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C’est dans le sud de l’Irlande que prend forme le plus excitant projet de ces dernières années, sous l’impulsion d’une tête brûlée charismatique. Là, sur un estuaire qui repousse les assauts de la mer, Mark Reynier a décidé de remettre l’orge au centre du whisky, d’en extraire le goût et le terroir dans une quête folle qu’on disait impossible. Et puisque c’était impossible, il l’a fait. En avant-première, Whisky Magazine vous propose quelques extraits du reportage chez Waterford de Christine Lambert, à paraître dans notre prochain numéro.

De l’art de débattre au lance-flammes

Depuis cinq ans, ce qui se tambouille à Waterford tient en haleine la vaste communauté des amateurs de whisky. En raison de la nature même du projet : élaborer des single malts qui s’approchent au plus près de la matière première, extraire les nuances de leurs terroirs et les exprimer jusque dans les bouteilles. Et par la personnalité qui porte cette mission qu’on dit impossible : Mark Reynier, tête brûlée adepte du débat au lance-flammes, fondateur de l’embouteilleur Murray McDavid et à l’origine de la résurrection de Bruichladdich au tournant de ce siècle. Pas le genre de type à retourner la même terre que les voisins, même si la rente est confortable, non, plutôt celui qui va creuser seul son sillon à l’écart, et tant mieux si les vents déferlent de face du moment que le champ est fertile.
Le terroir, c’est l’obsession de Reynier, qui a d’abord fait ses classes dans le vin,possédant même un temps un petit vignoble en Bourgogne. « Vingt ans dans le vin, puis vingt ans dans le whisky, résume-t-il.Mais alors que le vin reste encore en grande partie aux mains des vignerons, le whisky est passée du côté sombre : c’est une industrie corruptrice, menteuse, opaque, concentrée à l’extrême. »Au lance-flammes, disais-je.


Faut-il avoir un grain pour aller chercher le terroir ?

Au commencement était la terre, la ferme, la céréale. L’orge. La grande oubliée d’une industrie du whisky qui ne sait plus parler que de bois, de fûts, de maturation, de finish. C’est dans le grain que se tapit le terroir, à Waterford on en est convaincu. Et pour aller le chercher, la distillerie réunit autour d’elle quelques dizaines de petits agriculteurs prêts à relever le défi et à se retrousser les manches, plus de 70 depuis 2015, dont une demi-douzaine en bio et 3 en biodynamie. Leurs parcelles se répartissent sous différents microclimats, différents sols, plus ou moins proches de la côte. Grace O’Reilly, l’ingénieure agronome chargée de faire la liaison, résume son job avec humour : « Je prends le thé avec les fermiers. Et j’en profite pour les conseiller sur les rotations des cultures, les variétés d’orge sélectionnées – plus d’une dizaine alors que l’industrie tourne avec 2 ou 3 –, les sols sur lesquels les planter, les nutriments… Les agriculteurs exercent un métier souvent solitaire, mais Waterford les associent étroitement au projet, on ne se contente pas de leur tendre un chèque, merci pour l’orge, au revoir. Ils sont fiers de goûter le whisky tiré de leur ferme, de voir leur nom sur l’étiquette de la bouteille. »
La brillante jeune femme veille également à assurer la traçabilité vers la malterie puis la distillerie. Car le terroir, voyez-vous, c’est un peu comme l’amour : il n’existe en définitive que dans les preuves qu’on en fournit. Des preuves qui réclament une logistique compliquée et coûteuse. Très compliquée. Et très coûteuse.


Une expérience de laboratoire, mais sans les souris

Le malt humidifié passe entre les disques du redoutable moulin, dont les réglages sont adaptés entre chaque lot en fonction de la ferme de provenance. Dans les premiers temps, la distillerie abordait le terroir avec une logique scientifique : appliquons les mêmes paramètres à chaque récolte et voyons comment il s’exprime. Sauf que. On n’extrait le goût comme on cherche un vaccin en double aveugle sur les souris de laboratoire. Une fois admis que le terroir et sa recherche constante seraient par essence ce qui définit Waterford, inutile de prouver scolairement un point théorique ; mieux valait mettre en valeur la matière première en adaptant les process pour produire in fine les meilleurs whiskies possibles. Evoluer en avançant, en se frottant à la réalité, plutôt un signe d’intelligence.


Rhâââ, oh oui ! Encore ! Fais-moi malt !

Derrière les alambics, une carte lumineuse de l’Irlande dévore le mur, parsemée de points. Celui qui clignote indique la « ferme distillée » dans le grondement des pot stills. Dans son labo coincé au rez-de-chaussée, Ned Gahan, le maître distillateur, a aligné les copitas et les fioles de new make. Alors ? Ben, franchement, je ne sens pas la différence, suis peut-être dans un mauvais jour… « C’est normal, s’amuse-t-il. Il s’agit de la même orge, cultivées sur des fermes très proches et des parcelles très similaires. Et là ? »Ah, là, oui, rhâââ. Ce ne sont pas les variétés d’orge, insiste Reynier, qui induisent les plus grandes différences de goût, mais les sols et les microclimats, ainsi que le mode de culture, bio ou conventionnel. La quasi-totalité des orges utilisées actuellement sont des hybrides qui partagent le même patrimoine génétique, mais pour creuser davantage la piste du terroir variétal Waterford travaille également des souches anciennes.

Brigade du whisky, vos papiers !

En arrivant dans les silos de la distillerie, chaque lot de grain possède un passeport identifiant la parcelle où il a poussé, le type de sol, l’agriculteur et la ferme, la variété d’orge et le moindre mouvement depuis sa récolte. Ce passeport s’est complété à chaque étape de la production, du vieillissement, et le code figurant sur les bouteilles permet au consommateur d’obtenir cette multitude de datas. Arrêtez-vous deux secondes, pour imaginer l’ampleur de la démarche, et l’échelle de cette quête, car Waterford crache bon an, mal an pas loin d’un million de litres d’alcool pur.

Et… La suite au prochain numéro !

 

Par Christine Lambert

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