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Pierre Vaudon, le maître de chai de la maison François Voyer, vient de reprendre la marque dont il fait la signature gustative depuis dix-huit ans. Cet homme de passion et de précision navigue désormais entre son vignoble familial des Fins Bois et la marque de Grande Champagne. Entre Verrières et Echallat, itinéraire d’un enfant de la terre.

Comme la Charente est belle du côté de Cognac. En cette fin d’été, même les vignes touchées par la grêle du printemps revêtent une magnifique végétation. Ces pieds-là ne donneront pas de raisins mais les autres regorgent des fruits du travail de toute une année. Le suspense demeure, les orages de saison n’ont pas dit leur dernier mot. L’œil sur les prévisions météo, Pierre Vaudon retient son souffle. À Echallat, il arpente les vignes avec son épouse Anne-Marie. Nous sommes au cœur des Fins Bois, là où le jeune couple cultive une cinquantaine d’hectares. Ensemble, ils évaluent la maturité du raisin, repèrent les traces de mildiou, autre menace redoutée par les vignerons. C’est le moment de goûter les grains et de sortir le réfractomètre. Bientôt, il faudra décider du moment de la récolte, pour chacune des parcelles. Un soupçon d’intuition, une bonne dose de savoir-faire, dix-huit ans d’expérience et l’héritage de ceux d’avant lui : Pierre Vaudon est un enfant de la vigne, il connaît l’équilibre parfait entre le sucre et l’acidité. Je retrouve au bout d’un rang de vigne celui qui est désormais en charge de deux destinées : la continuité des cognacs François Voyer dont il vient de racheter la société commerciale et les stocks, et le développement de sa propre marque Pierre Vaudon, créée il y a un peu plus d’un an.

 

C’est une bonne nouvelle. Ce n’est pas tous les jours qu’un maître de chai rachète la société dont il est salarié. «Si je travaillais chez Martell, cela aurait été beaucoup plus difficile», commente Pierre Vaudon dans un sourire. Déjà gamin, son destin est scellé à celui du vin. Il a appris à marcher dans la distillerie familiale. Il est encore étudiant en BTS viti-oeno lorsqu’il croise la route de François Chauchet, fondateur de la maison Voyer, une pépite méconnue en plein cœur de la Grande Champagne, le cru le plus prestigieux du cognac. Du haut de ses dix-sept ans, Pierre regarde les producteurs de cognac se débattre dans une longue et douloureuse crise qui durera presque vingt ans. Surproduction, marchés en berne… Pour garder leur vignoble et en valoriser la production, François Chauchet et sa sœur Christine se lancent dans la vente directe. Du côté d’Echallat, où les parents de Pierre Vaudon gèrent le domaine familial, les acheteurs négociants se font tout aussi rares. Pierre Vaudon est aussi un enfant de la crise, mais sa vocation tient bon. Tout en aidant sa famille, il épaule François Chauchet d’abord comme stagiaire avant de terminer ses études d’œnologie à Reims. «La roue tourne, aujourd’hui les ventes de cognac battent de records historiques mais les années 90 étaient une période de vaches maigres. Encore étudiant, j’ai continué à travailler avec François. À cette époque nous vendions 500 bouteilles par an (il s’en vend aujourd’hui 60 000 dont 40 % en France : ndlr)». Tout est à faire. Pierre Vaudon prend peu à peu en main la destinée du magnifique stock d’eaux-de-vie de la maison Voyer. «Je ne pouvais pas accepter que tant de gens, tant de générations, dans la vigne, au pied des alambics, dans les chais, aient travaillé pour rien !», s’indigne encore le nouveau patron de la marque.

 

Au four et au moulin

De salons en expositions professionnelles, le cognac François Voyer connaît ses premiers succès. Le tout jeune maître de chai passe une partie de son temps au téléphone. Un mailing en 2002 – version papier, l’Internet n’est pas encore arrivé jusqu’à Verrières – et Pierre Vaudon décroche son premier importateur au Danemark. Les e-mailing suivront à une époque où ils étaient encore lus. Chez Voyer, on n’est pas radin sur l’envoi d’échantillons. La qualité des cognacs est le plus bel argument de la maison, l’inépuisable énergie de son maître de chai fait le reste. François Chauchet et Pierre Vaudon l’ont bien compris. Ils n’iront pas jouer dans la cour des grands du cognac. Ils sortent leur atout “vigneron”, lancent des opérations séduction auprès des amateurs de vins, restaurateurs et importateurs compris. François Voyer s’installe sur les meilleures tables de Paris et de Londres : Alain Ducasse, le Plaza Athénée, le Dorchester. Quand les commandes affluent dans cette toute petite maison de cognac, Pierre Vaudon mobilise tout le personnel pour la mise en bouteilles. «Les premiers prix de concours ont commencé à tomber. Au départ, il ne fallait pas que cela se sache». Une forme d’omerta plane alors sur les vendeurs directs qui écoulent aussi une partie de leur production auprès du négoce charentais. L’anecdote vaut le détour. «Nous avions demandé à La Revue des Vins de France de ne pas publier le palmarès dont nous étions les grands gagnants ex aequo avec le cognac Hine. Finalement, les résultats sont sortis et le ciel ne nous est pas tombé sur la tête». Pierre Vaudon voit son travail récompensé et la qualité de ses cognacs reconnue. «Il fallait que mon XO soit parfait. À chaque dégustation, je voulais voir les visages s’éclairer». La signature est là, inimitable. La quintessence d’un cognac de Grande Champagne travaillée avec talent, une attaque citronnée, un nappage velouté au palais puis les arômes de la maturité évoquant, au nez, le fruit de la passion et l’ananas.

 

Une précision d’horloger

Comment aller encore plus loin dans le profil aromatique de ces cognacs de premier cru, s’interroge le maître de chai devenu conseillé technique. Il travaille les eaux-de-vie avec de plus en plus de précision. Il scrute le vignoble car «la culture de la vigne est la clé d’un effet terroir fantastique», souligne l’œnologue. La famille Chauchet a hérité d’un vignoble particulier, il fait figure de pionnier avec ses rangs enherbés et ses cordons hauts qui facilitent la photosynthèse et évitent le pourrissement des grappes. Quel magnifique terrain de jeu pour Pierre Vaudon. Il fait des coupes de sol, observe le système racinaire de la vigne, fait adopter au responsable du domaine des outils de décompactage «afin que les racines pénètrent plus profondément dans le sol. L’engagement de production est plus exigeant que par le passé. La région produit trois à quatre fois plus qu’il y a cinquante ans», constate le nouveau chef d’entreprise. De la vigne à la bouteille, Pierre Vaudon veut tout connaître. Il s’offre un bain de culture auprès des plus grands maîtres de chai du cognac. André Giraud puis Georges Clos chez Rémy Martin, Jean-Marc Olivier chez Courvoisier nourrissent son style, lui apprennent à construire des bases d’assemblage pérennes. «Pour mes premiers assemblages, je n’utilisais que deux millésimes. J’ai étoffé ma production mais j’utilise toujours cette base de coupe réduite à 40 %. Elle continue à maturer et reste garante du profil aromatique de mes cognacs. Il peut donc y avoir du millésime 1993 dans le VSOP François Voyer !». De son père et de son grand-père avant lui, Pierre Vaudon a reçu un précieux héritage. «L’art de la distillation ne s’apprend pas sur les bancs de l’école, paroles d’œnologue. Sans aucune connaissance scientifique, nos anciens distillaient de magnifiques eaux-de-vie». Inspiré, au pied de l’alambic, Pierre Vaudon est un perturbateur de vapeur. Afin d’augmenter l’intensité aromatique de ses eaux-de-vie, il calque les courbes de températures sur celle de la distillation au bois pratiquée par ses ancêtres.

 

Simplicité et équilibre

Plusieurs fées ont du se pencher sur le berceau de cet homme plein de ressources. «J’ai observé l’évolution des goûts des consommateurs, j’ai travaillé mes cognacs dans la simplicité et l’équilibre pour que les arômes soient facilement identifiables à chaque dégustation». L’homme semble murmurer à l’oreille des eaux-de-vie de Grande Champagne. Il choisit avec soin leurs berceaux de bois. «Nous achetons nos grumes que l’on fait fendre dans le nord de la Charente à la scierie Sapin (cela ne s’invente pas ! : ndlr)». La fabrication des fûts est confiée à Jean-Noël Pelletant, un tonnelier du cru. Alors que la tradition préfère le chêne du Limousin et du Tronçais, Pierre Vaudon affine ses recettes avec du chêne de Bercé, fleuron de la forêt française. «Les composés aromatiques et tanniques de ce chêne se diffusent plus lentement. Ils offrent aux eaux-de-vie des notes de patines à la cire que l’on retrouve en bouche de façon délicate et élégante». Par économie, les fûts en chêne de Bercé pourraient être utilisés en finish mais ce n’est pas le style de la maison. Ce bois cher et rare est intégré au parc de vieillissement.

 

Le rachat de la maison François Voyer résonne comme un aboutissement pour Pierre Vaudon. Il est aussi une belle opportunité de transmission pour la marque, même si le décès de Christine, cogérante et sœur de François Chauchet a précipité la transaction. «Nous avons signé un accord d’approvisionnement car le vignoble de 29 hectares en Grande Champagne reste dans les mains de la famille», précise le nouveau propriétaire. Pierre Vaudon peut également compter sur le vignoble qu’il cultive avec son épouse comme source de matière première. Comme un hommage à ce mariage heureux, Pierre a d’abord travaillé sur un assemblage des deux crus qu’il connaît le mieux. Le Multicrus n’est qu’une étape. Avis aux amateurs d’histoires vraies, aux aventuriers du goût, aux découvreurs de terroirs, entre la gamme François Voyer, quintessence de la Grande Champagne, et la gamme Pierre Vaudon, fidèle expression des méconnues et sous estimées eaux-de-vie des Fins Bois, l’enfant doué du cognac remet le cap sur le single cru.

Par Christine Croizet

 

De l’assemblage au single cru

Avec l’arrivée d’Anne-Marie Vaudon, des parcelles de Grande Champagne entrent sur le domaine familial des Fins Bois. Quelle belle aubaine pour Pierre, l’heureux époux qui vient de passer dix-huit ans le nez dans les eaux-de-vie complexes du 1er cru du cognac. L’édition Multicrus du cognac éponyme célèbre cette union. Celle de Pierre et d’Anne-Marie puis celle tout aussi heureuse des riches arômes de la Grande Champagne avec ceux plus suaves et délicats des Fins Bois. Il faudra un peu de temps au jeune œnologue pour apprivoiser cette toute nouvelle palette aromatique. Un nouvel horizon s’ouvre à lui. Il (re)découvre peu à peu la singularité des Fins Bois, jusqu’à repenser la trame olfactive de la toute nouvelle collection single cru.

 

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