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Et voilà, tout frais, tout pondu : le traditionnel marronnier des tendances pour l’année à venir, mâtiné d’un état des lieux. Où il sera question de requin, de waouh, de pouet pouet et de ouin-ouin. Bref, de spiritueux, quoi.

Bienvenue dans l’obsolescence programmée

J’en faisais la première tendance 2022 (lire ici), mais elle n’a cessé depuis de s’amplifier : le « Fast Whisky », cette lame de fond où une nouveauté chasse l’autre, à peine lancée, déjà oubliée, déjà remplacée, se diffuse à présent peu ou prou dans tous les liquides. L’obsolescence programmée des objets, des technologies, des pratiques et des connaissances, triste marqueur de notre époque, s’insinue dans les spiritueux de dégustation, qu’on croyait pourtant inscrits sur le temps long. Encore que (lire ici)…

Le dernier finish truc, l’édition anniversaire machin, la série limitée événementielle bidule, le single cask pouet pouet, le premier release de la millième nouvelle petite distillerie lambda… Impossible de suivre. Pour la première fois cette année, même le geek le plus dévoué et hardcore n’a pu goûter toutes les nouveautés du Whisky Live Paris : c’est dire. Les spiritueux fins sont devenus des iPhone, obsolètes en 3 mois, non renouvelables.

Toi aussi, « Think different » et saute le requin

Premier corollaire du point précédent : pour exister dans le flux insondable des nouveautés, il faut se différencier. A tout prix. Il ne s’agit donc plus de sortir du lot en produisant le meilleur whisky (rhum, cognac, armagnac…) possible dans un style donné avec la plus grande efficacité – objectif old school enterré sans fleurs ni couronnes depuis 10 ou 15 ans –, mais en inventant la trouvaille qui fera parler. L’«innovation» (alerte guillemets !) produit ou l’astuce marketing, et si possible les deux.

A ce jeu-là, Ardbeg a pris 12 longueurs d’avance avec ses campagnes rigolotes – j’allais employer un gros mot : disruptives – emballant parfois les plus grands WTF, pour l’Ardbeg Day notamment. Mention spéciale au NFT fûts enterrés, qui a définitivement sauté le requin.

En Europe, les producteurs précautionneux se contentent de pasteuriser leurs gnôles au finish mizunara (rarement une bonne idée) histoire de « japoniser » leurs NAS. Alternatives : la maturation en fûts de Caroni ou en tonneaux de vins improbables – sauf  si vous fabriquez autre chose que du whisky, auquel cas la barrique de scotch tourbé s’impose. Mais la liste de ceux qui osent tout – c’est même à ça qu’on les reconnaît – s’allonge chaque année : finish en fûts de ginger beer, orge fumée sur baies de genévrier ou lit d’algues, fûts de café, de cerises à l’eau-de-vie, de Tabasco ou de sirop d’érable finish… Attention, tout n’est pas mauvais dans le tas mais… En fait, si.

Problème : dans la course à l’échalote pour exister, il faudra inventer encore plus dingue la fois suivante. Et à force de sauter le requin, vient un moment où il finit par vous bouffer.

La fin de l’effet Waouh ?

Second corollaire de la vague « Fast Spirit » : le nombre de quille qui nous laissent sur le train arrière, qui nous grave des cœurs sur les papilles, bref, qui nous émeuvent au-delà des mots se réduit comme peau de ouin-ouin. On a perdu l’effet waouh.

Allez, avouez. Combien de nouveautés vous ont vraiment sonné la caisse cette année ? Les meilleures dégustations du Whisky Live Paris furent servies lors de la masterclass Fun vs Sponge, aka Serge Valentin et Angus MacRaild. Que de l’ancien (je parle des bouteilles, pas des personnes susnommées, même celles qui ont fêté leurs 20 balais en 22.

L’effet boomerang : retour aux classiques

Le phénomène s’est amorcé dès le début de l’épidémie de covid : en période chahutée,  les amateurs reviennent aux valeurs sûres, aux bouteilles indémodables [sélection ici). Le vertige de nouveautés, par effet boomerang, amplifie la tendance. Mais attention : certains classiques disparaissent des radars, à force de bousculer leurs gammes, de réécrire en permanence leur histoire… ou de ne plus jamais communiquer.

A méditer : au moment des fêtes sur Twitter, les amateurs de whisky se refilaient leurs bons plans armagnac, spiritueux jugé plus authentique, plus fidèle à ses valeurs.

Gargantuas et lilliputiens

Un double mouvement tectonique pousse les grandes distilleries à augmenter encore leur production, tandis que le nombre des micro-distilleries continue à s’accroître. Les premières veulent étancher la soif mondiale, en tablant sur les marchés émergents ; les secondes jouent la carte de la clientèle locale. Malheureusement, il commence à y avoir « trop de chiens dans la niche », comme me le faisait remarquer un fin analyste de l’industrie spiritueuse.

Le gin redescend sur terre

Ras le pompon du Gin To, les amis ? Au terme d’une folle décennie qui a vu des centaines de distilleries s’y dévouer, l’alcool de genièvre dévisse au Royaume uni (lire ici). On assiste déjà aux premières fermetures et à un début de reconversion : la distillerie anglaise Cotswolds, par exemple, mise désormais sur… le rhum. En France, où l’on a pourtant attrapé la vague après tout le monde, le gin se tasse déjà également.

Les prix chauffent. Encore. Plus

C’est en 2023 que les folles hausses des coûts des matières premières, des matières sèches et de l’énergie seront répercutés sur les prix. L’année où tout peut basculer. « On entre dans le dur, reconnaît Thierry Bénitah, le patron de La Maison du whisky. Sur les whiskies âgés, on prend du +30 à +80%, et à partir de 15 ans, on peut faire du x2 dans le scotch : on n’a jamais vu cela sur autant de marques en même temps. »

« En trente ans, je n’ai jamais connu une telle conjoncture, où les coûts augmentent autant et où le pouvoir d’achat recule à ce point, renchérit Tom Van Lambaart, le PDG de Dugas. Surtout dans un climat très anxiogène, avec les incertitudes liées à la guerre en Ukraine et à la crise climatique. La hausse des prix, c’est le véritable enjeu de 2023. » On y revient bientôt – vous l’aurez compris, ce papier dresse le sommaire de mes prochains articles !

Les rhums vieux trinquent

Les spiritueux de canne premiums plongent aux Etats-Unis, où l’on annonce pourtant depuis 5 ans « L’année du rhum » (spoiler : pas cette année non plus). En France, les rhums vieux ont perdu 20% de leurs ventes en 2022. Avec de grandes disparités, puisque les produits de niche et les collectors continuent leur progression.

L’intégration de la distribution

Le sujet ne passionnera pas les amateurs, mais une reconfiguration d’ampleur se dessine dans le secteur de la distribution des spiritueux. Avec une tendance qui va en s’accentuant : l’intégration de cette branche par les producteurs. De plus en plus de groupes prennent désormais eux-mêmes en charge la distribution de leurs produits. Après Brown Forman, en France ce sont Campari, Edrington (pour Macallan et Glenrothes), La Martiniquaise, HSE et quelques autres qui ont développé leurs structures. L’enjeu des années à venir ? Toucher le consommateur final en direct.

Trop de terroir tue le terroir

Terroir. Le mot valise à la mode, celui que les spiritueux touillent à toutes les sauces, quitte à le vider de son sens. Et plus seulement en France, malheureusement. Terroir partout, émotion nulle part – ou presque.

Peut-on entériner le flop des hard seltzers ?

Oui. Comme quoi, vous voyez, y a pas que des mauvaises nouvelles. Alors, bonne année à toutes et à tous !

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