranges bien mûres, d’éclats d’amandes soulignés de résine de pin et d’une trace de chocolat blanc en fin de bouche. Bill Lumsden nous a concocté là un plaisir juteux en bouche, sans toutefois en faire trop, sans verser dans la sucrosité tapageuse. Un single malt très séducteur, d’une douceur solaire sous ses 46%. On m’a recommandé de le tester en Old Fashioned, mais la caisse de fioles posée sur mon plancher ne va pas se déguster seule, voyez-vous.

À la faveur d’un changement de main, deux distilleries ont totalement refaçonné leur gamme. Glenturret, cédée en décembre dernier par Edrington à un holding majoritairement formé par le groupe Lalique, vient de dévoiler son nouveau look et ses nouvelles références, crées par le maître assembleur Bob Dalgarno débauché de chez Macallan. Le Triple Wood, dont la recette a été modifiée, se voit flanqué d’un 10 ans Peat Smoked (tourbé), d’un 12 ans marqué par le chêne européen, très épicé, et d’un 15 ans à 55% très “zesty”. Une gamme au final très consensuelle, abordable sans être renversante, qui cherchera à donner une identité à une distillerie plus connue pour son défunt matou, Towser, gratifié d’une statue et d’une entrée au Livre Guinness des Records, que pour ses single malts.

Les gammes se relookent

Le groupe américain Brown Forman fait quant à lui un ménage nécessaire dans la gamme touffue de Benriach (qui laisse tomber le R majuscule), acquise en 2016. Sous l’impulsion de Rachel Barrie, les 10 et 12 ans se déclinent de façon plus lisible en une version tourbée et non tourbée, avec des recettes remaniées. Le 10 ans devient The Original Ten, plus riche, lâchant une explosion fruitée mûre à souhait. Le 10 ans Curiositas, rebaptisé The Smoky Ten, exprime une tourbe juteuse (25-30ppm), le fruit exotique, la fraîcheur des forêts de pin. The Twelve, ultra-gourmand, uber-épicé, chocolaté, a vieilli sous fûts de bourbon, de PX, de porto. Et le Smoky Twelve, sirupeux, fumé (30-35ppm), sur le chocolat crémeux, les oranges, le fruit cuit, est passé sous fûts de bourbon, de xérès et de marsala. Que les aficionados soient rassurés, l’âme de Benriach est préservée. La gamme s’habille également d’un nouveau look, plus sobre, et s’étoffera dès la fin de l’année de références plus confidentielles et âgées (21, 25 et 30 ans). Rachel Barrie promet en outre d’alimenter les fans de singles casks et éditions limitées dans le futur. Ouf !

C’est fou le nombre de grands noms écossais qui, dernièrement, s’offrent une nouvelle identité graphique, avec des partis pris parfois osés : Arran (dont les ventes s’envolent depuis la refonte du design), Balblair, Benromach, Jura, Glenlivet, Port Charlotte, Glenturret et Benriach à présent… Le marché est devenu extrêmement concurrentiel, et relooker une gamme permet aux distilleries de communiquer, de recréer ou d’entretenir le fameux “buzz” dont l’époque est friande – surtout dans des pays comme la France marquée par une législation contraignante sur les alcools (seul le packaging peut être représenté en vertu de la loi Evin).

Autre évolution, les termes “smoky”, “smoked”, “smoke” ou “fumé” remplacent de plus en plus souvent les mots “peat”, “peated”, “peaty” ou “tourbé” sur les étuis et dans la communication des marques. La faute aux Américains qui ne comprennent pas le sens ni le rôle aromatique de la tourbe, mais qui apparemment percutent sur la notion de fumée, marmonnent les Écossais. À ce propos, Atoms Brands poursuit son exploration des tourbières avec Green Isle, un blended scotch très tourbé particulièrement réussi, le petit plaisir à déboucher entre amis sur la plage, comme un pull qui vous tient chaud dans les embruns du début d’automne. Gras, un peu terreux, réconfortant sous son fruit vanillé malté. Ah, tiens, j’aperçois le chat. Citons également Ardbeg, qui offre une diffusion plus large à son Wee Beastie 5 ans, dont j’ai déjà eu l’occasion de vous dire sur tous les tons tout le bien que j’en pensais. La distillerie d’Islay livre en outre en ce moment le second batch de son Traigh Bhan 19 ans – pas goûté, mais le batch 1 savait tenir son rang. Oh, et Compass Box, dont je vous parlais en début de papier ? Caché dans une autre page. Vous voyez, finalement, vous avez bien fait de lire jusqu’au bout.

 

Par Christine Lambert

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