Les amateurs ont la larme à l’œil et les papilles en berne : Bruno Mangin en a fini avec le whisky. La distillerie adossée à sa brasserie Rouget de Lisle, dans le Jura, a discrètement démantelé et revendu son alambic, envoyant le générique de fin sur l’une des plus belles histoires du whisky français. Son emblématique créateur s’en explique en exclusivité pour Whisky Magazine.
Mais pourquoi ? POURQUOI ?
L’heure était venue de raccrocher. J’ai commencé à travailler à l’âge de 16 ans, il est temps de prendre ma retraite. J’avais déjà ralenti le rythme depuis 2021, suite à de sérieux problèmes de santé. Et puis, mes enfants ne veulent pas reprendre derrière moi, alors… autant vendre. Cela se fait en 2 étapes : d’abord la distillerie, puis dans deux ou trois ans, je lâcherai la brasserie.
Beaucoup de gens (dont moi) croyaient que ta distillerie appartenait au moins en partie au distributeur Diva…
Non, pas du tout. Nous étions en affaires, puisque j’embouteillais les rhums de la Compagnie des Indes pour eux. Et ils ont voulu racheter, c’est vrai, mais n’ont finalement pas obtenu le financement (1).
Tu avais commencé à distiller quand ?
Régulièrement ? En 2003.
L’alambic et le stock sont partis ?
Honoré [un important fabricant et revendeur d’alambics, nda] a repris l’alambic, et une partie du stock a déjà trouvé preneurs. Mais il reste encore 1.500 fûts de single malt en chai, aux deux tiers des tonneaux de vins du Jura de superbe qualité, vidés chez le vigneron et remplis le jour-même pour la grande majorité.
Avis aux amateurs ! Pas de regrets de voir partir ta belle colonne armagnacaise ?
Aucun. J’ai vécu de belles années dans le whisky, je me suis bien éclaté à faire des essais de tonneaux, de céréales – malt, seigle, blé, maïs… –, j’ai rencontré plein de gens. Je pars avec de beaux souvenirs.
La marque BM Signature, sous laquelle tu embouteillais tes whiskies, disparaît ?
J’aimerais bien que ceux qui rachètent le stock la reprennent pour la faire vivre. C’est une marque qui a une vraie identité.
Comment résumerais-tu 20 ans d’évolution du whisky français ?
Je ressens dans le whisky ce que j’ai vécu dans la bière depuis plus de trente ans avec Rouget de Lisle : au début, dans les années 90, on se connaissait tous, on était copains, il y avait une grosse ambiance dans le milieu, c’était la fiesta permanente ! Dans les années 2000, on a vu arriver beaucoup de nouveaux entrants. Et aujourd’hui, beaucoup de brasseurs historiques ont raccroché, ont pris leur retraite, on ne se connaît plus. C’est la même chose dans le whisky : on connaît de moins en moins les gens, beaucoup arrivent pour faire des affaires… Mais c’est le cycle de la vie.
Malgré la conjoncture morose, tu crois toujours en l’avenir du whisky français ?
Oh oui ! Ça bouge bien, plein de petites brasseries se sont mises au whisky. Les gens vont consommer de plus en plus français, j’en suis persuadé, et l’export commence à prendre. Je suis très optimiste pour la suite.
Il y aura de la place pour tout le monde ? Regarde dans la bière, c’est l’hécatombe en ce moment…
Dans la bière, il y a environ 2.500 brasseurs dont un sacré paquet font la même bière ! Il y a de la place pour les gens qui font bien, et qui font différent. Pour ceux qui imposent une vraie signature, qu’on reconnaît à l’aveugle – et je pense que c’était le cas de mes whiskies. C’est également important de se différencier du scotch. Je rentre d’Ecosse, j’ai dû goûter quelque 200 whiskies : c’était bien, mais je n’étais pas jaloux. A aucun moment je ne me suis dit : « C’est ça que j’aurais dû faire. » Alors qu’il y a encore quinze, vingt ans, les vieux écossais et les vieux japonais que l’on goûtait étaient merveilleux.
On va continuer à te croiser ?
Oui, dans les salons, mais en tant que visiteur !
(1) Edité le 21 février 2023 : Florent Beuchet, propriétaire associé de Diva Domaines et Distilleries, nous précise que ce n’est pas Diva mais la structure Le Cartel de la Chouette, dans laquelle il est associé, qui a été en pourparlers avec Bruno Mangin.
- Photo ©LMDW/Darmesh Varane, un talentueux photographe qui illustre le beau livre de Matthieu Acar Une brève mais intense histoire du whisky français (Flammarion).
« Les gens vont consommer de plus en plus français, j’en suis persuadé, et l’export commence à prendre. Je suis très optimiste pour la suite ».