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La forme et les dimensions d’un alambic pot still contribuent à définir le caractère du distillat. Certaines distilleries possèdent des alambics identiques ou de forme très similaire, tandis que d’autres montrent une plus grande diversité de profils. Quelle en est donc la raison, et quelles en sont les conséquences en termes d’influences sur l’eau-de-vie ?

Les formes des alambics d’une distillerie sont en général “héritées” du passé mais peuvent également résulter moins d’une création intentionnelle que de considérations pratiques. Par exemple, il était plus économique d’acquérir des alambics d’occasion, provenant de distilleries ayant cessé leur activité, que des pot stills neufs, mais il était alors peu probable qu’ils soient parfaitement assortis qu’il s’agisse d’alambics supplémentaires venant compléter une installation existante ou de l’équipement d’une nouvelle distillerie. La fin du XIXe siècle fut une époque de grande expérimentation en matière de formes d’alambics, notamment avec les créations de Charles Doig, le grand architecte de distilleries, renommé pour ses toits en pagode (voir article sur Craigellachie, ndlr), expériences dont les distillateurs tiraient inévitablement les leçons.

La forme de l’alambic

«Déjà au tout début du XXe siècle, certaines distilleries remplaçaient leurs alambics à l’identique, tant en termes de dimensions que de silhouette. Elles savaient d’expérience quel style de distillat elles obtenaient de telle forme d’alambic en particulier et souhaitaient continuer ainsi», explique Stuart Robertson, directeur de la distillerie The Dalmore. La recherche scientifique relative à l’influence exercée par la forme de l’alambic a progressé de manière significative depuis les années 1980, et apporté quelques lumières sur la question, sans toutefois la résoudre entièrement, offrant ainsi aux nouvelles distilleries la possibilité de choisir un profil d’alambic favorisant le style de distillat qu’elles recherchent, qu’il soit élégant et léger ou charpenté.

«Quand un client fait appel à Forsyths pour concevoir sa distillerie, la discussion sur la forme des alambics peut durer tout aussi bien une demi-heure que toute la journée. La bouilloire (la base de l’alambic) est pour l’essentiel un récipient qui contient le liquide à distiller. Elle n’a aucune influence sur le distillat. Ce qui exerce une influence sur le caractère du distillat, c’est la zone de reflux dans le col et le chapiteau de l’alambic», précise Richard Forsyth, PDG de la chaudronnerie Forsyths qui fournit aux distilleries un service de conception, fabrication, installation et entretient des alambics.

L’influence du reflux

Le reflux est un phénomène qui contribue à déterminer la proportion de composés aromatiques plus légers ou plus riches du distillat. Les alambics élancés, munis d’un col-de-cygne de large diamètre, favorisent ordinairement un reflux important, ce qui se traduit in fine dans l’eau-de-vie par un taux plus élevé de composés aromatiques légers. À l’inverse, dans les alambics plus trapus, à col-de-cygne étroit, le reflux est plus faible, ce qui favorise la production d’un distillat plus charpenté.

Les dimensions constituent également un paramètre significatif, car la température diminue progressivement le long du col-de-cygne, proportionnellement à sa longueur et à son diamètre. La température est un autre paramètre important car les composés aromatiques les plus riches présents dans les vapeurs ont un point d’ébullition supérieur à celui des composés aromatiques plus légers. Ils nécessitent par conséquent des températures plus élevées pour demeurer en phase vapeur (et parvenir à atteindre le condenseur).

Les températures plus basses qui caractérisent un col-de-cygne allongé et large favorisent par conséquent la condensation d’une plus grande proportion de composés aromatiques les plus riches sur la paroi interne du col-de-cygne, et ce condensat retombe dans la bouilloire. Mais la température globale demeure suffisamment élevée, même dans le cas d’un col-de-cygne long et large, pour que les composés aromatiques les plus légers demeurent en phase vapeur et progressent jusqu’au condenseur.

Plusieurs distilleries sont équipées de wash stills (alambics de première distillation) et de spirit stills (alambics de seconde distillation) identiques les uns aux autres, notamment The Glenlivet, Aberlour, Glen Elgin et Glenrothes.

Wash stills et spirit stills

«Chez Glenlivet, nous avons la possibilité de vérifier le distillat issu de chacun de nos sept spirit stills, pour nous assurer qu’ils produisent tous sans exception notre même style maison, floral et fruité. Nous savons que leurs formes sont traditionnelles, car elles sont très bien documentées depuis 1823», précise Alan Winchester, maître distillateur de The Glenlivet pour Chivas Brothers.

Une certaine diversité tant dans le profil des wash stills que dans celui des spirit stills est-elle nécessairement significative ?

«Balmenach possède trois wash stills et trois spirit stills qui présentent tous des différences minimes. Certains ont un col un peu plus long, d’autres sont différents au niveau de la forme des épaules. Mais ils produisent pour l’essentiel le même caractère et tous les distillats s’écoulent dans le même coffre-fort à alcool où ils se mélangent», ajoute Derek Sinclair, directeur général des distilleries d’Inver House Distillers.

Autre cas type : un profil uniforme mais des dimensions variables.

«Les quatre wash stills de Dalmore ont tous une même forme : ils font penser à des lampes à huile à l’ancienne. Mais nous en avons deux petits et deux grands. Les spirit stills ont eux aussi une forme identique, une bouilloire en oignon et un col-de-cygne étroit, et là aussi, nous en avons deux petits et deux grands. Cette situation s’explique par le fait que, dans les années 1960, pour doubler la capacité de production, on a reproduit les alambics d’origine en les agrandissant à l’échelle. Les petits et les grands alambics produisent des distillats de même caractère, car nous ajustons la charge, c’est-à-dire la quantité de liquide en cours de distillation, pour créer des conditions identiques à l’intérieur de l’alambic», ajoute Stuart Robertson.

Une influence comparable ?

Autre question : wash stills et spirit stills exercent-ils une influence comparable ?

«De nombreuses caractéristiques des bas vins ne proviennent pas de la première distillation, mais de l’orge maltée et de la fermentation. Ce sont elles que nous souhaitons conserver et affiner lors de la deuxième distillation. De sorte que pour nous, la forme du spirit still joue un rôle plus important que celle du wash still», indique Allan Logan, directeur de production chez Bruichladdich.

Même si les formes des alambics varient, il s’agit là d’un élément essentiel du style maison de la distillerie. «Chez Mortlach, les alambics sont tous de formes et de tailles différentes, ce qui donne diverses nuances qui se combinent pour créer le caractère distinctif du distillat», explique Douglas Murray, directeur des procédés de fabrication chez Diageo.

La vitesse de distillation

À l’influence de la forme de l’alambic s’ajoute celle de la vitesse de distillation, qui varie selon les distilleries. Une chauffe modérée de la bouilloire se traduit par une distillation lente. Les vapeurs s’élèvent très progressivement et leur plus faible densité dans le col-de-cygne explique que la température de ce dernier demeure relativement basse, ce qui augmente le reflux et favorise la présence dans le distillat d’une proportion plus importante de composés aromatiques plus légers. Une chauffe plus intense accélère la vitesse de la distillation. Les vapeurs s’élèvent plus rapidement, ce qui entraîne au niveau du col-de-cygne une augmentation de la densité des vapeurs ainsi que des températures relativement plus chaudes. Cela réduit le reflux et augmente par conséquent la proportion de composés aromatiques plus riches dans le distillat.

Toutefois, les distilleries privilégient habituellement des vitesses de distillation différentes selon qu’il s’agit de wash stills ou de spirit stills.

«Chez Balblair et chez Pulteney, les wash stills et les spirit stills sont de forme identique, mais la distillation dans les spirit stills est plus lente, ce qui permet de tirer tout le parti de leur forme. Il en résulte un reflux plus abondant, ce qui accroît dans le distillat la proportion des notes fruitées et légères», ajoute Derek Sinclair.

Outre la vitesse de distillation, la forme de l’alambic doit également être envisagée avec d’autres facteurs susceptibles d’exercer une influence, notamment la longueur et l’angle d’inclinaison du bras de liaison (appelé lye pipe ou lyne arm, ce dernier fait office de tube à reflux) reliant le col-de-cygne au condenseur, ainsi que le type de condenseur (multitubulaire à calandre, ou le traditionnel condenseur à serpentin).

Remplacer à l’identique

Que faut-il alors en conclure ?

«La forme de l’alambic n’est pas seule à l’origine de la saveur, elle remanie ce que nous y mettons et affine la complexité du distillat qui en résulte», poursuit Douglas Murray.

Mais personne ne souhaite prendre de risque.

«Nos alambics ont tous une forme en oignon et sont équipés d’un long col-de-cygne. Quand nous devons en remplacer un, il est très précisément mesuré afin de reproduire à l’identique dans le nouvel alambic ses dimensions et son profil, car nous ne voulons pas risquer de modifier le caractère du distillat», conclut Alasdair Anderson, directeur de la distillerie Glenrothes.

par Ian Wisniewski

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