Mi-juillet, on m’annonce sans précaution que le Whisky Live Paris est annulé. Pour cause d’épidémie, oui, pas parce que la Grande Halle de la Villette avait fondu sous la canicule. Total désarroi pendant un mois. Jusqu’à ce que Whisky Magazine me commande plusieurs papiers sur les dégustations des nouveautés de la rentrée, celles qu’on aurait dû goûter précisément fin septembre si les pangolins s’étaient roulés en boule. Et figurez-vous qu’il y en avait beaucoup, des nouveautés. Beaucoup. Très beaucoup.
– Voilà la liste des sorties, dis-nous ce qui t’intéresse, on t’envoie les fioles. C’est toi qui choisis. Tu goûtes, tu écris, en imaginant des parcours de dégustation.
– Ça laisse très peu de temps, je…
– Parfait, on t’envoie les fioles.
Quelques jours plus tard, un carton d’échantillons a fini par se poser sur mon plancher. Moins volumineux que prévu : les embouteilleurs indépendants n’avaient pas livré, les Japonais étaient à la bourre, des problèmes de logistique ici ou là en raison de la situation sanitaire, les usual suspects qui confondent septembre et novembre… Mais n’empêche. J’ai organisé mon Whisky Live perso, sans lancer d’invitation. Whisky Live Ménilmontant 2020, ça crache, non ? Vous pouvez la lire en détail dans une édition spéciale de Whisky Magazine en version numérique (le lien ici, les explications en fin d’article*). Pour l’heure, place au débriefing post-Festival.
7 sherry bombs à dégoupiller en toute confiance
Quelques années déjà que les whiskies élevés en fûts de xérès font un retour fracassant. Et cette rentrée ne déroge pas à ce principe gagnant. Mes préférés, dans le désordre Glenlivet 2007 13 ans embouteillé brut de coffrage par Signatory Vintage. Ce qui aurait dû être le whisky officiel du WLP. Exotique, salin, tout en tension. Comme bien d’autres distilleries stars, Glenlivet se fait plus rare qu’un cheveu sur le crâne d’un œuf chauve chez les embouteilleurs indépendants. Mais il semblerait que les craintes liées à l’épidémie de coronavirus aient desserré l’étau – il faut au moins qu’un bienfait sorte de cette crise.
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Le traditionnel Aberlour embouteillé cask strength par LMDW – il a cette année 18 ans (millésime 2002, 62,4%). Vieilli en hogshead de xérès oloroso de premier remplissage, c’est une gourmandise intensément chocolatée, brûlante, capiteuse, où l’orange, le raisin sec, la confiture de mûre s’accrochent à une toile florale.
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Balblair 2006 14 ans (56,3%). Très malté, riche, confituré, balsamique, interminable en bouche. Mmmmm.
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Benromach 9 ans 2011 (61,2%). Salin, enveloppé de tourbe et de baume au camphre, fruité, pressé par les agrumes. Quelle palette !
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Edradour 10 ans 2010 (46%), tuerie balsamique, chocolatée, qui danse sur l’acidité. Sans faire de bruit, Edradour est en train de devenir un must de la sherry bomb bien travaillée, et je réalise depuis deux ou trois ans que je suis en train de retourner totalement ma veste sur la petite distillerie de Pitlochry.
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Redbreast 17 ans 2001 All Sherry (59,5%), puzzle aromatique fondant, qui se déshabille au fil des heures. Une blinde, mais les vieux Irlandais sont des plaisirs rares.
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Daftmill 11 ans 2009 (60,6%) âgé en first fill oloroso, très végétal sous les marqueurs du xérès, adouci d’abricot séché, de fève tonka, de réglisse, avant un kick poivré. Un Lowland très fin.
4 infos cruciales sur le whisky français
Ce WLP 2020, s’il s’était tenu, aurait démontré avec un éclat définitif à quel point le whisky français s’est installé durablement dans le paysage du malt mondial. Et vous auriez…
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Vous auriez été goûter les 5 single casks de whisky inaugurant Version Française, la gamme de négoce de LMDW exclusivement dédiée aux spiritueux made in chez nous. Et vous auriez préempté le Glann Ar Mor 2007 : on le laisse s’aérer pour que le boisé très présent lui desserre le kiki, avant d’apprécier son nez pâtissier (marzipan, noix de coco, crème à la vanille) avivé d’agrumes, sa bouche un poil plus concentrée, confiturée, sur les zestes confits, sa finale saline, boisée, caressée de pâte d’amande.
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Vous auriez été reluquer le nouveau look d’Eddu au stand de La Distillerie des Menhirs, plus étendu qu’à l’habitude. Et en auriez profité pour laper la nouvelle Cuvée Fût de Bourgogne embouteillée à 54% et vieillie d’abord cinq ans en fûts de chêne français du Limousin avant un repos de dix-huit mois en tonneaux de Clos-Vougeot. Vieux pruneaux, liqueur de pêche, fraises au chocolat, fèves de cacao viennent laquer le sarrasin et enrichir cette riche gourmandise un poil vineuse qui nappe le palais avec générosité.
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Juste à côté, Warenghem lançait Jobic, le premier embouteillage de sa nouvelle gamme tourbée, Yeun Elez. Et vous auriez apprécié sa texture grassouillette, sa fraîcheur et sa douceur, où la fumée enveloppe délicatement le malt, soulève le fruit à peine chocolaté, sans s’imposer mais en tapissant le palais durablement. Vous auriez ensuite fondu sur l’Armorik 2014 single cask Porto Finish (53%) et ses arômes de fruits cuits finement boisé, adouci de miel et chatouillé d’agrumes, son onctuosité gourmande enrichie de chocolat régalera les gourmands.
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On reste dans le négoce et à LMDW, qui fête les 10 ans de sa gamme Artist avec une collection Artist International, featuring 7 whiskies du monde de 10 ans minimum. Bon, en fait l’anniversaire tombe en 2021, mais on a tous hâte que 2020 nous lâche la grappe. Cap sur un Kornog 2006 Over 10 Years (59,5%) élevé en fût de bourbon (123 exemplaires seulement). Un tantinet austère – dans le bon sens du terme. Au passage, il s’agit d’une occasion unique de mettre la main sur un Kornog à l’ancienne, la distillerie française Glann Ar Mor qui le produit venant de changer de mains.
Plus de fun dans le whisky
Cette année plus que jamais, on a besoin de se détendre, de se marrer, de remettre du plaisir dans la dégustation sans rien lâcher sur le sérieux des liquides. Une marque l’a compris avant tout le monde. That-Boutique-y Whisky Company, la marque de négoce d’Atom Brands, célèbre pour ses étiquettes cartoonesques, présente une World Series de haute tenue. Mention tip-top au superbe Armorik 7 ans (50%) mûri en fût de chêne breton, gras, tendu comme une arbalète, aux épices explosifs. (Au passage, que des négociants aussi sélectifs que LMDW ou TBWC misent aujourd’hui sur le whisky français prouve à quel point la catégorie, au-delà du simple buzz, tient désormais ses promesses.)
Venez goûter le terroir
Poussons jusqu’à l’Irlande. Pas là où la foule se presse le plus d’ordinaire au WLP, mais cette année, Mark Reynier a renversé la table (en cassant les verres et quelques pieds) pour coller l’île Verte au centre de la mappemonde avec ses embouteillages « terroir » de Waterford Les deux premiers releases, sortis en juin, sont déjà quasiment introuvables en France. La suite vient d’arriver. Avec d’abord deux « single farms » d’à peine 4 ans, mais qui relèguent très loin la question de l’âge derrière l’expression de leur matière première : Sheestown 1.1, gras, chocolaté, onctueux sous le toffee mais tenu en laisse par une trame herbacée, de foin coupé, et Ballymorgan 1.2, chocolaté lui aussi, gorgé de malt sucré, à la finale très épicée. Waterford présente également sa première cuvée « Organic », Gaia 1.1, élaborée avec l’orge cultivée en bio par six fermes. Son profil végétal, où les fleurs sauvages enlacent l’orge tendre sur une pointe de cacao se révèle avec bien plus de subtilité que les précédents, une finesse incomparable.
Lâchez la fumée ! 8 tourbés à embrasser avec la langue
Pendant que vous jouez des coudes autour du stand Bruichladdich (je vous connais), je vais profiter du calme pour dresser ma liste des « peaty pets » à caresser dans le sens du poil, ceux qui m’ont agréablement enfumée. Dans le désordre :
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This is Not a Whisky Festival, un blend clin d’œil de Compass Box. Une édition limitée appelée à devenir hautement collector, onctueuse en bouche, tourbée, herbacée mais gourmande, pose les poires vanillées sur les notes de fumée, de baume du Tigre, de bois exotique.
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Green Isle (Character of Islay), un blended scotch à déboucher entre amis sur la plage, comme un pull qui vous tient chaud dans les embruns du début d’automne. Gras, un peu terreux, réconfortant sous son fruit vanillé malté.
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The Legend of Fiona MacLeod 33 ans (Character of Islay également) a la grâce exotique et florale des vieux Caol Ila, le raffinement collé à l’étiquette.
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Ardbeg Wee Beastie 5 ans, dont j’ai déjà eu l’occasion de vous dire sur tous les tons tout le bien que j’en pensais. Après quelques mois d’exclu dans les bars, il arrive chez les cavistes.
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Johnnie Walker Blue Label Legendary 8. En mode fumée subtile, cette édition limitée 200e anniversaire convoque huit distilleries pionnières, dont certaines aujourd’hui disparues – Oban, Blair Athol, Lagavulin, Teaninich, Brora, Cambus, Port Dundas et Carsebridge. Et… Mon dieu, Jim Beveridge sait faire des blends ! Précieux, complexe et profond, avec ses notes de bois exotique, de petits fruits séchés, de poudre de cacao nimbées d’une lointaine fumée. Sublime, contemplatif.
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Caol Ila 8 ans 2012 Sherry Butt Finish (58,9%), Collection Plume de LMDW. Les notes animales étreignent les impressions maritimes dans un corps à corps d’une finesse très juste.
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Stauning Peat. La distillerie danoise commence à poser ses marques. Ce bel exercice de distillation très épuré, céréalier sous la tourbe, engourmandé (plaît-il ? J’invente des verbes si je veux) d’une pointe de chocolat, avant une finale saline, très fumée, sur le chocolat blanc, interminable s’impose comme une évidence. Mais si vous cherchez la complexité, allez voir ailleurs.
Pas pu goûter la Wills Family Cask Collection chez Kilchoman, mais j’imagine que vous vous êtes jetés dessus. Et sinon, la 11e série d’Octomore se montre un peu timide. Une fois n’est pas coutume, j’ai préféré la version .1, plus céréalière, à la .3, très herbacée.
5 quilles exotiques à glisser dans son bar
Pas plus de 6 dans les réunions, pigé ? Alors ouvrons d’abord une parenthèse pour signaler, dans la gamme Artist International de LMDW, deux raretés nipponnes : un Karuizawa 1999 (18 ans) et le premier 10 ans de Chichibu, un événement puisque le Ten officiel arrive en fin d’année seulement. Fermons la parenthèse – et votre chéquier.
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Amrut single cask 6 ans 2014 vieilli en fût de Caroni. Bonne surprise : le malt indien tient tête aux notes pétrolifères, porté par un haut voltage (60%) posé sur une texture très onctueuse, épaisse, miellée, et on n’en veut même pas au rhum de Trinidad de venir se pousser du col en finale.
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Kavalan Peated Malt, premier « vrai » tourbé de la distillerie taïwanaise (les précédents single malts étaient simplement vieillis en fûts de whisky tourbé). Délicieusement animal, au cuir épais, au bois précieux, aux notes exotique, il laisse la tourbe monter traitreusement en puissance. A noter : la sortie du 2e Distillery Select. Une vraie réussite que cet assemblage abordable dans tous les sens du terme. Pêches, pommes, poires chatouillées de fruits tropicaux finement recadrés de chêne toasté se bousculent en bouche, très expressifs sous un nez plus discret.
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Stauning Kaos, un single malt danois dont la fumée légère se mêle aux notes d’encens dans une grande fraîcheur. Pas mal du tout.
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Sullivan Cove 2008 Over 10 Years (67,3%), un single cask très floral, sur la confiture de myrtilles-mûres et la réglisse : les expressions un peu âgées de la distillerie australienne sont plus rares que l’herbe verte après le passage des incendies.
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Nikka Taketsuru Pure Malt 17, 21 et 25 ans. A côté d’un nouveau batch du Takesturu NAS très réussi, les derniers exemplaires d’une trilogie de rêve vont se serrer dans un coffret édité à 100 exemplaires, pour marque le 100e anniversaire de mariage d’un couple mythique, celui du mariage du fondateur de Nikka, Massataka Taketsuru, avec Rita Conwan. Et en regoûtant avec bonheur les deux premiers, c’est toute une époque, si proche et pourtant disparue, qui est remontée. Un temps où ces bouteilles étaient accessibles, et où l’on prenait pour acquis ce moment de partage dont on ignorait la fragilité et la préciosité.
Au fond, c’est ce qui m’a le plus manqué en cette fin septembre sans Whisky Live : le partage. L’échange. Vos retours quand je vous croise dans les allées sous la Grande Halle, les retrouvailles avec les têtes bien connues derrière les stands, les nouvelles rencontres. Tout ce qui fait que le whisky est un plaisir moins solitaire qu’on ne le croit, et plus solidaire qu’on ne le dit. Rendez-vous l’année prochaine, même date, même endroit ? On pourra bitcher sur 2020.
Par Christine Lambert
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* Whisky Magazine se réinvente. Vous pourrez à l’avenir retrouver deux éditions imprimées sur papier (ou disponibles en numérique si vous le préférez), en septembre et en avril, ainsi qu’une édition exclusivement numérique en janvier. Rendez-vous dans la nouvelle e-shop : https://eshop.whiskymag.fr/detail/publication/348.
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