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Le whisky écossais mène une guerre thermonucléaire totale à quiconque ose lui emprunter ses marqueurs, comme une distillerie allemande vient encore d’en faire les frais. Mais en France, de prestigieuses appellations pourraient bien riposter.

 

Il n’y a pas de vallées en Allemagne, quoi qu’en dise votre atlas. La géographie outre-Rhin vient de se faire aplatir tranquillou par une décision de justice redessinant les reliefs à coups d’attendus. Pas de vallées en Allemagne, ou plus exactement, il faudra continuer à les appeler “vallée” (“tal” en allemand) et pas “glen” selon le vocable gaélique. Au terme de neuf ans de bataille (oui, je suis en mode warrior en ce moment), la Scotch Whisky Association (SWA) vient d’obtenir gain de cause devant la justice allemande. Le puissant lobby du whisky écossais attaquait la distillerie Waldhorn, dont le single malt Glen Buchenbach évoquait un peu trop le scotch à son goût – et devra donc en changer (de nom, pas de goût).

L’industrie du whisky écossaise, si accueillante et prompte à partager ses plaisirs liquides, ne rigole plus dès qu’on fait mine de lui marcher sur le kilt en empruntant ses symboles culturels. Qu’un whisky étranger vienne à usurper des termes emblématiques comme “Glen” (vallée, donc), “Ben” (colline), Highlands (euh… Highlands aussi) & co, ou des symboles forts tel le tartan, et vous pouvez être certain que son producteur recevra presto un recommandé de la SWA. Il faut les comprendre : le scotch, protégé par une indication géographique (IG) enregistrée auprès de l’Europe, a bâti sa réputation sur des siècles de patient travail ; pourquoi laisserait-il aujourd’hui de joyeux lurons (ou de fieffés truands) l’usurper avec des noms évocateurs… et trompeurs pour le consommateur ?

 

Prière d’imaginer un cerf dans la brume

Ces mesures punitives sont “essentielles pour protéger la boisson nationale écossaise”, a réagi le directeur juridique de la SWA dans un communiqué :“Les tribunaux de nombreuses juridictions ont statué que des noms tels que Highland et Glen, ainsi que des images telles que des joueurs de cornemuse, sont si fortement associés à l’Écosse et au scotch que leur utilisation sur du whisky d’une autre origine est trompeuse.” Pour la cornemuse, il y a jurisprudence, comme nous le verrons. Il n’empêche : l’IG possède une dimension évocatrice, a statué la cour. Quand on entend le mot “glen” en Allemagne, interdit d’imaginer une petite vallée des environs de Stuttgart (où se trouve la distillerie incriminée). Nope, c’est un cerf dans la brume qui doit jaillir à votre esprit. Ou un verre de scotch.

Les plus anciens parmi vous (non, inutile de lever le doigt) se souviennent peut-être des retentissants procès qui opposèrent la même SWA à une petite distillerie canadienne : Glenora, basée dans la province de… Nouvelle-Ecosse, et produisant le single malt Glen Breton. Une cumularde. En 2009 cependant, la Cour Suprême du Canada donna raison à David contre Goliath, arguant que “Glen” dans le scotch n’était pas une marque en tant que telle, ni même un mot utilisé seul, mais tout juste un préfixe associé à quelques noms célèbres – Glenlivet, Glenmorangie, Glenfiddich, Glendronach, non, non, je ne vous les liste pas tous… Et Glen Breton salua la décision d’un pied-de-nez en se fendant d’une cuvée Battle of the Glen qui remettait le litige à sa place : dans la bouteille, le bouchon par dessus.

 

Ah le G de Rozelieures…

Au début de sa jeune carrière dans le whisky, la distillerie lorraine Rozelieures préféra quant à elle s’éviter une coûteuse procédure et obtempéra à l’amicale injonction de la SWA en laissant tomber son Glen – dont le G subsiste en clin d’œil dans le volcan stylisé du logo. En ce moment, une autre distillerie canadienne doit batailler ferme, avec un immense soutien populaire : Macaloney’s Caledonian. Peu importe que Macaloney soit le patronyme du fondateur (Graeme Macaloney, un émigré écossais), et que Caledonian fasse référence à la géographie de son pays d’accueil (la New Caledonia recouvrait autrefois une grande partie de l’actuelle Colombie britannique).

Pourquoi, vous demandez-vous sans doute, suis-je en train de vous assommer avec ses histoires lointaines alors que le French Whisky, fort avisé, a cessé de s’inspirer du scotch pour décoller ? Eh bien parce que se profilent à l’horizon, dans l’Hexagone cette fois, quelques échauffements qui pourraient virer vinaigre. Notre pays héberge nombre d’appellations liquides prestigieuses et d’AOC terriblement protectrices qui, face au succès du whisky français, sont en train de sortir les dagues (et les avocats).

C’est évidemment en Charente, où le cognac défend ses intérêts avec une ardeur qui n’a rien à envier au scotch, que les pressions s’exercent prioritairement, face à la poussée des distilleries de malt qui pourraient être tentées de profiter de la notoriété mondiale de la plus prestigieuse des eaux-de-vie. Mais les appellations de vin commencent également à s’agacer : la future distillerie Maison Lineti a dû s’expliquer devant les grands châteaux de Saint-Emilion, et on ne verra sans doute pas de sitôt la mention “whisky de Saint-Emilion” sur une étiquette. Les distilleries et embouteillages qui “empruntent” des noms de cépages ou de vins célèbres – parfois de bonne foi – sont dans le collimateur.

 

Un harcèlement très sélectif

L’amateur pourrait perdre de précieuses infos dans la guerre de tranchées qui s’annonce, et notamment en ce qui concerne les fûts utilisés pour la maturation du whisky. Les grands châteaux viticoles, à moins d’un accord avec le producteur de spiritueux, refusent désormais systématiquement que leur nom apparaisse sur les labels. Les AOC, en premiers lieu les plus illustres (cognac, champagne…), ont commencé à sévir également.

Reste qu’entre la défense d’intérêts légitimes et l’arbitraire, la frontière est parfois ténue. La SWA, après tout, mène sélectivement ses combats. Les whiskies indiens McDowell’s N°1 et Bagpiper (en français “joueur de cornemuse”, lequel orne l’étiquette dans son tartan qui plus est), dont les noms n’évoquent guère le Rajasthan ou le Tamil Nadu, bénéficient d’une paix royale. Les deux marques, il est vrai, appartiennent au n°1 mondial des spiritueux, Diageo. Mais ne soyons pas perfide. Contentons-nous d’attendre le jour où les juristes français voudront copyrighter certains termes comme “Cuvée” ou “Grand cru” évocateurs de l’art de vivre à la française, mais qu’affectionnent… les producteurs de scotch.

 

Par Christine Lambert

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