Sous l’impulsion du Prince Albert II, la Principauté de Monaco fait revivre la mesccia, un spiritueux né des échanges entre marins de l’Europe entière et marchands monégasques dès le XVIIème siècle. Après des années d’expérimentations et une rencontre décisive avec Luca Gargano, le projet Mother Mesccia signe la renaissance d’une tradition maritime et d’un savoir-faire monégasque. Mais surtout d’un rhum très inspiré.
Tout a commencé par un souvenir. « J’avais goûté, par mon père, une mesccia d’après-guerre, très forte, presque comme une grappa, se souvient le Prince Albert II. Elle était très forte, je pense qu’il y avait un peu plus d’ouzo ». Dans ses mains, une bouteille de 1982 de mesccia originale, demandée par son père le Prince Rainier III à son ami Jean-Pierre Rous, ancien chef sommelier du Louis XV. La mémoire de cette boisson oubliée, autrefois populaire dans les tavernes du port de Monaco (dont on dit qu’il a été construit par Hercule), ne l’a jamais quitté.
Au XVIIᵉ siècle, les navires revenant des Caraïbes faisaient escale dans le port de Monaco. Dans leurs cales, des barriques de rhum, échangées contre les agrumes du littoral — citrons de Menton, oranges amères de Roquebrune, caroubiers. Pour les marins, ces fruits étaient essentiels à la lutte contre le scorbut. Pour les Monégasques, ils donnaient naissance à un mélange singulier : le rhum allongé de vermouth et de marsala ou d’ouzo. Ainsi naquit la mesccia, du dialecte génois mescciare, « mélanger ». « Il y avait presque autant de recettes de mesccia que de familles monégasques, raconte le Prince Albert. C’était la boisson des marins, un symbole de ces échanges qui ont façonné la Principauté. »
La dernière tentative de renaissance, dans les années 1980, avait laissé un souvenir mitigé. Quarante ans plus tard, l’envie de redonner vie à ce patrimoine refait surface — mais avec un esprit nouveau : renouer avec l’histoire sans la figer. « Nous avons voulu la refaire vivre, dans l’esprit plutôt que dans la lettre », se souvient le Prince Albert.
Un projet né de tâtonnements
Les projets prennent forme avec Guy Thomas Levy-Soussan dans un premier temps et la Distillerie de Monaco, fondée en 2017 par Philipp Caluzo, artisan passionné du terroir local. Dans son petit atelier, il récupère chaque année les oranges amères du Rocher, les caroubes — arbre national de Monaco — et les transforme en liqueurs, gins ou confits. « Notre idée, c’est de créer des produits vrais, explique-t-il. Pas seulement mettre “Monaco” sur une étiquette, mais produire un goût monégasque. » Lorsque le Prince lui parle de la mesccia, Philipp Caluzo se lance sans hésiter.
Le projet prend forme au départ à partir de canne à sucre européenne. L’expérience tourne court : « On a acheté 400 kilos de cannes en Espagne, se souvient Guy Thomas Levy-Soussan. La moitié était pourrie avant d’arriver. On les a pressées à la main, dans le jardin. Autant dire que c’était une catastrophe. » Les fermentations s’enchaînent, ratées ou acides, et les premiers distillats sentent la truffe et le champignon. L’équipe persiste, expérimente d’autres levures, mais rien n’y fait. « C’était horrible » admet-il en riant. Mais le découragement n’a pas sa place dans la Principauté. En quête de conseils, le patron de la distillerie croise un jour le vigneron Nicolas Joly, pape de la biodynamie. Celui-ci lui glisse : « Pour le rhum, il faut voir Luca Gargano. »
La rencontre avec Luca Gargano : le tournant
Le nom de Gargano s’impose comme une évidence. En 2021, le patron de Velier, figure tutélaire du rhum, tombe immédiatement sous le charme du projet. « Le but du distillateur, c’est de voler l’âme de la matière première, confie-t-il. Et cette âme, on la trouve dans la canne cristalline d’Haïti, une variété ancienne, non hybridée, cultivée sans produits chimiques, transportée à dos de mulets et pressée dans un petit moulin. » Sous son impulsion, la mesccia change d’échelle : la matière première vient désormais de Saint-Michel-de-l’Attalaye, au nord d’Haïti, dans les champs de Michel Sajous, distillateur de Clairins. Là-bas, la canne est pressée à la main, fermentée naturellement, puis distillée au bain-marie et au feu de bois dans un alambic Müller de la distillerie Chelo. Le distillat traverse ensuite l’Atlantique pour une seconde distillation à Monaco, dans l’alambic Khote de la distillerie du quartier de La Condamine. « Premier pot still à Haïti, deuxième à Monaco — une rareté absolue. C’est le premier rhum au monde à double distillation transcontinentale » ajoute Luca Gargano, admiratif. Une première mondiale, qu’il qualifie de « quintessence de la canne à sucre. L’un des trois meilleurs rhums blancs au monde ».
L’esprit du terroir monégasque
Pour la distillerie de Monaco, cette aventure s’inscrit dans la continuité de leur travail sur les produits du territoire. Depuis 2017, la distillerie valorise les fruits des 600 orangers de Monaco, élabore des liqueurs d’orange amère, de caroubier — arbre national de la Principauté — et un gin aux sept agrumes locaux. Cette approche rejoint la vision du Prince Albert, attaché à la préservation du patrimoine vivant : « Ce projet permet de raconter Monaco autrement, par son histoire maritime, ses échanges, sa culture du goût, raconte le Souverain. La mesccia est née de ces échanges-là, des marins, des bateaux qui étaient allés pêcher en Atlantique, notamment le stockfish de Norvège, ceux qui étaient venus d’autres parties de la Méditerranée, des marins grecs, italiens, espagnols, et qui s’arrêtaient ici et pour l’huile, mais aussi des agrumes. Jusqu’en 1848, c’était la grande culture d’exportation de la principauté pendant 5 siècles ».
La mesccia est donc ressuscitée. Le résultat porte un nom : Mother Mesccia. Un rhum blanc d’une limpidité extrême, matrice d’une lignée future. Les premiers lots — environ 8 000 bouteilles — reposent désormais dans les chais de Fontvieille. Mother Mesccia se distingue par sa pureté et sa profondeur : un rhum blanc fruité, élégant, imprégné de canne et d’agrumes.
La première cuvée constitue la base d’une série d’expressions à venir, certaines promises au vieillissement. Les fûts choisis racontent eux aussi une part de l’histoire : ex-vermouth Bordiga, marsala Florio, sherry oloroso ou encore ex-Neisson. Et comme le souligne le Prince : « Ça va prendre du temps. On ne peut pas acheter le temps, et ça c’est une chose qui me plaît. Il faut juste attendre. »
Mother Mesccia 70 cl, 46 % vol. – 65 € TTC



