On ne les avait pas (tous) vu venir, mais ces 6 trends qui émergent vont influencer pendant quelques années au moins les spiritueux. On parie ?
Il y a deux façons de terminer/commencer l’année : en analysant celle qui vient de s’écouler ou en se projetant à ses risques et périls dans celle qui s’annonce. Le péril ? Celui du ridicule, qui comme chacun sait ne tue pas et peut même vous propulser sur orbite à l’heure des réseaux sociaux. Le risque ? Dans une industrie à long terme comme celle des spiritueux, les tendances ne se dessinent pas ni ne disparaissent d’une année à l’autre.
Avant de rempiler dans le numéro d’extralucide pour donner un aperçu des tendances qui émergent dans l’univers quintessentiel, j’ai vérifié que je ne m’étais pas totalement trouée l’an passé à la même date. Nenni. Tous les trends abordés dans le whisky (à relire ici), bien au contraire, n’ont fait que s’amplifier courant 2019 – attendons février pour voir si je me plante sur le dernier.
J’ai donc élargi à tous les spiritueux (en 2020 soyons ambiteux-ses), où 6 nouvelles directions se sont manifestées, certaines moins discrètement que d’autres. Attendez-vous donc à vivre cette année et les suivantes :
1 La percée des techno spirits
L’industrie des spiritueux met le cap vers le futur, et mobilise le nec plus ultra des nouvelles technologies. Whisky moléculaire chez Glyph (Endless West), intelligence artificielle chez Mackmyra, codes QR un peu partout (Bruichladdich, Kilchoman notamment), blockchain chez Ailsa Bay (William Grant)…
Après tant d’années à regarder dans le rétro c’est trop, à jouer la carte du vintage, les spiritueux embrassent leur époque. Et cherchent à rajeunir leur base sans le piteux alibi du « digital » qu’on a un peu trop vite fait rimer avec millennial.
2 La montée en puissance du rye
La formidable renaissance du whiskey de seigle depuis dix ans en Amérique du Nord fait tache d’huile. En France, après les pionniers des Hautes Glaces (Secale, Ceros, Moissons Rye, Obscurus…), le Roof Rye Armorik-Ferroni, l’Only Rye de Glann Ar Mor, le Bonsaï de La Distillerie de Paris, il essaime chez La Piautre, Bows, Monsieur Balthazar…
L’Indien Amrut a sorti le sien, Helsinki Distilling Company (la Finlande est le premier producteur de seigle en Europe) également, l’Irlandais Kilbeggan a présenté un petit batch en 2019… Mais l’aventure prend surtout une belle ampleur au royaume de l’orge, l’Ecosse, chez Arbikie, InchDairnie, Lone Wolf, Bruichladdich (qui a planté une parcelle sur Islay) et quelques autres. Plusieurs raisons à cette vague, et si vous le permettez je vais garder les cartouches pour en faire un papier. A noter qu’aux Etats-Unis, bien que le rye reste sur les rails du succès, ce sont les single malts américains qui suscitent la hype.
3 L’irruption de la vertu
Il n’y a pas de produit plus darwiniste que l’alcool, tour à tour eau-de vie ou eau de vice selon les époques, capable de se réinventer en permanence pour s’adapter, funambule enchaînant les saltos avant-arrière et les grands écarts sans jamais se froisser un muscle ni se déboiter les quilles. Le message en vogue pour les années à venir ? Transparence, vérité, nature, pureté, local, traçabilité, développement durable, et désormais – cerise sur le bouchon – promesse “santé” (bio, sans sucre, sans alcool, sans calories)… Le succès des hard seltzers, faiblement alcoolisés, dans les pays anglo-saxons s’expliquent grandement par cette allégation d’arracheur de molaires.
Le sans alcool (ou “spirit free”) continue sa progression démoniaque : après avoir racheté Seedlip, Diageo a pris des parts dans Ritual Zero Proof, Pernod Ricard met le paquet sur son gin 0%, Ceder’s, La Distillerie de Paris s’apprête à lancer son spirit free fin janvier pour la Paris Cocktail Week, Monin a sorti un cordial, Parangon, décliné en 3 versions au poivre… La vertu s’invite dans nos bouteilles, elle est ce petit banc inconfortable où l’on s’assoit quelques minutes pour reprendre son souffle entre deux vices. J’aime assez l’idée.
4 Le coup de balai dans les micro-distilleries de whisky
Après vingt ans de boom dans la micro-distillation, on voit apparaître en nombre les premières concentrations et les premiers cadavres. Aux USA, la TTB signale une trentaine de fermetures par an depuis trois ou quatre ans, et, selon le refrain que reprennent les cadres dirigeants du scotch : “Tout est à vendre ou presque aux Etats-Unis, c’est le moment d’aller y faire son marché.” Pernod Ricard a d’ailleurs acheté coup sur coup les distilleries Rabbit Hole (Kentucky) et Firestone & Robertson (Texas).
En Irlande, la petite Glendalough vient de passer aux mains de Mark Anthony Group. En France Bellevoye a gobé Bercloux, Dugas a pris des billes dans la distillerie de Hautefeuille, Diva a croqué une bonne part de Rouget de Lisle, et “deux ou trois dossiers circulent chez les intermédiaires” (dont celui d’une maison historique). Enfin, en Ecosse, les premières rumeurs traînent.
5 Le café connaît son moment
L’appétit des consommateurs pour le mouvement craft se manifeste depuis des années dans les spiritueux comme dans le café, et le nombre des petites brûleries n’a rien à envier aux stat’ des micro-distilleries. Cette fois c’est bon, les deux excitants scellent enfin leur alliance dans la bouteille, après avoir flirté au bar. Robusta et arabica ont surgi dans les alcools comme la vodka (Chase Espresso), les hybrides de mezcals et tequilas (Patron XO Café) –, les spiced rums, etc. En parallèle, les liqueurs de café artisanales se perfectionnent (Fair, Algebra Drinks…), les cold brews apparaissent chez les grandes marques (Jameson). J’ai même vu dans les chais d’une distillerie du whisky dormir en fûts de gnôle au café. Pas sûr que le sommeil soit paisible avec la dose de caféine, mais je ne vous ai rien dit.
6 La discrète percée du CBD
Aux Etats-Unis, c’est une déferlante. Le cannabis (dans les Etats qui l’ont légalisé) et son dérivé le cannabidiol (CBD) ont pris d’assaut la bière puis les spiritueux. On ne compte plus les IPA, spiced rhums, gins ou vodkas infusés à ces deux substances. En France, le botaniste amateur devra se contenter du CBD, son cousin psychotrope tombant sous le coup de la loi. Il arrive bientôt, dans une… eau minérale pétillante à l’hibiscus avec 15 mg de CBD suisse par cannette : Chilled. Une entrée sur scène plutôt discrète, mais faisons le pari que dans les années à venir, on n’a pas fini d’en manger – ou plutôt d’en boire.
Par Christine Lambert
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