Ca n’aura échappé à personne ! Une fois le sapin réduit en compost, les guirlandes débranchées, les excès de la Saint Sylvestre digérés et les vœux présentés, 24% des français déclarent pratiquer le Dry January, renommé prosaïquement « Défi de janvier » de ce côté-ci de la Manche. Le phénomène est aujourd’hui loin d’isoler le consommateur dans son abstinence. De nouvelles marques de spiritueux et de nouveaux projets florissent chaque année, élargissant un peu plus le spectre d’une catégorie en devenir : les No Alcool. Une tendance particulièrement dynamique chez les bartenders, qui ont saisi au vol ce nouveau champ de création. Une fois n’est pas coutume, Whiskymag passe au crible le No Alcool. L’occasion de parcourir de nouvelles palettes organoleptiques et de rappeler que même sans alcool, le plaisir du partage et de la convivialité demeure intact.
Comme un retour vers le futur! C’est en parcourant le recueil de recettes « The art of Distillation », que Ben Branson, un jeune entrepreneur britannique, découvre la recette permettant de distiller des matières organiques sans alcool. Le procédé esquisse les techniques permettant d’extraire et de séparer les matières organiques grâce à la vapeur d’eau. Flairant la tendance, Diageo se joindra rapidement au projet avant de s’emparer de l’intégralité des parts peu de temps après. Nous sommes en 2019, la catégorie des No/Low alcool en est à ses balbutiements.
Depuis son lancement, Seedlip propose 3 recettes aux marqueurs organoleptiques forts: le végétal, l’agrume et l’épice. Pour obtenir le résultat, les ingrédients sont macérés dans un mélange à base d’eau et d’un petite quantité d’alcool. Une double distillation spécifique permet d’éliminer les éléments indésirables de la macération. Ces distillats sont ensuite assemblés, filtrés puis embouteillés.
Gamme Seedlip
En cocktail, cela donne par exemple le Grove Mule (60 ml de Seedlip Grove 42, 100 ml de Ginger Beer, 10 ml de jus de citron vert frais), un exemple de recette fraîche et forcément bienfaisante.
Cœur de vapeur
Autre déclinaison se rapprochant ici davantage du gin, du rhum et du mezcal, Fluéré. La vapeur est ici au cœur du procédé permettant de libérer au maximum les essences de chaque ingrédient. Le sourcing des matières premières: coriandre de Casablanca, mélasse de canne à sucre de République dominicaine, baies de genièvre des montagnes de l’Himalaya, lavande de Provence et citron de Méditerranée prend alors une importance capitale.
La version Spiced Cande Dark Roasted éveillera la curiosité des amateurs de rhum, allongée d’un Fever Tree Ginger Ale et d’un trait de citron vert. La recette jouera un substitut du Dark & Stormy, tandis que la version originale (gin sans alcool), s’allongera aisément en tonic.
D’une nuance genièvre à l’autre, Atopia, le « spiritueux sans alcool » présenté par William Grant’s en France depuis plusieurs mois. Les propriétaires de Glenfiddich et de The Balvenie ont fait appel à Lesley Gracie, créatrice par ailleurs, du gin Hendrick’s. La recette met en exergue l’agrume et les épices douces. Une adéquation qui prend de l’ampleur en version cocktail. En Gimlet, Atopia s’accompagne d’un cordial et en version Paloma, il se déguste avec du sirop d’agave et un trait d’eau gazeuse.
Atopia
Si l’approche du cocktail est simple, elle permet à tout un chacun de revisiter les classiques. Le gin tonic apparaît comme LE cocktail standard universel dans l’univers du No Alcool.
La baie de genévrier, star du No, mais pas que. Pour la recette de Ceder’s le rooibos et le buchu d’Afrique du Sud ouvrent de nouveaux horizons gustatifs. Simon de Beauregard, le Directeur de la marque chez Pernod Ricard (propriétaire depuis 2020), souhaite que les consommateurs découvrent Ceder’s « pour ce qu’il est et pas pour ce qu’il n’est pas, qu’ils aient le même plaisir à le boire qu’à déguster un gin premium. » On parle bien ici d’une boisson distillée sans alcool aux saveurs de gin. A découvrir en version Crisp, plus douce que la version Wild, quelque peu épicée.
Toujours en France, la jeune pousse normande JNPR , a elle aussi opté pour une recette proche du gin. La recette navigue entre les baies, (genévrier, coriandre, cardamome) la pomme et l’épice, (piment de Jamaïque, cannelle, gingembre, cubèbe, quassia amarra, angélique semence).
Idéal pour refaire sa gamme de Fever Tree avec par exemple le JNPR Mule (Fever Tree Ginger Ale) : l’occasion d’éclairer avec délice et sans effusion les ciels chargés de janvier.
JNPR X Fever Tree
Et si les recettes paraissent compliquées à réaliser chez soi, quelques unes des plus belles adresses de la scène cocktail hexagonale se prêtent au jeu du sans alcool.
Parmi elles, Hyacinthe Lescouët et son équipe proposent, au Cambridge Public House (Paris 3), le Straight Edge : celeri & aneth, Verjus, Seedlip Garden 108. » L’idée est de créer un cocktail rafraîchissant et délicat sur les saveurs du jardin. On l’a travaillé de manière à ce que le cocktail reprenne les codes du Gimlet, et en extrayant un maximum de saveur du céleri grâce à une macération longue dans le sucre », précise Hyacinthe.
Macération et infusion également au menu de L’Artchimiste (Lyon 6) où Gabriel Desvallées compose un Dumbo donne des ailes : un cocktail sans alcool clarifié à base de lait entier infusé au beurre de cacahuète, jus d’ananas, oleo saccharum de peau de banane, citron jaune et solution saline. « On adore le côté « nutty » dans certains cocktails et la combinaison avec la banane marche à merveille.
Enfin, chez Madame Pang à Bordeaux, le Bōluó mérite toute notre attention. La recette à elle seule est une invitation : 4cl de thé vert au lotus , 1,5cl de Gimber, 2cl de sirop d’ananas poêlé au beurre, miel et poivre Sarawa et enfin, jus de citron et blanc d’œuf, le tout passé au shaker. Eureka!! Comment rassembler sophistication, dépaysement et sobriété en une seule et même recette ? Il semble qu’Anthony Guitard et toute l’équipe de Madame Pang aient trouvé la formule.
Par Nicolas LE BRUN
