Intéressons-nous de près au spiritueux qui depuis deux ans nous aide à surmonter la crise sanitaire pour peu qu’il nous arrive servi dans de grands verres piscines.
Un gin artisanal n’a pas le droit d’être… artisanal
J’entends souvent chouiner sur les réseaux sociaux : “Quelle arnaque ce gin artisanal Hipster Blabla Small Batch, ils ne distillent même pas leur alcool de base et le fabriquent avec de l’éthanol acheté en gros !” Eh bien oui. Mais encore heureux puisque c’est une obligation légale. Selon le règlement européen 2019/787 qui régit les spiritueux, le gin (Annexe 1, art. 20) est “une boisson spiritueuse aromatisée aux baies de genévrier”, produite à partir d’un “alcool éthylique d’origine agricole” (alcool de céréale, betterave, vin, patate, mélasse…).
Un petit résumé de la définition de l’alcool éthylique d’origine agricole (Art.5) ? Un liquide “qui ne présente aucun goût détectable autre que celui des matières premières utilisées dans sa production”, distillé au minimum à 96% – autrement dit : de l’alcool neutre. En suivant la loi de l’enquiquinement maximum, il est techniquement possible de le fabriquer avec un équipement relativement artisanal, équipé d’une colonne de préférence, mais… permettez-moi la question : quel intérêt ?
Pas question de nier l’importance de la qualité de l’éthanol, mais justement : les systèmes multi-colonnes des grandes raffineries font cela très bien. La valeur ajoutée d’un gin artisanal, vous l’aurez compris, réside avant tout dans le choix et la qualité des ingrédients, la manière dont l’extraction aromatique se fait (macération, distillation…) et éventuellement l’assemblage. Et pas tant dans la fabrication de la base “sans aucun goût détectable” : vous n’auriez pas exigé de Picasso qu’il tisse lui-même les toiles brutes de ses tableaux ?
Nul besoin d’alambic pour faire du gin
Il est parfaitement légal de fabriquer du gin en laissant les baies de genévrier (dont le goût “doit être prépondérant” dans le produit fini) macérer dans l’éthanol avec quelques botaniques avant filtration – ou en l’aromatisant avec diverses essences. Si vous souhaitez vous entraîner dans votre salle de bain, par ici le tuto gin baignoire. En revanche, dès lors que l’étiquette précise “gin distillé” ou “London gin”, distillation obligatoire.
Un London gin peut être produit à Tombouctou
Et à propos de London gin, une sous-catégorie à lui seul : il s’agit d’un style de gin répondant à un certain mode de fabrication, et non d’un gin made in les bords de la Tamise au cœur de la City. D’ailleurs, il a toutes les chances de venir d’Ecosse (lire ci-après).
Le mode de fabrication, justement, reste assez vague : le gin bénéficie d’un encadrement a minima, laissant libre cours aux imaginations débridée de producteurs créatifs (et aux arnaques nawak de certaines marques branchées hautement dispensables). Un London gin doit être distillé en présence de “tous les matériels végétaux naturels utilisés”. Traduction : interdit d’ajouter une quelconque aromatisation après distillation. Interdit également de l’édulcorer (on ferme les yeux jusqu’à 0,1 g de sucre/litre, autant dire nada). Le London gin est donc obligatoirement dry, que ce soit ou non indiqué sur la bouteille.
L’Ecosse, patrie du whisky… et du gin
Premier exportateur mondial – et de très, très loin –, le Royaume Uni, jalonné par plus de 800 distilleries de gin, fabrique cependant 70% de alcool de genièvre en… Ecosse. Rien de surprenant quand on sait que les blockbusters britanniques sortent des grandes distilleries de grain, Cameronbridge (Gordon’s, Tanqueray) et Girvan (Hendrick’s) en tête. Des noms bien connus des amateurs de whisky.
On peut préparer un Gin-To sans tonic
Si vous êtes du genre à oublier de remettre à niveau la réserve de Fever Tree dans le frigo, optez pour un gin contenant de la quinine (en France, Tonik de la Distillerie de Paris) : il vous suffira de l’allonger d’eau gazeuse pour sacrifier au Gin-To en soirée. Autre solution : stockez plutôt le sirop de tonic, que vous diluerez de la même façon. Toujours pas ? Topez de vermouth blanc – en cas d’urgence, on n’a encore rien inventé de mieux que le Martini.
Le Gin-To devrait être remboursé par la Sécu
J’insiste. Pour toutes ces raisons.
Un très rentable spiritueux
Hormis les baies de genévrier, les agrumes, la coriandre, les racines d’iris et d’angélique, la cardamome, la cannelle comptent parmi les botaniques les plus utilisés pour aromatiser un gin. En réalité, la liste est sans fin : herbes et plantes, fruits et légumes, racines et épices, écorces et fleurs, algues, bouse d’éléphant (soupir), insectes (re-soupir)… Mais très peu de matières premières suffisent.
Comptez 10 kg de baies de genévrier et 20 à 25 kg d’aromates tout au plus pour distiller 5.000 l de gin à la louche. Des quantités fort généreuses au regard de ce que pratiquent les grandes distilleries ! En France, un gin distillé artisanal bio, avec des aromates 100% naturels et un joli packaging revient à 2,50€ la bouteille. Un coût qui peut doubler dans les plus petites distilleries travaillant des ingrédients peu communs, ou au contraire diminuer de moitié en radinant sur le design (critère crucial dans le choix d’un gin) – à comparer avec les 0,50 € fourchette haute s’il sort d’une importante distillerie écossaise ! De quoi susciter des vocations spontanées.
Par Christine Lambert