Avec ses deux cuvées jumelles Epistémè R15C25 (triangle ou carré), le Domaine des Hautes Glaces signe un exercice de style rare et rigoureux. Issus d’un même distillat de seigle, ces deux single rye révèlent, à travers deux protocoles d’élevage distincts, le rôle central du bois dans la formation de la structure, du parfum et du tempérament d’un whisky.
Installé au cœur du Trièves, sur les contreforts alpins, le Domaine des Hautes Glaces a toujours revendiqué une approche radicalement agricole et parcellaire du whisky. Avec le projet Epistémè R15C25, la distillerie pousse plus loin encore ses expérimentations. Il s’agit d’un exercice de comparaison à variables maîtrisées : une même céréale (le seigle Caroas), issue d’une même parcelle (le climat Gabert), moissonnée en 2015, brassée, fermentée et distillée selon des procédés identiques, mais élevée selon deux itinéraires différents.
Distillé en juillet 2016 selon une double passe sur feu de bois – dans un alambic de 25 hl pour la première, de 7 hl pour la seconde – le distillat a ensuite divergé en cave. L’objectif est simple : observer, démontrer et questionner l’impact du bois, de la chauffe, et du type de liquide précédemment contenu dans le fût sur la transformation de l’eau-de-vie en whisky.
Double maturation : la fraîcheur structurée
La première expression, Epistémè R15C25 Carré a connu une double maturation. Un court séjour initial en fût neuf de chêne français à grains grossiers (Quercus Robur), suivi d’un long vieillissement en fût roux de Cognac pendant près de neuf ans. Ce chêne particulier, riche en tanins, imprime sa marque : une structure ferme, une verticalité épicée, et une belle fraîcheur.
Le profil aromatique est lumineux. Le nez évoque les meubles cirés, les herbes fraîches coupées, les tiges d’aromates émincées. En bouche, le whisky surprend par sa rondeur, son aisance. Caramel au beurre salé, trame herbacée, on retrouve même une évocation d’herbe aux bisons, adoucie par une texture beurrée. La finale est vive, sur la réglisse et la menthe glaciale, avec un net retour poivré typique du seigle. Un whisky qui célèbre le renouveau du printemps et que la distillerie recommande avec une salade sauvage ou un fromage persillé de chèvre et de brebis.
Triple maturation : rusticité racinaire et tension acide
La seconde cuvée Epistémè R15C25 Triangle suit un itinéraire plus sinueux. Après le même passage initial en fût neuf quelques semaines – cette fois chauffé plus intensément – le distillat est transféré d’abord en fût roux de Cognac, puis dans un fût de vin blanc ayant contenu un Pinot gris, en provenance d’un vigneron local du Trièves. Le bois ici est différent : chêne français à grain fin (Quercus Petraea), qui imprime au whisky une finesse et une sécheresse plus prononcées.
Le nez se montre plus radical, marqué par une rusticité assumée : notes animales, racinaires, touches fumées naturelles du seigle, auxquelles répond une pointe acidulée de bergamote et de gingembre. En bouche, la texture se fait fine, presque alcaline, évoquant un dessert anglais à base de lemon curd et de thé noir fumé. La finale s’étire sur une élégante acidité, avec des notes vineuses subtiles – le fût de Pinot gris n’est jamais loin. L’ensemble évoque un whisky plus sec, plus nerveux, taillé pour les amateurs de seigle non domestiqué. Un jus brut, atypique, qu’on dégusterait volontiers à l’heure du thé avec des scones et muffins.
Une méthode artisanale inchangée
Au-delà de l’élevage, ces deux cuvées illustrent la rigueur artisanale de DHG. Le maltage est réalisé sur place, selon une recette domestique. Le brassage s’effectue en trois eaux, inspiré des gestes de la cérémonie du thé. La fermentation, prolongée sur 140 heures, est initiée à partir d’un levain naturel, gage de complexité et de stabilité microbienne. La distillation, enfin, s’opère lentement au feu de bois, sans concession à la rentabilité. Quant à la réduction – ouillage progressif à l’eau – se fait au fil des ans, jusqu’à atteindre le degré final de 47 %. Là encore, la temporalité lente est revendiquée comme un facteur qualitatif.
Epistémè R15C25 dépasse le simple cadre de la cuvée de saison. Il s’agit d’un manifeste discret, mais exigeant, sur le rôle du fût en whisky. Même matière, même distillation, deux profils : le whisky devient une lecture du bois.
Epistémè R15C25 carré
666 bouteilles, 50 cl, 47 %, 105 € TTC
Epistémè R15C25 triangle
421 bouteilles, 50 cl, 47 %, 115 € TTC
