Ces questions (pas forcément) idiotes que vous ne vous posiez pas (à tort) sur le whisky continuent à nourrir une encyclopédie virtuelle dont vous avez pu lire (ou pas) les premiers chapitres ici, puis ici et enfin là. Une nouvelle salve vient aujourd’hui s’ajouter au work in progress.
C’est quoi la part des anges ? (Scoop alerte : les cupidons ne sont pas les plus goinfres !)
La métaphore poétique empruntée par Ken Loach pour l’un de ces films les plus célèbres désigne une contingence au fond terriblement triviale : le processus d’évaporation du spiritueux placé en fûts à mesure qu’il vieillit. L’expression « part des anges » surgit à Cognac vers la fin des années 1960 ou au début des années 1970, mais c’est l’industrie du scotch, repaire de longue date des meilleurs marketeurs, qui va contribuer à la généraliser.
Le prélèvement séraphique augmente avec la température : sous les frimas d’Ecosse, il se stabilise à moins de 2% par an, mais peut dépasser les 12% sous les tropiques. Curieusement, si la littérature s’émeut des pertes angéliques lors de la maturation, elle oublie de mentionner la goinfrerie des étapes qui s’ensuivent. A commencer par la filtration à froid : jusqu’à 4% du liquide peut disparaître dans les plaques. Si l’on y ajoute l’embouteillage – puisque, contrairement aux anges, vous ne tétez pas votre whisky directement au cul du fût –, c’est potentiellement 8% du whisky qui se fait la valise sans qu’on moufte. Les anges ont bon dos.
Puis-je boire du whisky si je suis allergique au gluten ?
Vous auriez tort de vous en priver. Un alcool de céréale distillé ne contient pas de gluten. Seuls les additifs peuvent en laisser a minima des traces, mais la législation européenne les prohibe dans le whisky, à l’exception du caramel colorant. Par sécurité, les malades coeliaques peuvent s’en tenir aux single malts embouteillés à la couleur naturelle.
Faire vieillir du whisky en jarre, est-ce légal ?
Un producteur peut parfaitement loger son whisky en cuves inox, en bacs de ciment, en IBC (les gros conteneurs en plastique utilisés pour le transport, le stockage… et parfois la réduction), en œufs de porcelaine, en boîtes de conserves, en baignoire émaillée ou en jarres de terre cuite : grand bien lui en fasse. Simplement, le temps passé dans des contenants qui ne sont ni en bois ni d’une capacité inférieure à 700 l (ce qui élimine les foudres) ne sera pas intégré dans le calcul du compte d’âge, qui doit au minimum atteindre les 3 ans.
Si l’usage des jarres se développe, notamment dans le whisky français (Distillerie de Paris, Domaine des Hautes-Glaces, Roborel de Climens…), c’est toujours en finish, sur des gnôles d’abord vieillies sous bois les 3 ans légalement requis – ou davantage bien sûr –, afin d’en travailler la texture et le fondu grâce à une micro-oxygénation différente du passage en fûts.
Qu’appelle-t-on un whisky parcellaire ?
Un whisky dont le producteur peut retracer la provenance de la céréale, cultivée et récoltée sur une parcelle de terre bien précise, avec des caractéristiques géologiques et microclimatiques identifiées qui espère pouvoir exprimer dans la bouteille. Waterford, le Domaine des Hautes-Glaces, Rozelieures et quelques autres creusent ce sillon sur de petites cuvées.
Pourquoi les bombes à tourbe sont-elles toujours des whiskies jeunes ?
Parce que les phénols, ces composés chimiques responsables des arômes fumés, ont une fâcheuse tendance à décroître avec les années : ils auront été divisés par 3 au bout de 15 ans.
Pourquoi y a-t-il si peu d’éditions permanentes pleinement vieillies en fûts de vin ?
Pour une raison économique d’abord : sur le marché de la barrique d’occasion, rien ne peut s’aligner sur les tarifs du fût de bourbon, disponible en grandes quantités puisque ce spiritueux américain a obligation de vieillir en barils neufs. A contrario, même si les volumes de production sont gigantesques, à peine 2% du vin dans le monde passe en barriques, lesquelles peuvent être réutilisées.
Pour des raisons moins avouables ensuite : on note assez peu de différences entre les fûts de différents bourbons, alors qu’il existe des écarts réels de qualité, d’acidité, de tannins, de sucre résiduel, de tartre, de soufre, etc, d’un fût de vin à l’autre – sans même parler des cépages, de la couleur des jus de la treille en question et du type de chêne. Il est donc plus difficile de trouver un effet de moyenne garantissant une certaine consistance en termes de goût. Ce qui destine bien souvent les fûts de vin au finish, au destin de single cask ou à jouer une partition au cœur d’un assemblage.
Ah bon, Jack Daniel’s, ce n’est pas du bourbon ? (Spoiler : non mais si quand même)
« Ce n’est pas du scotch, ce n’est pas du bourbon, c’est du Jack », a longtemps clamé la pub, avant que le whiskey du Tennessee ne se dote, en 2013, d’une définition légale imposant une étape supplémentaire dans sa fabrication : la fameuse filtration sur charbon de bois, ou Lincoln County process (1). Mais la distillerie de Lynchburg a beau refuser d’utiliser le terme, la loi fédérale (les fameux standards of identity du Code of Federal Regulations) ne reconnaît pas la classification du Tennessee whisky, estimant qu’il se conforme au cahier des charges du bourbon – la filtration sur bois d’érable carbonisé n’y contrevenant en aucun point. Bref, ce n’est pas du scotch, c’est du bourbon, mais c’est du Jack quand même.
(1) A une exception près : Pritchard’s ne se soumet pas à cette filtration.
Par Christine Lambert