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En l’état actuel de la règlementation, les producteurs de whisky en France n’ont pas le droit d’afficher de comptes d’âge sur leurs bouteilles. Sauf à passer en force, à leurs risques et périls. En attendant Ubu…

 

Vous allez peut-être bientôt glisser sous les branches basses du sapin un Glenfiddich 12 ans ou un GlenDronach 15 ans – au hasard. Mais s’il y a une chose que vous n’offrirez pas à Noël, c’est un whisky français doté de ces mêmes comptes d’âge. Pas parce qu’aucune distillerie française ne possède les stocks ad hoc, mais parce que c’est tout simplement illégal. What ?????

On peut toujours compter sur l’administration française pour nous distraire, mais en l’occurrence le coup est d’abord parti de Bruxelles. Le règlement UE 2019/787 qui définit et régit les spiritueux précise dans son Chapitre II, Art.13.6 que les opérations de vieillissement des eaux-de-vie doivent être effectuées sous le contrôle d’une administration fiscale ou équivalente, histoire d’éviter qu’un producteur distrait n’embouteille un 5 ans qui n’en aurait en réalité que 3 – au hasard toujours.

 

Armorik, les rebelles

Mais ce texte, publié au printemps dernier, ajoute une précision passée inaperçue sur l’instant, tout occupés qu’on était à vérifier combien de sucre on pouvait balancer dans le rhum : « La Commission met en place un registre public dans lequel est consignée la liste des organismes chargés du contrôle des procédés de vieillissement dans chaque Etat membre. » Boom ! Car figurez-vous que, justement… il n’y a pas d’organisme de flicage dans le whisky en France. Les Douanes refusent de s’y coller, la Répression des Fraudes (la DGCCRF) a autre chose à faire, et il n’existe point d’interprofession.

« Cela n’avait pas d’importance jusqu’à présent puisque personne ne faisait de comptes d’âge en France, relève David Roussier, le patron de la distillerie Warenghem. Mais la DGCCRF a décidé de faire appliquer le règlement européen à la lettre. » Quand Armorik a sorti son premier 10 ans, en 2018, les Bretons n’ont rien demandé à personne et l’affaire est passée crème. En 2019, pour le deuxième batch, ils ont dû se rouler par terre pour obtenir in extremis une validation des Douanes. « Cela fait trente ans qu’ils suivent mes vieillissements, ils savent très bien ce que j’ai en stock, mais ils m’ont déjà prévenu que je devrai trouver une autre solution pour 2020. Alors que je possède tous les documents prouvant l’âge exact de chacun de mes whiskies ! »

 

“C’est du 18 ans ? On s’en fout, vous m’en ferez un NAS”

En fin de terre bretonne, la Distillerie des Menhirs a préféré capituler. « A la veille d’imprimer les étiquettes pour notre Eddu 15 ans, raconte Loig Le Lay, nous avons eu droit à un contrôle des Fraudes, qui nous ont formellement interdit de mentionner l’âge sur la bouteille. On a dû se contenter d’indiquer le millésime, 2004. » Savoureux détail franco-français : la distillerie française qui millésime ses produits n’est pas tenue d’indiquer dans la foulée la date d’embouteillage, comme c’est le cas pour le scotch. Accrochez-vous au goulot pour calculer l’âge ! Trêve de plaisanterie, car rarissimes sont les distilleries de whisky à posséder en France des stocks de plus de dix ans : privés de la possibilité de le mentionner sur les étiquettes, ces producteurs renoncent, contraints et forcés, à valoriser leurs flacons. Imaginez-vous deux secondes les services de Sa Majesté renvoyer Glenlivet ou Laphroaig dans leur caisse sur l’air du : « C’est du 18 ans ? Ben tant pis, vous m’en ferez un NAS. »

La Fédération du Whisky de France pourrait être éligible à la tâche de contrôle, mais certains pointent les limites de l’auto-vérification, et puis… quid des distilleries non adhérentes ? Accepteront-elles de laisser la Fédé mettre son nez dans leurs chais ? « Le cognac avec le BNIC ou le calvados avec l’IDAC s’autocontrôlent, et cela ne pose aucun problème, rétorque Philippe Jugé, porte-parole de l’organisation. La bonne volonté des non-adhérents, en revanche, est une vraie question. Je pense personnellement qu’il faut que la Fédération devienne une interprofession : y adhérer deviendra dès lors obligatoire. On doit pouvoir ensuite installer une relation de confiance. Mais il faut d’abord s’entendre sur un certain nombre de préalables. »

A commencer – vous allez rire – par le mode de calcul de l’âge. Car figurez-vous qu’en France différentes pratiques coexistent. Certains comptent de date à date au jour près entre la distillation (ou la mise en fût) et l’embouteillage (ou la vidange du fût), comme en Ecosse. D’autres font de même, au mois près : le whisky est distillé en mai, peu importe s’il sort de l’alambic le 1erou le 31. D’autres encore calculent à partir de l’année civile, et démarrent en janvier. Et il y a ceux, nombreux, qui sur le modèle cognaçais, bloquent les comptes au 31 mars (la fin de la campagne de distillation du cognac).

 

Ouille, ça ouille !

Il faudra ensuite choisir qui centralisera toutes ces informations sensibles. Et enfin missionner un organisme de contrôle indépendant qui procédera à des vérifications aléatoires dans les distilleries. En Ecosse, c’est le HMRC, chargé de collecter les taxes, qui valide les âges et contrôle (officiellement tous les deux ans) les chais.

Au passage, il va falloir harmoniser les pratiques d’ouillage. Car selon que la remise à niveau des fûts s’effectue avec un whisky de la même année, du même mois, du même lot, du même batch… ou avec du distillat (yesssss), le calcul de l’âge exact s’en trouvera fort perturbé.

Si la posture rigide de la DGCCRF a créé quelques situations ubuesques, elle a aussi le mérite, avouons-le, d’éclairer un sacré bazar. A charge pour le whisky français, en plein essor mais à l’aube de sa jeune histoire, de faire le ménage dans sa cabane et de poser les bonnes pratiques pour écrire les prochains chapitres qu’on espère nombreux. Un arrêté et un décret, à l’étude en ce moment, pourraient les y encourager. Au fait, rappelez-moi l’âge minimum d’un whisky ? Oui, trois ans, c’est cela. Qui vérifie ? Ben, personne, sauf contrôle aléatoire. Je pose 12, je retiens 8, multiplié par racine carrée de pi : quel est l’âge du maître de chai ? Vous avez deux heures, je m’en sers un pendant que vous planchez.

 

Par Christine Lambert

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