Le salon des spiritueux français investit pour la 5e fois le pavillon Ledoyen, près des Champs-Elysées. Une vitrine un poil empesée qui dit mal l’extraordinaire diversité de la programmation. Et si vous n’y avez jamais mis les pieds, il va falloir qu’on se cause.
Les meilleures choses se méritent par un effort proportionnel, dit-on souvent. De même que les plus belles rencontres se font quand on garde l’esprit ouvert, et que les chemins secrets se découvrent quand on accepte de se laisser guider par le hasard. Du calme ! Non, je ne viens pas de me goinfrer “Le Développement personnel pour les Nul·les” en scrollant l’appli Petit Bambou – ce que vous pouvez être caustiques. J’essaie simplement de vous inciter à aller faire un tour à France Quintessence, 5emillésime, les 15 (journée publique) et 16 (journée pro) septembre.
France Quintessence, le salon dédié aux spiritueux français, n’a rien du rendez-vous obligé dont on sauvegarde les dates d’une année sur l’autre dans son téléphone. Du tout. C’est un détour qui se tente, une envie de “pourquoi pas”, une soif de connaissance à assouvir. Un acte qu’on pose. “Il ne suffit pas d’être dans la posture de l’épicurieux, du gourmet, pour venir,insiste Philippe Jugé, l’un des deux coorganisateurs. On s’adresse à tous les gens qui chaque jour font l’effort de dénicher des produits vrais et bons, à ceux qui vont au marché, qui ont une démarche militante du goût.” Pas à ceux qui guettent la prochaine tendance pour attraper une quille sur l’étagère du caviste.
“Il faut faire preuve d’une certaine ouverture d’esprit, renchérit Franck Poncelet, l’autre moitié du duo. On vient à France Quintessence pour découvrir, pour apprendre, pour être au plus près des producteurs. Pas pour tendre son verre sans un mot à un brand ambassadeur, mais pour discuter avec le mec qui a fabriqué ce qu’il vient faire déguster.”
D’Armorik à la Gauloise sans lire Astérix
Et, là, soudain, dans les salons en enfilade, entre les colonnes à dorures et la statuaire XIXe, se déroule à portée de verre tulipe un tour de France des liqueurs et spiritueux où l’on passe en trois pas étouffés par l’épaisse moquette d’une région à une autre, d’un savoir-faire à un autre, d’une vieille distillerie historique à une jeune marque azimutée, du gin au whisky, du cognac à l’absinthe, du ratafia au pastaga, d’Armorik à la Gauloise sans lire Astérix. Vous venez de franchir la porte du Pavillon Ledoyen et vous voici pourtant au palais de la découverte. “Le public doit être prêt à s’ouvrir à des choses qui ne sont pas mainstream”, résume Franck Poncelet.
Alors, qu’est-ce qu’on goûte, me rétorquerez-vous, avec ce sens des priorités que j’admire chez les amateurs de gnôle. Deux catégories de produits ont le vent dans les voiles, cette année : le gin (dont je vous ai expliqué ici comment le fabriquer vous-même) et le rhum arrangé (dont je vous ai expliqué ici comment le fabriquer vous-même).
Pas loin de 30 gins à découvrir, parmi lesquels le Malouin’s (de Saint-Malo), le Yu Gin (au yuzu) de Spiritique, le Gin du Mont-Blanc, le bio des Grands Domaines (en single estate, par la maison cognaçaise Abécassis)… Bref, je ne vous fais pas le catalogue du genièvre : ça pousse sur tous les stands. “Et ce n’est pas fini, car avec le réchauffement climatique on va en boire, du Gin-To !” (Philippe Jugé, césar du meilleur dialogue). Près de 10 rhums arrangés chez Isautier, Les Rhums de Ced’, Arawak, Métiss… “Ça cartonne, les gens pensent que c’est healthy parce qu’il y a des fruits”(et de deux !).
Encouragement à la divagation
Et sinon ? Du whisky, m’enfin ! Les Alsaciens de Miclo font goûter leur trilogie Welch’s, et c’est magnifique (la texture, nom de Zeus !), ainsi que leur Cherry Cask (fût de cerises à l’eau-de-vie, voilà pour le pas mainstream). La Distillerie du Vercors révèle son quasi whisky Séquoia (il aura 3 ans pour sa sortie officielle en fin d’année). Le Breton Naguelann vient avec Ed Unan (“blé seulement” en langue du chapeau rond), le premier whisky distillé par ses soins (il aura 3 ans en novembre mais on ne va pas chipotailler).
Hautefeuille apporte également son premier whisky maison : La Réserve du Loup hardi n°2 (il y en a qui brainstorment méchamment sur les noms), vieilli en fûts de condrieu. Ergaster dégaine son premier tourbé (bio), l’affineur Roborel de Climens présente 3 finishes en fûts de vin monocépage, la nouvelle marque Amatheon (chez Spiritique) fait bonne impression, et la nouvelle “griffe de luxe” Alfred Giraud (des Cognaçais) a pris un stand. Chez les anciens, les Hautes-Glaces dévoilent Obscurus (un single cask), les Menhirs font goûter leur 15 ans millésime 2004 (sous vos applaudissements).
Sauf que. Vous savez ce que c’est. Vous venez à Quintessence pour les whiskies français, et sans prévenir, vous vous retrouvez à goûter le Rhum de Mélasse (y en a qui ne se pochent pas la rate au court-bouillon pour les noms) de Bercloux. Ou la sublime absinthe de Bows. Le Pink Pastaga de Straw Bale (un pastis qui n’est pas rose – don’t ask), la bombe aromatique du Château des Creissauds (le pastis de Ferroni).
Le divin pineau monocépage (merlot blanc) La Vigne de mon grand-père, du Domaine du Chêne. Les gnôles de Grosperrin (des cognacs à tomber dans les vapes, apportez les sels). Les millésimes rares des cognacs Tesseron (1929, 1953, 1976… me souffle-t-on dans l’oreillette) ou Delamain (un 1979 énorme paraît-il). Le vermouth d’érable de la Distillerie de Paris et celui au génépi de Lachanenche : pas-mainstream-on-a-dit.
Et avant de replier les gaules, méditez cette certitude : France Quintessence est une invitation au lâcher-prise, un éloge de l’errance gustative, une carte de France où tous les itinéraires mènent où on n’avait pas prévu d’aller. Sans aucun doute le seul salon où les passionnés de spiritueux n’auront pas goûté les trois quarts des produits avant même de se pointer. Rien que pour cela, on se retrouve là-bas ?
Par Christine Lambert
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Crédits Photos : Eric Perez