Laballe a réussi à faire de la distillation une expérience inoubliable. Un amplificateur d’amitié et de convivialité, la clé pour ouvrir le chemin vers l’armagnac en passant par le gosier… et par l’estomac. Venez, direction les Landes – attention, cette lecture peut déclencher les symptômes de la faim.
Avant de m’intéresser de près à l’armagnac – permettez-moi d’oublier cette période ennuyeuse de ma vie –, je pensais bêtement qu’un alambic servait à distiller: blâmable manque d’imagination. Car en terres gasconnes, l’alambic est un amplificateur d’amitié, un agrégateur de convivialité, un concentré de soleil livré en plein hiver.
Novembre touche à sa fin, Laballe a rallumé la flamme: Armagnac is back! Et à Parleboscq, 400 habitants pour 7 églises, une bouffée de folie s’empare de ce coin des Landes enclavé dans le Gers. Dans le chai, les braises rougissent sous l’alambic tandis que, déjà, quelques dizaines de personnes se réchauffent les miches, verre à la main, autour du vieil Egrot martelé en 1947.
Venez ma bande, attrapez une pince à linge, on les rejoint. Euh… La pince à linge? Inscrivez votre blaze au feutre sur le bois, avant de la clipser au pied du verre: vous vous assurerez ainsi de retrouver vos divins liquides quand vous les oublierez sur une tête de fût ou un coin de table – vous n’aurez pas assez de mains, croyez-moi.
Quand Cyril Laudet reprend le domaine derrière son grand-père, il y a une quinzaine d’années, tout est à refaire, ou presque. L’aïeul, à vrai dire, pensait enterrer l’activité familiale avec lui, sans imaginer que la 8e génération à miser sur l’armagnac tirerait les bonnes cartes à force de labeur et d’entêtement.
« Du temps de mon grand-père, on remplissait 5 barriques par an, ce n’était pas la fête, confie-t-il. Aujourd’hui, je peux monter à 60, 70 pièces par an. » A côté des traditionnels millésimes, Cyril introduit des comptes d’âge aux packaging qui se gaussent des codes, et développe des mono-cépages chargés d’histoire: Résistance, un 100% baco, ou Exode XIV, ugni blanc intégral.
Surtout, il perçoit très vite que le meilleur moyen d’ouvrir aux curieux le monde de l’armagnac passe par l’alambic. Et par l’estomac. « Au début, c’était très simple, on tirait les braises de l’alambic itinérant, quelques pièces de viande, des patates et du beurre. Et en 2016, j’ai acheté l’Egrot. »
Trois ans pour retaper la colonne armagnacaise 7 plateaux achetée d’occasion, dégommer sa rampe pour passer à la chauffe au bois. Et accessoirement développer une grille qui s’adapte dessus pour professionnaliser les frichtis. En 2019, les petites bouffes improvisées dans le chai entre potes se transforment en tables d’hôtes. Avec un succès que peu de monde attendait.
Les miches (de pain, cette fois) tiédissent contre le cuivre, près des boîtes de camembert qui ramollissent – on viendra bientôt leur percer le cœur à l’emporte-pière pour les farcir de cacahuètes et pruneaux à l’armagnac, bonheur coulant à attraper au vol sur le pain de campagne.
On pioche dans les terrines de sanglier, les planches de cochonaille, les champignons au vinaigre, les conserves de boudin noir sorties de la braise (exceptionnelles!) ou les saint-jacques badigeonnées de sauce soja armagnacaise – don’t ask.
Aux gamelles, on trouve Florent Carle, le talentueux chef de Chez Flo et Kahut, à Parentis-en-Born, qui a fédéré toute une tribu de petits producteurs, de fermes et de domaines, de MOF…, et travaille des produits essentiellement locaux en une cuisine créative et généreuse. Cochons noirs, bécasses à la ficelle, maigre en croûte de sel, pithivier de canard confits, courges et marrons de saison… Gaffe, vous avez un petit filet de salive qui coule à la commissure des lèvres.
La distillation, chez Laballe, dure une quinzaine de journées bien trop courtes. Trois distillateurs se relaient, 24 heures sur 24, rechargeant la chaudière de vieux piquets de vigne – « et ils prennent 10 kg à chaque campagne », se gondole Cyril. Car le chai se mue en bistrot éphémère autour de l’alambic qui, imperturbable, coule sa blanche d’armagnac en ronflotant pendant les agapes. Menu unique, midi et soir, vins et armagnacs du domaine, sur une durée qui varie – quatre jours cette année.
« Les gens hallucinent, s’anime Cyril. On entre dans l’armagnac par sa fabrication, la machine ronronne, il y a un effet cathédrale dans le chai, l’ambiance a un charme fou. Ceux qui viennent sont piquousés à vie à l’armagnac! Je ne pourrais plus arrêter cet événement, c’est devenu une signature de Laballe. » Une identité, au même titre que la fraîcheur des eaux-de-vie, peu marquées par le bois, la communauté ou les packaging originaux.
Avant le dessert, fins gourmets, épicuriens, voisins ou étrangers rassemblés autour des grandes tablées auront l’impression de se connaître. Au dîner, la soirée n’est jamais à l’abri de partir en quenouille, avec battles de chefs postées sur Insta – cette année, l’établissement bordelais Symbiose venait en guest aux gamelles pour un service.
Ceux qui ont raté la distillation penseront à réserver pour 2026. Et se donneront RDV au prochain Salon de l’agriculture : Florent Carle et Cyril Laudet y tiennent le stand du collectif Chez les Landais. Sans l’alambic, mais avec le feu. Et l’armagnac.



