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L’engouement que suscite le whisky français, loin de faiblir, monte en puissance, la crise sanitaire actuelle validant toutes les options engagées par un grand nombre d’acteurs de la filière : proximité, qualité, petites cuvées… Et si le Whisky Live Paris 2020 avait ouvert ses portes, parions que les stands des producteurs français auraient été submergés par la vague humaine plus encore qu’en 2019, et ce n’est pas peu dire.

(Cet article est paru en octobre 2020 dans le N°78 de Whisky Magazine. Il fait partie des parcours de dégustations proposés pour les nouveautés du Whisky Live Paris 2020. L’épisode 1 est ici, l’épisode 2 est ).

Sommaire

Une nouvelle ère prometteuse

Le whisky français voit plus grand

Une catégorie qui tient désormais ses promesses

 

Lorsqu’on y songe, ce n’est pas tant le formidable envol du whisky français qui nous laisse bouche bée, mais la vitesse supersonique à laquelle il s’est propulsé dans les airs – certes après cinq cents ans de retard à l’allumage sur le tarmac.

Le pays compte désormais 82 distilleries de malt en activité, contre 7 en 2000 (avec seulement deux marques commercialisées, Armorik et Eddu), et 20 en 2010. Une soixantaine de producteurs sortis du bois en une décennie ! Mais ce ne sont pas les chiffres qui donnent le vertige, car ils recouvrent le plus souvent des structures minuscules, avec une capacité de production ridicule (moins de 10 000 litres d’alcool pur parfois).

Non, ce qui bluffe le plus, c’est le fol engouement des Français pour “leurs” whiskies. Un appétit que même la grave crise épidémique actuelle ne semble pas devoir entamer. Après un coup d’arrêt en mars-avril, de nombreux producteurs, inquiets, avaient réduit la voilure, tandis que les mesures sanitaires obligeaient à fermer les distilleries aux visiteurs. Mais la croissance est repartie au galop dès le mois de juin, prenant tout le monde par surprise. « J’ose à peine le dire, avoue David Roussier, aux manettes de Warenghem/Armorik en Bretagne, mais on n’est pas à l’abri de faire une année exceptionnelle. Juin se classe parmi les trois mois de plus forte vente dans l’histoire de la distillerie, et on a enregistré +25 % des sorties en juillet.

C’est historique. Tout aussi incompréhensible : alors qu’on a limité le nombre de visiteurs par groupe, la fréquentation a elle aussi augmenté, de même que le montant du panier moyen. »

Une nouvelle ère prometteuse

Emportée par son élan, la distillerie matrice du whisky français nous gâte d’ailleurs en cette rentrée, avec un très beau tourbé, Yeun Elez, enrubanné dans un magnifique packaging. « Du talent, du travail, de l’abnégation », répond le maître de chai Erwan Lefèbvre quand on cherche à en éclaircir la recette. Et à part cela, du malt tourbé écossais (50 ppm), une fermentation de 3-4 jours, des coupes de distillation hautes, un vieillissement de trois ans en fûts de bourbon très peu actifs pour simplement souligner le distillat sans le maquiller (fûts de bourbon essentiellement, plus un peu d’ex-xérès pour un apport oxydatif), et une mise en bouteille à 46 %. On appréciera sa texture grassouillette, sa fraîcheur et sa douceur, où la fumée enveloppe délicatement le malt, soulève le fruit à peine chocolaté, sans s’imposer mais en tapissant le palais durablement. Simple, et évident. À l’opposé, La Maison du Whisky, de son côté, en a profité pour sélectionner un single cask, un Armorik 2014 Porto Finish (53 %). Encore qu’il s’agisse plutôt d’une double maturation, puis le whisky a d’abord passé deux ans en fûts de bourbon avant de se plonger dans le porto pendant quatre ans. Ses arômes de fruits cuits finement boisé, adouci de miel et chatouillé d’agrumes, son onctuosité gourmande enrichie de chocolat régalera les gourmands : une belle réussite dont l’opulence trouve écho dans sa complexité. La distillerie bretonne occupe également le terrain éthique en lançant une gamme bio, Irwazh, chez la chaîne de magasins Biocoop.

Acheter des single malts français est entré dans les mœurs. Et plus seulement par patriotisme économique ni par chauvinisme militant, mais pour une raison enfin avouable : parce que c’est bon. La qualité générale s’est améliorée de façon spectaculaire, ces cinq dernières années. Après avoir courageusement essuyé les plâtres à une époque – faut-il le rappeler – fort peu indulgente pour la cause, les pionniers se sont remis en cause, opérant des modifications salutaires dans leurs process, avec l’aide parfois de consultants (Warenghem, Rozelieures…). Et les nouveaux venus ont de toute évidence profité des erreurs de ces défricheurs, en même temps que d’une conjoncture porteuse. Tout le monde se met désormais en ordre de bataille, pour entrer armes à la main dans une nouvelle ère prometteuse.

La Distillerie des Menhirs, autre Bretonne historique du whisky français, vient de relooker les packagings de ses Eddu au blé noir, en adaptant à toute sa gamme le flacon lourd de son édition Ed Gwenn. Les Quimpérois profitent de cette rentrée pour sortir une Cuvée Fût de Bourgogne embouteillée à 54 % (un record chez Eddu) et vieillie d’abord cinq ans en fûts de chêne français du Limousin avant un repos de dix-huit mois en tonneaux de Clos-Vougeot. Vieux pruneaux, liqueur de pêche, fraises au chocolat, fèves de cacao viennent laquer le sarrasin et enrichir cette riche gourmandise qui nappe le palais avec générosité – un trait d’eau le détend, mais fait jaillir les épices et les tanins. Il faudra guetter quelques surprises supplémentaires en 2021, année qui verra la famille Le Lay célébrer le centenaire de leur première distillation. En off, je peux déjà vous laisser fuiter un affinage en fûts de whisky gallois…

 

Le whisky français voit plus grand

Bows, la distillerie de Montauban, sans doute l’une des plus déjantées et des plus talentueuses, fait également peau neuve et rhabille toute sa gamme, qui abandonne le 50 cl et passe – signe de maturité – en 70 cl. Benoît Garcia, le fondateur, un ancien street artist, a dessiné lui-même les étiquettes et la nouvelle bouteille en forme de bombe de peinture. Les deux purs malts, Bestiut et Bestiut Tourbé, accueilleront dès 2021 un “vrai” whisky (d’un minimum de 3 ans, donc), tandis qu’on attend les premiers coups de pioche sur le chantier d’une nouvelle distillerie.

Changement d’échelle et nouvelle distillerie à l’horizon également pour Monsieur Balthazar, à Hérisson, bien que l’épidémie ait retardé les travaux. Idem chez Castan/Vilanova, en Armagnac, et au Domaine des Hautes-Glaces, où les nouveaux bâtiments ont été livrés avant l’été. Ninkasi, près de Lyon, avait, elle aussi gagné en espace en délogeant une grande partie de la brasserie. Et en profite pour sortir en ce moment son 4e volume Tracks, vieilli en fût de pinot noir.

Autre signe de maturité naissante, on assiste aux premiers changements de mains. Après Bercloux, en Charente, passée dans le giron des Bienheureux (Bellevoye) – lesquels n’ont pas rangé leur chéquier et agrandissent l’outil – et après Holl en Alsace, relevé par Nusbaumer, c’est un petit joyau historique (comptant parmi les sept distilleries de whisky ouvertes en France avant 2000) qui vient de passer le relai : Glann Ar Mor, d’où jaillit le single malt éponyme et son frangin tourbé Kornog, vient de tomber dans l’escarcelle de Maison Villevert. Cela faisait plus d’un an que le dossier de vente circulait – à un prix très élevé et peu de stocks – et Whisky Magazine & Fine Spirits s’en était fait l’écho sans nommer la distillerie dans le numéro de septembre 2019. Une page se tourne, espérons que le repreneur saura montrer autant de talent que les fondateurs, Martine et Jean Donnay. Ce talent s’exprime d’ailleurs en cette rentrée dans la gamme Artist de La Maison du Whisky, avec une ogive embouteillée à 59,5 %, un Kornog 2006 Over 10 élevé en fût de bourbon qui évoque, selon ceux qui l’ont goûté (pas moi, malheureusement !), « un Lagavulin qui se serait aventuré sur les terres de Laphroaig ».

La Maison du whisky lance par ailleurs Version Française, une gamme de négoce exclusivement dédiée aux spiritueux made in chez nous. Pour sa série inaugurale, VF présente cinq single casks de whisky. Avec un Armorik 2011 (50 %) vieilli dans un fût ayant accueilli du bourbon… puis… du… chouchen… ce vin de miel auquel je suis désespérément allergique. Sous antihistaminiques, on appréciera sa douceur pâtissière et fruitée – à condition d’alterner une gorgée et un Zyrtec. Ensuite, un Glann Ar Mor 2007 (57,7 %) élevé en fût de bourbon de premier remplissage, pâtissier lui aussi, trempé dans la crème à la vanille, un DHG 2016 (55,3 %) passé en ex-fût de vin blanc, cinglant d’épices, floral et céréalier, un Ninkasi 2016 (46 %), roulé en ex-fût de condrieu puis de montagny, au fruité juteux et séduisant. S’y ajoute un whisky de grain de la Roche aux Fées (la distillerie de la brasserie Sainte-Colombe, en Bretagne), millésime 2016 bercé en fût de vin blanc sec, que je n’ai pas eu l’heur de tester.

 

Une catégorie qui tient désormais ses promesses

That-Boutique-y Whisky Company, la marque de négoce d’Atom Brands, célèbre pour ses dessins cartoonesques, a quant à elle inclus dans sa World Series un superbe Armorik 7 ans (50 %) mûri en fût de chêne breton, gras, tendu comme une arbalète, aux épices explosives. Que des négociants aussi sélectifs que LMDW ou TBWC misent aujourd’hui sur le whisky français prouve à quel point la catégorie, au-delà du simple buzz, tient désormais ses promesses. La suite continue à s’écrire. La Mine d’Or (la distillerie de la brasserie Lancelot, en Bretagne) ou Twelve (à Laguiole) promettent leur premier whisky avant la fin de l’année. Moutard a sorti le sien en mai, sur une initiative originale, un partenariat avec cinq brasseries plantées dans un rayon de 100 km, qui fournissent le brassin (le premier était brassé à Larché).

Malgré la faiblesse des stocks français, les marques non distillatrices et les affineurs continuent à nous surprendre. Maison Benjamin Kuentz sort Aveux Gourmands, un single malt distillé en Bretagne par Warenghem, élevé en fûts de bourbon puis affiné en tonneaux de premier cru de sauternes (Château de Rayne Vigneau). Un plaisir coupable doux, gourmand, confituré, intensément exotique et taquiné d’une pointe saline. En novembre devrait arriver la première mise de Uisce de Profundis, un whisky vieilli dans les profondeurs de l’océan (lire Whisky Magazine & Fine Spirits n°78 page 146 ???), que les happy few auront pu déguster en avant-première en participant au crowdfunding. Avec son talent de storyteller et ses intuitions novatrices, Kuentz a les moyens de devenir le Compass Box à la française. L’équipe de La Capricieuse a lancé Le Whisky des Français, et devrait décliner le concept régionalement. La maison cognaçaise Alfred Giraud (lire le reportage dans la version print de Whisky Magazine & Fine Spirits n°78, page 30) présente une édition limitée élevée en grande partie en fûts de robinier (acacia), laquelle pourrait devenir permanente si vous en redemandez. C’est clairement en Charente que se joue l’avenir du whisky français, veulent croire certains. Mais d’autres pointent déjà du doigt le Bordelais. Après Moon Harbour à Bordeaux même, Maison Lineti devrait voir le jour près de Saint-Émilion, et une quinzaine de distilleries de whisky en projet, selon la Fédération du Whisky de France, menacent de mettre une sacrée animation dans le vignoble. Hâte de voir cela.

Par Christine Lambert

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