C’est une terre de druides, de dragons rouges et blancs qui s’affrontent, de rugbymen courageux, patrie de John Cale du velvet Underground et du poète Dylan Thomas. C’est aussi, depuis 2004, le pays de Penderyn, seule distillerie du Pays de Galles. Rupert Wheeler, rédacteur en chef de Whisky Magazine (édition britannique) raconte cette distillerie.
Mon dernier séjour au Pays de Galles remonte aux années 1970 : un jour de folie, j’avais décidé avec un ami de faire une grande excursion à vélo du Suffolk, où nous habitions, jusqu’à la ferme de son oncle, dans les environs de Llanelli. Un trajet de quatre jours. Le soir, nous campions pour économiser l’argent. Mon ami abandonna à mi-chemin, préférant terminer le voyage en train. Ce n’est qu’après son départ que je me suis rendu compte que s’il m’avait bien laissé la tente, il avait emporté les piquets… Préparant cette fois-ci mon voyage pour Penderyn, je me suis dit que le plus pratique serait de prendre le train. Nous sommes donc arrivés au Pays de Galles après avoir franchi les sept kilomètres du Severn Railway Tunnel dont j’ai appris, par une source digne de confiance, qu’il fut jusqu’en 1987 le plus long tunnel ferroviaire sous-marin. En traversant l’immense emprise des aciéries de Port Talbot, on comprend ce que signifie la sécurité de l’emploi pour les 11 000 personnes qui travaillent ici, et l’on se rend compte de la nécessité pour le Pays de Galles, dont l’économie était si lourdement tributaire du charbon et de l’acier, deux industries au déclin inéluctable, de se réinventer lui-même. Je suis descendu à Neath où m’attendait Jon Tregena, l’attaché de presse de Penderyn, puis nous nous sommes rendus en voiture à Laugharne où Laura Davies, la gérante de Penderyn, et Stephen Davis (sans lien de parenté), son directeur général, dirigeaient une master class au Browns Hotel.
Au pays du Rimbaud gallois
Laugharne doit sa renommée au poète Dylan Thomas qui a vécu ici. La Boathouse, son ancienne maison, est devenue depuis célèbre, de même que la Writing Shed, la cabane où il écrivait, qu’il avait aménagée non loin de sa demeure construite au sommet d’une falaise offrant une vue spectaculaire sur l’estuaire de la Taf. Des milliers de touristes viennent encore visiter les lieux, en hommage à Dylan Thomas. Le premier poème qu’il écrivit ici, Over Sir John’s Hill, décrit la vue que l’on découvre de la cabane et les «oiseaux traquant leurs proies, apportant la mort au cœur de toute cette beauté». Pour commémorer le centenaire de la naissance du Rimbaud gallois, Penderyn commercialise une édition spéciale, un single malt affiné en fût de xérès. Les patronymes Jones ou Evans étant très communs au Pays de Galles, on utilise le plus souvent des surnoms pour les différencier. L’homme qui est à l’origine de Penderyn, c’est Alun Evans, surnommé “Alun The Glan”, le propriétaire de l’auberge Glancynon Inn, non loin de Hirwaun. Ayant appris qu’un alambic d’exception était à vendre, il rassembla dans son bar un groupe d’amis avec qui il convint d’acheter l’objet pour l’installer dans un bâtiment qu’il possédait dans le village de Penderyn où jaillit une source d’eau minérale. Le reste, selon l’expression consacrée, appartient à l’histoire. Malheureusement, Alun est décédé durant l’hiver 2015. Il est prévu de commémorer sa mémoire, d’une manière ou d’une autre, dans la distillerie.
Défier l’Écosse et l’Irlande
Laissons la parole à Stephen Davies : «C’est le 1er mars 2004 que la première expression Penderyn a été commercialisée. Il s’agit du premier whisky du Pays de Galles lancé depuis plus d’un siècle. En comparant avec nos connaissances en matière d’arômes et saveurs de single malts remarquables, nous étions très satisfaits du distillat et de son évolution en fût. Notre problème, ensuite, a été de créer une marque, de la faire connaître et d’asseoir sa crédibilité en tant que whisky gallois, c’est-à-dire distinct des marques de whisky originaires d’Écosse ou d’Irlande. C’est à mon avis le défi le plus difficile que nous ayons eu à relever au début de notre activité. Directeur général, c’est ma fonction, mais “premier vendeur” décrirait peut-être mieux mes attributions au cours de ces premières années.» Le lendemain matin, nous avons pris la voiture pour aller visiter la distillerie nichée dans les contreforts des Brecon Beacons, le parc national du sud du Pays de Galles.
L’alambic de Penderyn est unique en son genre. Il a été conçu par David Faraday pour produire un distillat de très forte teneur en alcool, mais conservant les composés aromatiques recherchés. Il se compose d’un alambic à repasse directement surmonté d’une colonne de distillation, à l’instar d’un alambic Lomond, et d’une conduite reliant la partie supérieure de cette première colonne à la base d’une seconde colonne. La première colonne est munie de six plateaux, la seconde de dix-huit. Ces plateaux perforés en cuivre condensent les vapeurs montantes et provoquent un reflux important à l’intérieur de l’alambic. En cours de distillation, les divers alcools et composés aromatiques se séparent à différentes hauteurs de la colonne, offrant ainsi au maître distillateur la possibilité de choisir le point de prélèvement correspondant au distillat ayant les arômes et saveurs recherchés. Le plateau choisi est en l’occurrence le septième de la seconde colonne. Le distillat recueilli ici affiche normalement une teneur en alcool supérieure à 90%, dépassant de loin la teneur habituelle des distillats écossais ou irlandais. L’eau-de-vie qui en résulte se révèle plutôt légère et délicate comparée aux autres whiskies. Il ne s’agit pas vraiment d’un alambic à colonne ou d’un alambic à repasse, mais plutôt d’un hybride des deux.
Un alambic hybride
Penderyn, petite distillerie de type artisanal, indépendante et novatrice, emploie près de quarante-cinq personnes qui lui sont toutes dévouées, artisans, employés et autres professionnels consciencieux. Elle compte une soixantaine d’actionnaires. Le style de son whisky, ses arômes et saveurs, ont été supervisés par Jim Swan, l’un des grands maîtres distillateurs et autorité mondiale en matière de politique de gestion des fûts, disparu en février dernier.
Et Laura Davies, gérante de la distillerie, de poursuivre : «Penderyn possède une paire d’alambics unique en son genre. Il s’agit pour l’essentiel d’un alambic à repasse surmonté d’une colonne, relié sur le côté à un alambic à colonne de plus grand format. Nous distillons sur toute la hauteur de la colonne. Le brassin injecté dans l’alambic donne un distillat au titre alcoométrique très important, mais aussi très fruité, qui affiche entre 86% et 92% à la sortie de l’alambic. C’est une teneur en alcool très élevée pour l’industrie, mais il en résulte après maturation un whisky vraiment exceptionnel.»
Lorsque est soulevée l’épineuse question de la mention de l’âge du breuvage sur l’étiquette, c’est un non sans appel que nous oppose Stephen Davies, qui précise toutefois ne pas s’interdire de commercialiser à l’occasion des éditions spéciales. Depuis près de trois ans, j’ai eu l’occasion de voir de nombreux alambics à repasse ou à colonne, mais je n’avais jamais rencontré semblable combinaison des deux. Penderyn élève tous ses whiskies en ex-fûts de bourbon, puis les affine soit dans des fûts de madère, soit dans des fûts de xérès. À la dégustation, les affinages au madère ont eu ma préférence. Le succès de la marque a été accompagné de négociations en vue de l’expansion de la distillerie, qui ont abouti en juin 2016 à l’annonce par Penderyn de l’obtention d’un permis de construire pour la transformation de plusieurs bâtiments sur le site de cinq hectares de l’ancienne dinanderie de Swansea. C’est une période passionnante qui s’ouvre pour la distillerie Penderyn, qui projette d’inaugurer en 2018 un centre d’accueil des visiteurs d’une capacité de 50 000 personnes par an.
Par Rupert Wheeler