Dans le foisonnant et éclectique paysage du malt français, les single malts nés dans les Charentes impriment une unité de style inédite. Une exception régionale qui s’explique par des outils et des méthodes de production homogènes. Mais qui donne parfois l’impression que les single malts s’envoient en l’air avec les cognacs façon Game of Thrones. On développe ? Allez.
L’entrée en force, depuis trois ou quatre ans, des distilleries de Cognac dans le foisonnant paysage du whisky français (lire ici) est en train d’en modifier profondément la carte. Je n’en démords pas : c’est en Charente que se joue en grande partie l’avenir proche de la catégorie, ne serait-ce que par les capacités de production hors normes et les talents déployées dans la région. Mais cette irruption massive risque de modifier – provisoirement ou durablement ? – la perception du goût des single malts.
Car au sein du whisky français, qui rassemble des profils très éclectiques, les Cognaçais ont imposé une unité de style très identifiable. Rien de commun entre Eddu ou Armorik, Rozelieures ou Ninkasi, les Hautes-Glaces ou TOS, Glann Ar Mor ou Castan, BOWS ou la Distillerie du Vercors, et la liste pourrait s’allonger ad lib.
Mais goûtez les Charentais Merlet (Coperies), Fontagard, Boinaud (Hériose), Tessendier (Arlett), Saint-Palais (le single malt Alfred Giraud, pas les blended malts) ou Vinet-Delpech (Palisson), et vous peinerez parfois à les distinguer. Au risque de chagriner quelques amis dans la région – et permettez-moi de généraliser honteusement –, les eaux-de-vie se ressemblent pour beaucoup. Avec les mêmes points forts : tout est bien troussé et sans défauts (pour mémoire, il y a encore quelques années, un whisky français sur deux vous déclenchait des quintes de toux), rond, fruité, un toucher lisse, facile à siffler, charmeur.
Pas une crête qui émerge du poulailler
Trop facile à siffler. Trop charmeur. Trop sage. On cherche en vain la tension caractéristique du whisky, la vibration qui vous incite à faire rouler chaque gorgée en bouche en la lâchant à regret. Le poids. Les imperceptibles aspérités, autant de haltes sur le chemin du plaisir différé. Et on se gratte la tête pour les différencier, tant les profils sont similaires.
Les explications abondent. Beaucoup sourcent leur bière à distiller auprès des mêmes fournisseurs, pour partie ou en totalité, et l’on sait combien l’étape de fermentation, celle où se crée l’aromatique, est cruciale. Parmi ceux qui brassent, tous n’ont pas encore assimilé à la perfection cet artisanat, la seule corde qui manque à l’arc des Cognaçais tombés dans le whisky (petit rappel : pour fabriquer du cognac, on élabore d’abord un vin qui sera distillé, alors qu’il faut d’abord brasser une bière sans houblon pour cracher un whisky).
Tous distillent dans les mêmes petits alambics charentais imposés par l’AOC cognac. Et tous appliquent les méthodes d’élevage cognaçaises qui font la renommée du Sud-Ouest depuis des siècles : entonnage à degré assez faible, réduction lente sur des années, coupes et réenfutages multiples et réguliers – « coupe » s’entend ici au sens d’assemblage.
Un Fast & Furious joué par la Comédie Française
Avec des outils et des méthodes de production aussi homogènes, on comprend qu’il soit difficile de voir émerger une crête du poulailler. Mais ces profils très consensuels ? « Les producteurs de whisky cognaçais, on a l’impression qu’ils ont tourné un Fast & Furious avec des acteurs de la Comédie française », résume un acteur de l’industrie.
L’alambic charentais est plus adapté à la distillation du vin, avance l’un des acteurs cognaçais, fou de whisky et bien conscient du problème. Certains switchent d’ailleurs les chapiteaux des cuivres en fonction de la gnôle distillée. Mais Rozelieures ou les Hautes-Glaces produisent en charentais, et leurs eaux-de-vie développent cette tension nerveuse inexplicable qui fait qu’on aime le whisky. Bercloux également, seul régional de l’étape à échapper au tampon « mollasson de la rotule ».
Il faut adapter au whisky les degrés d’entonnage et la réduction lente, lâche un autre producteur Charentais : « A Cognac, c’est vrai, nous avons une “vision” de l’élevage, difficile de s’en défaire. D’ailleurs, on parle d’élevage plutôt que de vieillissement. Personnellement, je vais arrêter de brasser et d’oxygéner mes whiskies avant remise en fûts, et accélérer la réduction. Si on réduit trop lentement, sur une période trop longue, en perd en tension. »
Dans le collimateur également, les très complexes recettes de bois cherchant à habiller la jeunesse des stocks. Plusieurs maisons cognaçaises perpétuent la tradition des assemblages réentonnés dans d’autres types de fûts, puis de nouveau blendés, parfois partiellement, souvent à plusieurs reprises dans le temps. Quitte à vous patiner le tout d’un petit finish. Plus d’une demi-douzaine de type de fûts peuvent ainsi être convoqués dans le chai pour élever un single malt (14, me confiait un producteur pour l’un de ses single malts). A faire crever de jalousie la solera de Zacapa !
Toutes ces superpositions et ces fondus aromatiques, logiquement dominés par les anciens fûts de cognac, « lissent » le whisky à la manière du cognac, pas la plus punk des eaux-de-vie. Cette homogénéité soyeuse dessine un style général, à la manière de l’idée qu’on se fait des single malts du Speyside.
Alors, la question à 1.000 roupies à présent : ce style va-t-il sculpter les goûts des nouveaux amateurs venus au malt par le « whiskac », le whisky de Cognac ? Ou va-t-il évoluer rapidement, se coller un chouïa les doigts dans la prise ? Doigts croisés pour la 2e option. Ouais, ça va pas être simple pour écrire.
Merci Christine Lambert ! bonne et belle question pour mes voisins ? c’est d’ailleurs pour cela que Maison Villevert s’engage massivement en Bretagne !
A propos « Glann Ar Mor » est un produit, pas un distillerie et est produit comme Kornog par Celtic Whisky Distillerie (celticwhiskydistillerie.com).
Les liens hypertexte sont tout autant disponibles que pour le whisky fait à Saint Palais de Négrignac…
Au plaisir !
Jean Sébastien Robicquet