Après la liste des whiskies (ici) et des autres spiritueux (là), voici à la demande générale de trois personnes mes coups de cœur personnels pour l’année 2020. Livrés dans le désordre. Et sélectionnés sur deux critères : leur disponibilité en cette veille de fêtes car je tenais à partager (ce qui me prive d’une belle brochette d’éditions limitées whisky sorties à la rentrée – vous les trouverez dans les papiers “parcours de dégustation” sur ce site – et de quelques rhums spéculatifs devenus plus introuvables que les carnets d’un ancien président). Et le nombre de cœurs et “wahou” griffonnés sur mes notes de dégustation. Un choix d’autant plus subjectif que je n’ai évidemment pas goûté toute la production sortie l’année du pangolin.
1 – Delamain Pléiade Révélation Maleville
Cognac, Grande Champagne, 70 cl, 45%, 170€ (fût n° 709-03).
Une beauté, toute en précision, d’une pureté absolue. Son nez sculpté par les fleurs, les feuilles de figuier et le bois exotique laissent un fruité très fin se faufiler à l’aération. Sa bouche, charnue, retrouve l’olfaction en écho, réveillée par les grains de poivre. Un rancio fruité élégiaque se pose sur le bois précieux, dans une poésie qui s’étire interminablement sur une finale presque saline, ranciotée, nimbée d’un soupçon de cacao. Ce grande champagne hors d’âge issu d’un seul vignoble (Malaville), d’un fût unique, ni édulcoré ni coloré, a tout d’une Révélation : oui, le Père Noël existe. Il vit quelque part vers Cognac et non en Laponie – tentez de ne pas trop ébruiter ce scoop, j’espère d’autres miracles.
2 – Ardbeg Wee Beastie 5 ans
Whisky écossais, single malt, 70 cl, 47,4%, 45€ environ.
J’ai déjà eu l’occasion de vous dire sur tous les tons (et tous les réseaux sociaux) le bien que je pensais de cette “petite bestiole” (wee beastie) vibrante sous sa tourbe enragée : on va donc pouvoir faire court. Voilà donc un Ardbeg très jeune, très herbacé, presque résineux au nez, où la tourbe furibarde balaie en force les notes de bacon rissolé, de pomme verte lâchée en faisant voler la cendre. N’hésitez pas à lui détendre la couenne d’un trait d’eau pour calmer les jappements. Pour le même prix (mais la moitié de son âge), un profil très différent du Ten iconique, et une autre facette de la distillerie culte.
3 – Bushmills 28 ans 1992 Cognac Cask
Whisky irlandais, single malt, 70 cl, 46,7%, 395 €.
Un vieux “Bush”, plaisir rare et précieux, assemblage de single malts vieillis en ex-fûts de bourbon et de xérès affinés ensuite sous fûts de cognac. Herbacé, floral, follement exotique, et de la poire, et des petits fruits rouges, et de la vanille douce, et… J’entends les anges jouer de la lyre dans les frôlements d’ailes. Sommes-nous au paradis ? Suis-je toujours en vie ? Et d’ailleurs, y a-t-il une vie après la vie ? Mais d’abord, y a-t-il une année après 2020 ? Who cares ?
4 – Le Livre des calvados, par Christian Drouin
Publié aux éditions Corlet, 188 p, 39,50 €.
L’ouvrage de l’année, sans hésitation aucune. J’en ai tout dit ici. Maintenant, il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour que je vous récite le livre page par page et ligne par ligne. Mais vous aurez du mal à nouer le Bolduc autour de mes paroles, alors autant l’acheter.
5 – Foursquare Détente
Rhum de la Barbade, 70 cl, 51%, environ 70 €.
Il ne faudra pas tarder pour mettre la main dessus, car Foursquare a ce don de mettre sur le marché de futurs collectors accessibles. Ce nouvel embouteillage distillé en colonne et à repasse a vieilli pour partie 10 ans en ex-fûts de bourbon et pour l’autre 4 ans en ex-bourbon puis 6 ans en fûts de porto. Cette double Détente lui façonne un profil gourmand, sur les fruits compotés riches et vanillés fondus sur la réglisse, les orangettes, le boisé discret, le toffee. Un diable qui ne passera pas l’année tant il se sirote traitreusement – essayez d’y aller doucement, vous ne remplacerez pas facilement la quille…
6 – Johnnie Walker Blue Label Legendary 8
Whisky écossais, blend, 70 cl, 43,8%, 349 €.
Le scotch qui a conquis le monde à grandes enjambées fêtait en 2020 (oh que j’aime parler de 2020 au passé) les 200 ans de l’épicerie qui l’a vu naître, avec plusieurs embouteillages hommages. On retiendra cette édition limitée du Blue Label, le Legendary Eight, qui convoque huit distilleries pionnières, dont certaines aujourd’hui disparues – Oban, Blair Athol, Lagavulin, Teaninich, Brora, Cambus, Port Dundas et Carsebridge. Et… Mon dieu, Jim Beveridge sait faire des blends ! Précieux, complexe et profond comme seuls peuvent l’être les vieux whiskies, avec ses notes de bois exotique, de petits fruits séchés, de poudre de cacao nimbées d’une lointaine fumée. Sublime, contemplatif.
7 – Edradour 10 ans 2010 (sherry butt)
Whisky écossais, single malt, 70 cl, 46%, 85 €.
Une petite merveille fondante et addictive, qui danse sur l’acidité. Balsamique en diable, chocolatée, enrichie de pruneaux séchés, rafraîchie de menthol, une pointe d’amertume le maintient sur le fil de la gourmandise en évitant par jeu de l’y pousser totalement. Sans faire de bruit, Edradour est en train de devenir un must de la sherry bomb bien travaillée, et je réalise depuis deux ou trois ans que je suis en train de retourner totalement ma veste sur la petite distillerie de Pitlochry, qui a quelque peu godillé avant d’affirmer son style sous la bienveillance de Signatory Vintage.
8 – Balblair 14 ans 2006
Whisky écossais, single malt, 70 cl, 56,3%, 179 €.
Un nez malté, confituré, gorgé de fruits séchés effleurés de réglisse et de tabac à pipe. Une bouche sublime, balsamique, sur le fruit noir à peine cacaoté. Un plaisir interminable en bouche, d’une complexité abyssale, tout en puissance retenue sous le velours. Bon, c’est pas donné-donné, mais ce single cask pur xérès se classe parmi les sherry bombs de l’année (encore dispo) dans mon panthéon perso.
9 – Angostura Cocoa Bitters
Bitter de Trinidad-et-Tobago, 10 cl, 48%, 14 €.
L’accessoire essentiel de cette fin d’année. Si en 2020 t’as pas acheté ton bitter, t’as raté ton année. Bon, OK, on a raté notre année. Mais attendez, j’ai d’autres arguments dans la besace ! La distillerie de Trinidad nous a concocté ce bitter avec un cacao Trinitario local, infusé par percolation dans le rhum, dont l’extraction est ensuite enrichie d’épices. Ultra-sec, follement aromatique, très amer, il bombarde le chocolat sur la muscade, les clous de girofle, la réglisse, les zestes d’orange confits, la gentiane. Un couteau suisse du bar qui métamorphose les classiques (Old Fashioned, Manhattan, Espresso Martini), réveille d’un trait le vermouth… et s’invite avec créativité en cuisine, dans les sauces chili ou la pâtisserie. Essayez, vous ne pourrez plus vous en passer, j’en fais le pari.
10 – Algebra Coffee Liqueur
Liqueur de café, 50 cl, 19%, environ 30 €. Sur algebradrinks.com
Pendant deux ans, j’ai assisté à la genèse de cette liqueur de café cousue main. Et à chaque fois qu’Yves Cosentino, son créateur, me faisait goûter un nouvel essai, je me disais (intérieurement) : oh, un autre, mais pourquoi puisque le précédent était superbe ? Parce que superbe, ça ne suffit pas dans l’algèbre d’Yves. Il faut que ce soit parfait. Extra dry (elle est édulcorée à 100g par litre, le minimum syndical pour l’appellation liqueur) sur une amertume calculée au millimètre, Algebra s’appuie sur 3 ingrédients naturels : une extraction de café arabica (Malawi à 50%, Ethiopie, blend floral, blend très torréfié), un blend de rhums vieux (Trinidad, Barbade, Guyana) et du sucre de canne. Trois ingrédients, du talent, et beaucoup, beaucoup de travail. Mais à l’arrivée, meeeowww (in english). L’espresso martini n’aura plus jamais le même goût, croyez-moi.
11 – Twelve Basalte
Whisky français, single malt, 50 cl, 48%, 68 €.
Le meilleur whisky français de l’année, si je puis donner mon avis (et il ne manquerait plus que je ne le donne pas, vu que, hein, mes coups de cœur, tout ça). Voilà pour le résumé. Pour les détails, on s’avance sur des notes très oxydatives, de la noix en reveux-tu, y en r’n’a, des fruits secs, un brin d’olive noire, comme une petite chatouille d’aiguilles de pin… La jeune distillerie de Laguiole sort en même temps ses 3 premiers whiskies, très réussis, mais ce Basalte sort du lot : c’est le seul assemblage (4 fûts de PX, vin rouge, rhum, chêne neuf, affinés ensemble en fûts de sauternes pendant un an), autrement dit il ne doit rien à la chance d’un fût exceptionnel au milieu d’un chai. Et il va falloir se bouger pour en toper une quille (2.200 bouteilles seulement). Vite. Très vite. Genre, maintenant !
12 – Black Tot 50th Anniversary
Navy rhum, 70 cl, 54,5%, environ 140 €.
Impossible de démêler les fils aromatiques, subtilement enchevêtrés, car c’est toute la pelote qui vient. Un rhum d’une complexité folle, qui exige qu’on prenne son temps pour le savourer dans toutes ses dimensions. On attrape le chocolat fondu, et ce sont les épices qui explosent, à moins que les agrumes… non, les notes exotiques, le boisé précieux, et soudain les noisettes, la réglisse, les volutes de café, le rancio fruité… Un puzzle à 10.000 pièces ! Pour célébrer les 50 ans du Black Tot Day, jour sinistre où la marine britannique a cessé de verser à ses équipages la “tot’”, une ration de rhum quotidienne, cette édition limitée est allée puiser dans les vieux pots. Elle assemble des jus de Jamaïque, Trinidad, Guyana et Barbade, dont une minuscule part de Uitvlugt 42 ans et d’un blend original de la Navy. Venez, on lève les voiles, tant pis s’il n’y a pas de vent.
Par Christine Lambert