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Pour s’initier aux whiskies tourbés, on aura beau tourner la mappemonde dans n’importe quel sens, toutes les routes de la soif mènent à Islay, Mecque de la fumée écossaise. Et on aurait tort de croire que ce voyage n’emprunte qu’une voie. Tourbe élégante et subtile, tourbe fruitée et gourmande, tourbe nucléaire, tourbe sèche ou animale… Apprenez à les distinguer.

 

Nulle région mieux que ce confetti des Hébrides ne parle au cœur des amateurs de whisky tourbé. Islay, fer à cheval jeté sur l’Atlantique, terre plate de landes et de tourbières, moorlands and peat bogs, dont les reliefs s’escaladent du bout de langue en goûtant ses single malts ténébreux. Cette petite île, dont la réputation est telle qu’on la place au centre du monde, forme l’une des cinq grandes régions de whisky écossais* et rassemble 9 distilleries actives, chacune dotée d’un fichu caractère – dont une, Ardnahoe, n’a pas encore commercialisé d’embouteillage.

A cette période en temps normal, elle s’agite sous les roulements de foules joyeuses venues fêter le Féis Ile en espérant rafler les éditions limitées mises en ventes sur place pour l’occasion. Ça, c’est pour les années où les pangolins ne fricotent pas avec les chauves-souris, car en 2020, rendez-vous sur les réseaux sociaux pour partager l’amour de la tourbe à distance déraisonnable.

Quand on s’initie aux whiskies tourbés (lire ici pour comprendre d’où viennent leurs arômes), il faut garder deux choses dans un coin de la carafe : leurs personnalités, terriblement clivantes, peuvent revêtir des nuances très différentes, et avant de trouver le(s) bon(s) vous froncerez peut-être plus d’une fois le museau. Ensuite, ils apprécient souvent qu’on leur assouplisse le cuir d’un trait d’eau qui fera exploser les notes en arpèges (sauf les très vieux whiskies, à caresser sans dilution, et certains élevages en fûts de sherry). Et en avant pour une balade dans la tourbe d’Islay.

 

Vous appréciez la tourbe discrète et subtile ?
Allez la chercher chez Bowmore, qui après des années de recherches a retrouvé son distillat d’antan. Le Legend, jeune, tout en vivacité citronnée, superbe rapport qualité/prix, le 12 ans, un poil plus exotique et charnu, le Vault Edition N°1 Atlantic Sea Salt, plus salin qu’un baiser dans les vagues déchaînées ou le 15 ans Darkest, roulé dans les fûts de sherry, dégorgeant les fruits rouges sur une nappe de chocolat caféïné, vous en donnent pour vos deniers. Mais si vous pouvez vous offrir le luxe de goûter un vieux Bowmore, l’extase vous guette en embuscade.

Caol Ila, avec sa tourbe sèche légèrement herbacée et toute en finesse, exprime un registre plus maritime, iodé. Mon choix se portera sur le 12 ans, à la simplicité délicate, intégralement élevé en fûts de bourbon usés (2eet 3e remplissages) pour mieux flatter la qualité du distillat. Mais vous pouvez préférer le Distillers Edition, qui profite d’un apport de fûts de moscatel pour s’arrondir et se fruiter, ou Moch, frais et un peu court, évoquant une aube qui se lève timidement sur les eaux d’un loch. Autre option : les subtils malts signés Port Askaig, qui embarquent sans le dire du Caol Ila.

Envie de tourbe fermière et céréalière ?
Direction Bruichladdich, dont je vous ai abondamment parlé récemment (à lire ici). C’est dans la gamme Port Charlotte que se cachent des whiskies puissamment tourbés aux accents de céréales et de bruyère. Le « PC » (« Pissi », disent les intimes) 10 ans est un must, rouleur de mécaniques au cœur de caramel mou-malt tendre, mais n’hésitez pas à vous risquer vers les millésimes estampillé « Islay Barley », élaborés avec l’orge cultivée localement.

Autre option : Kilchoman, ferme-distillerie qui vient de s’agrandir pour répondre à votre soif. A côté de l’incontournable Machir Bay (explosion de fruits sur du biscuit nappé d’une tourbe puissante et enveloppante), on peut découvrir le nouveau batch de Loch Gorm, élevé en fûts de sherry (la même envolée de tourbe atterrit cette fois sur du toffee, des zestes d’oranges confites, du bacon grillé). Mais j’avoue un faible pour le 100% Islay, moins tourbé, citronné, élaboré avec l’orge de la ferme. A noter : il est encore temps de commander le pack de dégustation pour vous joindre au tasting organisé en direct sur la page Facebook de La Maison du Whisky le 3 juin à 17h en compagnie d’Anthony Wills, fondateur de la distillerie.

De la tourbe caractérielle en veux-tu, en voilà
Pour s’enfumer no limit, dégoupillez sans hésiter l’une des grenades de désencerclement signées Octomore : ça pique les yeux mais ça fait pas mal (à lire ici). Personnellement, je privilégie les éditions .3, à base d’orge d’Islay. La dernière en date, 10.3, embouteillée à 61,3%, fait gicler les citrons confits sur de profondes notes de fruit camphrés et de pneus brûlés sur l’asphalte.

Option hôpital en flammes, Laphroaig et sa tourbe médicinale, avec un grand classique, le 10 ans, camphré, mentholé, intense, qu’on déniche à un prix ridicule (autour de 30 €) en grandes surfaces. S’il fait de l’ombre aux NAS de la gamme, ne négligeons pas pour autant le Quarter Cask, goudronneux et sec, affiné dans ces petits fûts qui lui donnent son nom.

L’option montagnes russes vous envoie à Bunnahabhain, dont on a parfois du mal à suivre les zigs-zags – mais il n’est pas déplaisant de se laisser surprendre au détour de la falaise. Tourbé, non tourbé, tourbé et non tourbé, et désormais très tourbé, ce single malt passe sa vie à se chercher. Un work in progress intéressant à suivre, de préférence chez les embouteilleurs indépendants.

La tourbe spéculative
Un mot : Port Ellen. Bon, ok, ça fait deux. Mais en billets de 100, ça fait tellement plus…

Une tourbe de boxeur en gants de velours
Pour une tourbe puissante qui sait s’habiller de douceur, suivez les nuages de fumée jusqu’à la côte de Kildalton, au sud de l’île. Version tweed, Lagavulin, le whisky à piquer à vos parents (à lire ici) ne déçoit jamais. Ses notes de feu de bois expriment un côté presque animal dans l’iconique 16 ans, dont j’ignore comment cette merveille peut être proposée à un prix aussi ridicule. Le 8 ans, plus vibrant, explosif et cendré, allume le brasier sur la plage. Essayez de mettre la main, pour changer, sur l’une des éditions limitées de 12 ans proposées brutes de fût pour sentir combien la complexité, parfois, n’attend pas le nombre des années (c’est d’ailleurs l’une des caractéristiques des whiskies tourbés).

Version cuir, Ardbeg fait battre un cœur de fruit dans la cheminée mal ramonée. Le Ten est revenu à son meilleur niveau, Uigeadail et Corryvreckan se disputent les amateurs en deux teams bien distinctes (moi : #TeamUigeadail, mais si vous me confinez avec Corry, je ne protesterai pas). Le 19 ans Traigh Bhan, avec ses notes salines, cuir chocolaté, agrumes en goupille, tient ses promesses (y compris celle de vous laisser sur la paille puisqu’on ne le trouve plus qu’aux enchères).

Et puis, comme chaque année, le dernier jour du Féis Ile, la distillerie propose son objet de culte : l’embouteillage Ardbeg Day en série limitée (rendez-vous le 30 mai à 20h sur les réseaux sociaux pour un lancement tonitruant). Blaaack, le dernier-né, se présente dans une bouteille noir mat. Un drôle de mouton à la laine frisée dans quelques fûts de pinot noir qui apportent des notes de kirsch un peu vineuses, de chocolat, de tabac sous la suie. Gourmand et sec à la fois. Guettez les cavistes qui proposent une opération promotionnelle Ardbeg Day le 30 mai. Exceptionnellement, les boutiques Julhès commercialiseront les 9 éditions Ardbeg Day réunies dans une caisse. L’occasion ou jamais de clôturer ce Livret A qui ne rapporte plus rien alors que la cote des whiskies continue à flipper.

Islay sans la tourbe
Bruichladdich réserve ses singles malts tourbés à ses marques Port Charlotte et Octomore, et produit sous son nom des whiskies dépourvus de phénols. Si vous êtes du genre à réclamer un steak de soja chez le boucher, c’est vers cette distillerie transgressive et iconoclaste qu’il faut vous tourner (lire ici), en allant piocher dans la gamme des divins Laddie. Au passage, toutes mes pensées pour ceux qui s’emparent chez le caviste d’une quille turquoise griffée Islay et qui, à l’heure de popper le bouchon, se trouvent fort marris en ne flairant point la tourbe dans ces malts frais et raffinés. Pas de panique, ce n’est pas un symptôme du covid-19.

Par Christine Lambert

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* Avec les Highlands, le Speyside, les Lowlands et Campbeltown.

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